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Wim Moesen: « Le Premier ministre Michel ne soutient pas la comparaison avec Martens et Dehaene »

À l’approche du contrôle budgétaire de mi-mars, on a entendu beaucoup d’éloges sur la situation économico-financière de notre pays. L’expert budgétaire louvaniste Wim Moesen tempère l’euphorie ambiante : « Sans nouvelles mesures, le déficit budgétaire remontera. »

Depuis quelques semaines, chacun s’accorde à dire que 2017 a été une année faste. La Belgique s’en tire extrêmement bien sur le plan économico-financier : l’économie a progressé de 1,7% du PIB (produit intérieur brut), il y a eu 66 000 emplois supplémentaires nets, notre déficit budgétaire a spectaculairement baissé de 2,5% en 2016 à 1% l’année passée, alors que la dette publique a diminué de 105,7% du PIB à 102,8%. On deviendrait euphorique pour moins que ça. « Cependant, la réalité derrière cette façade est moins belle », déclare le professeur en finances publiques Wim Moesen (KU Leuven) à la veille du contrôle budgétaire. « En tout cas, le gouvernement n’a pas de raison de se reposer sur ses lauriers. » Moesen indique six points faibles:

1. Aubaines uniques

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Moesen: « Le fait qu’en un an le déficit budgétaire ait baissé de 1,5 point est une belle prestation. En tant que petite économie ouverte, nous profitons pleinement de la bonne conjoncture internationale : c’est comme si nous descendions une pente à vélo, le vent dans le dos. La politique du gouvernement, avec notamment le tax shift (voir point 3 : NLDR), a donné un coup de pouce supplémentaire. On peut donc discuter ce qui a le plus contribué à la baisse de notre déficit budgétaire, la bonne conjoncture ou la politique, mais il est clair qu’elles se sont renforcées. »

Il est frappant que structurellement, donc sans coups de chance uniques, notre solde budgétaire se soit amélioré de 0,9 point. « Le gouvernement a profité d’une série d’opportunités. D’une part, il y a eu moins de dépenses. Grâce à un nouveau calcul de la cotisation, la Belgique a dû payer 300 millions d’euros de moins à l’Union européenne. En 2017, nous avons aussi économisé 300 millions de plus sur les dépenses planifiées que les autres années, surtout parce qu’au niveau de la sécurité nous avons dépensé moins que ce qui avait été évalué. Et grâce à la baisse de l’intérêt, nous avons également dépensé 800 millions d’euros en moins de charges d’intérêts. »

« D’autre part, il y a eu une série d’aubaines dans les recettes », poursuit Moesen. « Ainsi, la lutte européenne contre la fraude fiscale a rapporté davantage. Et les paiements anticipés des impôts sur la société ont fort augmenté – certains parlent de 1,5 à 2 milliards d’euros – parce que les amendes ont été augmentées pour ceux qui n’ont pas suffisamment payé à l’avance. »

Cela permet de considérer la baisse étonnante du déficit budgétaire sous un autre angle : elle est due pour plus d’un tiers à des mesures uniques. « Et puis il y a la question : aurons-nous ces coups de chance cette année et l’année prochaine aussi ? Sommes-nous capables de maintenir ce déficit budgétaire de 1%? L’Europe est d’avis que non, et compte sur un déficit budgétaire de 1,5% pour 2018. Autrement dit : notre gouvernement ne peut se reposer sur ses lauriers et penser que le plus dur est fait. Sans nouvelles mesures, notre déficit budgétaire grimpera à nouveau. »

2. Solde budgétaire

Le Premier ministre Charles Michel (MR) aime comparer les prestations économico-financières de son gouvernement à celles du gouvernement Martens V, après la dévaluation du franc belge en 1982, ou sous les gouvernements dirigés par Jean-Luc Dehaene qui entre 1992 et 1998 ont préparé notre pays à entrer dans la zone euro. Moesen : « Sous le gouvernement Martens V, le solde budgétaire s’est amélioré de 2% en moyenne par an, sous le Premier ministre Dehaene de 1% en moyenne par an. Et que réalise le gouvernement Michel ? Il a entamé 2014 avec un déficit budgétaire de 3,1% et si l’UE a raison, elle clôture cette année avec un déficit de 1,5%. C’est donc une baisse de 1,6 point ou 0,4% par an en moyenne. Cela n’a rien d’une prestation exceptionnelle et ne peut certainement pas soutenir la comparaison avec ce qu’ont réalisé Wilfried Martens et Dehaene. »

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Moesen va encore plus loin: « Ces dernières années, nos charges d’intérêts ont baissé de 0,2 point par an. La baisse du déficit budgétaire de 0,4% en moyenne par an est donc due pour la moitié à la baisse de l’intérêt. Et seulement pour 0,2 point par an à la politique du gouvernement Michel. Ce n’est tout de même pas fameux. »

3. Tax shift

Le gouvernement Michel est fier du tax shift qu’il a instauré: en diminuant les charges sur le travail, les cotisations patronales ont baissé et les coûts salariaux ont diminué. Moesen : « Cela a certainement entraîné les employeurs à engager plus de personnes. Et tout employé supplémentaire exerce un double effet sur les finances publiques : l’état doit moins dépenser (par exemple en allocations de chômage) et il perçoit davantage (car tout employé paie des impôts). Pourtant, contrairement à ce qui a été annoncé, cette opération n’est pas budgétairement neutre : elle a donc couté de l’argent à l’état. Et j’ai encore une objection essentielle au tax shift : ce sont surtout les employeurs qui ont été dorlotés, et les employés beaucoup moins. »

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Le problème fondamental, c’est qu’il y a trop peu de gens qui travaillent dans notre pays, affirme Moesen. Le taux d’emploi, le nombre de personnes en âge de travailler qui travaillent, est de 67% en Belgique, alors que la moyenne européenne est de 71%. En Allemagne et aux Pays-Bas, 75% sont au travail et en Suède même plus de 80%. Moesen : « Il est positif que le gouvernement ait stimulé la demande de travail des entreprises. Mais il a négligé de fournir un effort semblable pour les employés. S’ils gagnaient davantage net, ils seraient d’accord de travailler plus et plus longtemps. Cela n’a pas été fait, et aujourd’hui on voit le résultat : il y a une pénurie sur le marché du travail. Il y a une demande importante de main-d’oeuvre, mais l’offre n’augmente pas suffisamment. »

« En n’étendant pas suffisamment le tax shift aux employés, le gouvernement Michel a laissé passer une opportunité importante de lutter contre le degré d’emploi trop faible », conclut Moesen.

4. Investissements

Moesen n’hésite pas à souligner les bonnes mesures: « Pour la première fois en dix ans, la règle d’or du financement a été respectée. » Cette règle budgétaire dit que les dépenses courantes (les salaires de fonctionnaire par exemple) doivent être couvertes par les revenus courants, mais qu’on peut s’endetter pour les « actifs fixes matériels » – définis étroitement, ce sont les investissements en ciment et en briques. Comparez-le à un ménage : on peut emprunter pour construire une maison, mais il est inintelligent de s’endetter pour partir en vacances ou pour aller au restaurant.

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Moesen: « Le déficit budgétaire de 1% nous place clairement en deçà des investissements publics en actifs matériels fixes qui s’élèvent à 1,7% en Belgique. Autrement dit : l’état n’emprunte plus un centime pour ses dépenses courantes. C’est très important, mais à présent ce déficit se défend parce qu’il va à de réels investissements. »

Cependant, la Belgique investit encore toujours trop peu, déclare Moesen, et c’est ce qu’on voit à l’infrastructure par exemple. « Dans le classement international qui juge de la qualité des ports, des voies navigables, aéroports, routes, ponts et tunnels, la Belgique se plaçait en seizième position il y a cinq ans, les Pays-Bas 12e sur 144 pays. À présent, nous avons dégringolé à la 21e place, alors que les Pays-Bas ont grimpé à la 6e position. Cela en dit long. »

« Un état qui est trop gras doit maigrir », déclare Moesen. « Mais en ce qui concerne les investissements en infrastructure, la Belgique est devenue une patiente anorexique et cela nuit à la santé. Nous avons négligé notre infrastructure pendant des années, et maintenant le béton dans les tunnels se détériore et il y a des trous dans les rues. » Le Premier ministre Michel vient toutefois de lancer un plan ambitieux, pour, réparti sur plusieurs années, investir jusqu’à 60 milliards d’euros dans notre infrastructure. Moesen applaudit cette nouvelle : « C’est important pour notre économie et notre prospérité. »

5. L’Europe

Le fait que nous ayons aussi peu investi est également lié aux exigences de l’Union européenne. Ces dernières années, elle a mis l’accent sur les économies et l’atteinte d’un équilibre budgétaire structurel. Moesen : « Après la crise bancaire (2008) et la crise de dettes grecque (2010), l’Europe a exigé que les états membres diminuent drastiquement leurs dettes. C’est pour cette raison qu’il fallait économiser, et parfois solidement. C’est ainsi qu’on a brisé la reprise économique. Au lieu de stimuler l’économie à coup d’investissements publics, la relance économique a été contrecarrée. L’Europe ne nous a pas donné de vent dans le dos, mais nous a fait grimper la côte. »

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Moesen trouve beaucoup à redire sur l’ambition européenne d’un équilibre budgétaire structurel. « Il ne faut pas poursuivre de solde zéro. Pour investir, un pays peut contracter des dettes, à condition de respecter la règle d’or du financement. En outre, le calcul d’un tel solde structurel est très compliqué, car qu’est-ce qui est précisément structurel et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Finalement, très peu de gens savent exactement de quoi il en retournait. Et la politique budgétaire européenne est inconséquente, car quand de grands pays tels que la France et l’Allemagne n’ont pas satisfait les exigences européennes, ils n’ont pas eu de sanction comme c’était prévu. »

Peu à peu, l’UE a réalisé que quelque chose devait changer. « À présent, l’Europe prend un virage budgétaire », estime Moesen. « Il ne jugera plus les états membres sur leur déficit budgétaire et leur degré d’endettement, mais il regardera aussi la croissance des dépenses. Ce sera même le principal critère des trois. C’est aussi beaucoup plus facile à vérifier qu’une vague notion telle que le solde budgétaire structurel. En outre, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suède travaillaient depuis quelque temps avec cette norme de dépenses. Là-bas, on décide même pour toute la législature de la hausse des dettes publiques. Pour la Belgique, c’est nouveau. »

Cette année, l’Europe nous autorise à augmenter nos dépenses de 1,6%. « Au fond, c’est un gel doux », déclare Moesen. « Les dépenses publiques peuvent grimper, mais pas autant que notre inflation plus notre croissance économique. » L’année dernière, notre inflation était de 2,2% et notre croissance économique de 1,7%, ce qui revient à presque 4%. « Cette limitation de la croissance de nos dépenses à 1,6% ne sera pas simple », conclut Moesen. « La norme des dépenses sera un carcan pour la Belgique. »

6. Entités fédérées

La norme de dépenses que l’Europe impose à la Belgique vaut pour tous nos gouvernements réunis. Autrement dit : l’état fédéral, les communautés et les régions, et les administrations locales devront se mettre d’accord sur qui augmentera quelles dépenses et de combien. « Cette coordination budgétaire sera primordiale », déclare Moesen.

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Après, en 2013, notre pays a déjà conclu un accord de coopération entre le gouvernement fédéral, les régions et les communautés. Le but était que, chaque année, un Comité de concertation conclue un accord sur qui fournirait quels efforts budgétaires. « Nous avons effectivement un Comité de concertation, mais il ne fonctionne pas », affirme Moesen. Depuis sa création, le Comité de concertation n’a jamais pu se mettre d’accord sur la répartition mutuelle des efforts budgétaires. Ces dernières années, les régions et les communautés prennent acte du trajet budgétaire dessiné pour l’état collectif, sans formuler des objectifs pour les régions et communautés individuelles. Chacun a fait ce qu’il avait envie de faire, sans être sanctionné. »

À présent que l’Europe nous impose une norme de dépenses, le bon fonctionnement du Comité de Concertation devient encore plus crucial, précise Moesen. « Les années à venir, ce ne sera pas l’état fédéral, mais les entités fédérées qui feront le plus de dépenses. Ce sera surtout à elles d’investir en infrastructure, où nous sommes devant un rattrapage. Je crains que nous ne soyons pas préparés à mener à bien la distribution de la norme de dépenses sous l’état fédéral et les entités fédérées. L’Europe nous connaît déjà comme un chenapan budgétaire qui ne respecte pas les règles. On dirait que sur le plan de la norme de dépenses nous n’allons pas non plus faire bonne impression. »

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