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Waterloo 2015 : c’est la bérézina

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

L’empereur lui-même en aurait avalé son bicorne. La réunion de ce 12 juin au Commissariat général au tourisme (CGT) de la Région wallonne sur le bicentenaire de la bataille de Waterloo a tourné au pugilat verbal. Le nouvel appel d’offres lancé par le ministre Paul Furlan avantage la société Tempora, à laquelle est associé Franco Dragone. C’est en tout cas ce que dénoncent les autres candidats présents à Namur. Ils envisagent déjà d’introduire des recours. Ambiance ! Waterloo 2015 est décidément mal parti…

Le chantier du Mémorial qui doit célébrer la bataille de Waterloo aurait pu inspirer Victor Hugo. Ici aussi, c’est « une onde qui bout dans une urne trop pleine ». D’ici au 18 juin 2015, un nouveau Mémorial avec une scénographie en quatre dimensions doit voir le jour au pied de la butte du lion. La scénographie a fait l’objet d’un marché public, attribué en 2006 – après déjà moult péripéties – à la société bruxelloise Tempora, spécialisée dans la conception d’expositions. Celle-ci s’était allié Franco Dragone pour réaliser une reconstitution de la bataille en 4D (avec effets sensoriels donc).

Mais fin mars dernier, soit sept ans plus tard (!), la Région wallonne a revu sa copie et décidé de lancer un nouvel appel d’offre. « Le premier marché était un marché de conception de la scénographie. Or, personnellement, je préfère un marché  »clé sur porte » de conception et réalisation », avait justifié le ministre wallon du Tourisme Paul Furlan (PS). En outre, le budget était sensiblement raboté de 10 à 6 millions d’euros. Bref, une réunion était prévue au CGT ce 12 juin pour répondre aux questions des candidats à ce marché. Une réunion sous très haute tension. Nous y étions.

Le moins qu’on puisse écrire est que les questions posées par les huit candidats autres que Tempora, venus de Bruxelles, de Nivelles, de Welkenraedt ou de Flandre, ont embarrassé la Région wallonne, en l’occurrence Michel Guyot, premier attaché au CGT, qui était accompagné d’un juriste du cabinet Doutrelepont, spécialisé dans les marchés publics. Dès le début de la réunion, le ton était donné. « Tempora a forcément une avance sur les autres, cela fait sept ans que cette société est sur le projet. Elle a déjà touché un million d’euros pour cela. Comment pouvez-vous justifier qu’elle puisse participer équitablement à ce nouvel appel d’offres ? C’est un marché de dupes ! Un marché élargi sur mesure pour Tempora et Dragone », a lancé un candidat.

Michel Guyot a répondu que le pouvoir adjudicateur ne pouvait légalement écarter une offre sous prétexte que le soumissionnaire a déjà participé à l’étude du projet et qu’en outre Tempora avait remis tous ses documents de travail au CGT qui en avait désormais la propriété intellectuelle. Pour le reste, c’est à Tempora de prouver qu’elle n’est pas avantagée par rapport aux autres, a expliqué l’avocat du CGT. Le pouvoir adjudicateur en jugera en âme et conscience. Sur la base de quels critères ? Ce n’est pas précisé. Le hic est que les documents remis par Tempora ont été scannés et transmis aux autres candidats par e-mail : la plupart sont illisibles. Le juriste a reconnu l’erreur.

Unanimes pour dénoncer la situation, les huit candidats ont relevé d’autres anomalies dans le cahier des charges de la scénographie du Mémorial. Entre autres : le cahier impose aux soumissionnaires d’avoir au sein de leur société un expert historien depuis trois années. C’est justement le cas de Tempora, mais pas des autres… Là aussi, le CGT et le juriste de chez Doutrelepont ont du battre leur coulpe. « Vous n’avez même pas fait en sorte qu’on puisse croire que ce nouveau marché n’avantage pas un concurrent par rapport aux autres », a ricané un candidat en s’adressant à l’attaché du CGT. Pris à partie, Nicolas Esgain, chargé du projet Waterloo pour Tempora et présent à la réunion, a expliqué que la procédure et le cahier des charges avaient été fixés par le pouvoir adjudicateur, qu’il n’en était pas responsable.

Enfin, les offres pour la scénographie (mobilier, signalétique, son, lumière, matériel de projection, film 4D…) doivent être remises le 5 juillet prochain. Dans trois semaines. « Infaisable ! », ont hurlé les huit candidats, d’autant que les documents de Tempora, transmis il y a un mois, sont illisibles. Encore un désavantage, selon eux. Michel Guyot a néanmoins catégoriquement refusé de reculer le délai. A la sortie de la réunion particulièrement houleuse (du jamais vu de mémoire de soumissionnaire), les candidats envisageaient de se regrouper pour introduire des recours. « Une telle incompétence, c’est affligeant, soupirait l’un d’eux. Surtout qu’il s’agit d’argent public. » La saga de Waterloo 2015 est loin d’être terminée.

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