Carte blanche

Voici le SOS de parents en détresse

Avec le coronavirus, il y a autant de situations qu’il y a de familles, mais de nombreuses familles ont aujourd’hui en commun d’avoir la tête sous l’eau et de ne plus en sortir entre travail et enfants.

Il y a cette maman de deux enfants en bas âge à qui son employeur explique que si elle télétravaille, il faut être productive, et que sinon il faut prendre congé.

Il y a cette famille dont la maman est infirmière de nuit et le papa chauffeur poids lourd absent toute la semaine, qui ne sait pas quoi faire des enfants habituellement gardés par leur grand-mère.

Il y a ce papa qui, après s’être occupé toute la journée de sa grande de 4 ans et de sa petite de 6 mois pendant que maman travaille à l’extérieur dans un secteur « essentiel », bosse sur son PC jusqu’à tard dans la nuit.

Il y a autant de situations qu’il y a de familles, mais de nombreuses familles ont aujourd’hui en commun d’avoir la tête sous l’eau et de ne plus en sortir entre travail et enfants. Pour que les dispositions actuelles soient pleinement effectives, au bénéfice de notre santé à tous, nous nous devons de les entendre.

Alors oui, ces familles pourraient parfois mettre leurs enfants en crèche ou à la garderie, mais comme tout le monde elles tentent de limiter les risques – si elles y laissaient toutes leurs enfants, quel serait encore le sens de la mesure ? Oui, certains de ces parents pourraient tout simplement prendre congé. Mais comment feront-ils en juillet-août, quand leurs jours de vacances annuelles seront épuisés ? Et comment feront-ils si après Pâques, les écoles et crèches restent « fermées » ?

Car dorénavant, les crèches sont soumises au même régime que les écoles : accueil limité aux enfants dont les parents assurent des fonctions « de première ligne ou de soutien à cette première ligne ». Et pour autant qu’ils n’aient pas la goutte au nez : au premier signe de maladie, l’enfant est renvoyé à ses parents, même s’ils travaillent aux soins intensifs.

Ce n’est que logique. Mais ce qui serait logique aussi, c’est que des mesures de soutien aux parents suivent.

Car dans les faits, le télétravail généralisé n’est désormais envisageable que pour les parents d’enfants suffisamment grands (et encore, quand les enfants ne rencontrent pas de difficulté particulière, quand il ne faut pas superviser des travaux à domicile…). Nombre de parents d’enfants plus jeunes continuent de le tenter tant bien que mal – que faire d’autre ? – mais que le premier parent qui réussit à être productif entre les pleurs de bébé, les disputes, les « tu viens jouer ? » et les intrépides d’un an ou deux à surveiller se manifeste.

« Mais les employeurs sont compréhensifs », entend-on. Oui, parfois ; peut-être souvent. Mais pas tous : on vous renvoie à cette maman du début. Et quand bien même : est-il vraiment nécessaire de faire ressentir à tous ces parents, pendant plusieurs semaines (qui sait, plusieurs mois ?), cette culpabilité de ne jamais rien faire correctement, ce tiraillement entre conscience professionnelle et souci de ne pas laisser sa progéniture toute la journée devant la télé ? N’a-t-on pas un intérêt collectif à faire en sorte que chacun vive cette période aussi sereinement que possible pour que, tous, on tienne sur la longueur et réussisse à passer outre cette crise ?

Et encore, là, on parle des « privilégiés ». Ceux qui, certes, galèrent, mais au moins restent à la maison avec leurs enfants. Car il y a tous les autres. Les parents professionnels de la santé, de la sécurité, du commerce alimentaire, mais aussi bien sûr les puériculteurs.trices, les conducteurs.trices de bus, les éboueurs.euses… et les travailleurs actifs dans des secteurs moins essentiels, mais où le travail ne s’est pas arrêté pour autant, et où le télétravail n’est pas possible. On ne saurait tous les citer tant ils sont nombreux, et ils ont eux aussi des enfants.

Outre la Ligue des familles, le premier à intervenir sur cette question fut… un grand patron. Avant même le premier jour de suspension des cours, Marc Coucke a tweeté que toute entreprise « non essentielle » qui fermait ses portes « soulageait les parents et les écoles » (même si cette perspective ne lui était pas tellement agréable, précisait-il).

On ne peut que s’en réjouir. Toutefois, on a peut-être été distraits mais il ne semble pas qu’une foule d’entreprises aient suspendu leurs activités spontanément sur cette suggestion. L’option la plus réaliste pour remédier à une grande partie des difficultés actuelles des parents est donc plutôt à chercher du côté des pouvoirs publics.

La France a prévu un congé rémunéré à 100% du salaire (90% pris en charge par l’assurance maladie, le reste par l’employeur) pour les parents contraints d’arrêter de travailler pour s’occuper d’un enfant de moins de 16 ans. Un seul des deux parents peut en bénéficier à la fois.

Soutenir les parents, notre intérêt à tous

Alors qu’est-ce qu’on attend pour mettre ça en place en Belgique ? Selon d’aucuns, ce congé ne serait pas nécessaire car il y a des garderies dans les écoles. Ça devient difficile à comprendre : les parents sont-ils censés mettre leurs enfants à l’école, oui ou non ? Si non, que doivent-ils en faire pendant qu’ils travaillent ?

Pour d’autres, cela coûterait une fortune. Oui, c’est probablement une mesure onéreuse, tout comme de nombreuses autres mesures de crise prises, à juste titre, pour soutenir l’horeca, les commerces et d’autres secteurs durement affectés. On notera quand même que le Directeur général de l’Assurance maladie française, Nicolas Revel, indiquait il y a quelques jours que les travailleurs s’arrangeaient autrement quand c’était possible et que cette formule était « un pis-aller quand il n’y a[vait] pas de solution meilleure ». Les parents l’utilisent donc quand c’est vraiment nécessaire.

Enfin, et l’on comprend la crainte, des derniers invoquent le double risque de vider de leur personnel des secteurs essentiels et de mettre encore plus notre économie en difficulté. N’oublions pas que chaque parent d’un secteur non essentiel qui pourra prendre congé pour s’occuper des enfants libérera au contraire, ces jours-là, dans de nombreux cas, l’autre parent ; qu’aujourd’hui déjà, les parents font tout ce qu’ils peuvent pour s’en sortir, quitte à déjà s’absenter du travail ou mettre les enfants chez les grands-parents, malgré les risques, quand ils n’ont pas d’autre solution. Qu’enfin, si cette situation dure, de nombreux parents craqueront de toute façon et qu’il est préférable de prévoir dès à présent quelques jours de congé à prendre en alternance entre parents quand c’est possible que de faire face à des burn outs en série dans quelques semaines, ou à des impossibilités de fait à respecter les précautions qui s’imposent.

Les parents ne demandent pas de faveur. Ils attendent simplement qu’on leur donne les moyens de respecter les consignes pendant plusieurs semaines. C’est notre intérêt à tous.

Caroline Tirmarche, responsable du service études de la Ligue des familles

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