Les verts francophones et flamands ont célébré ensemble leurs bons résultats électoraux. © Didier Lebrun/photo news

Victoire (annoncée) d’Ecolo aux élections : d’où vient et ou mène la vague verte ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les écologistes francophones reviennent de très loin et savourent une victoire annoncée. Même si elle est moins éclatante que prévu. Cap, désormais, vers une large majorité pour attaquer l’urgence du moment. Si possible sans la N-VA.

La vague verte s’amplifie.  » C’est par ces mots que la coprésidente d’Ecolo Zakia Khattabi a salué le succès de ses troupes, le 26 mai au soir dans la salle de la Madeleine, à Bruxelles. La victoire annoncée par les sondages s’est confirmée, avec une ampleur moindre que prévu : troisième parti en Wallonie (14,5 %, + 5,9 %, 12 sièges), deuxième à Bruxelles (19,1 %, + 9 %, 15 sièges) et n’ayant pas réussi à devenir le premier groupe avec Groen à la Chambre, malgré une forte progression (21 sièges, quatre de moins que la N-VA). Les incidents de fin de campagne ont sans doute pesé dans la balance. Mais les écologistes sont en mesure d’influer sur les futures coalitions pour agir contre le réchauffement climatique. Tel était bien l’objectif clamé avant le scrutin. Le contrat est rempli. Il reste à voir comment le concrétiser dans cette Belgique qui se réveille coupée en deux.

Stéphane Hazée, très actif au sein de la commission Publifin.
Stéphane Hazée, très actif au sein de la commission Publifin.© JEAN MARC QUINET/reporters

1. La reconstruction

C’est un soulagement, profond, bien qu’il soit rendu amer par la victoire de l’extrême droite.  » On revient de loin « , soupire Zakia Khattabi. Avant de célébrer cette victoire éclatante, le parti a en effet touché le fond.  » Dans une entreprise, on parlerait de licenciement collectif : plus de 300 emplois supprimés du jour au lendemain « , écrivait Le Vif/L’Express en 2015, un an après la brutale défaite subie le 25 mai 2014. Plus de 195 000 voix perdues à la Région, 41 000 à Bruxelles, 90 000 au fédéral… : une claque. Et par-delà, la nécessité d’en tirer les leçons pour reconstruire, tant sur le plan du fonctionnement interne que de la ligne politique. Voilà la lourde tâche assignée alors au nouveau duo Zakia Khattabi-Patrick Dupriez, élu à la coprésidence le 22 mars 2015, avec 60 % des voix.

 » L’avantage de Zakia et Patrick, c’est qu’ils n’avaient pas participé aux gouvernements sortants, signale Philippe Henry, ancien ministre de l’Aménagement du territoire, redevenu député wallon. Nous avions payé, en mai 2014, le prix de notre participation : c’est très difficile de faire des réformes à la hauteur de ce que l’on annonce et de rester populaires.  »  » Sous l’impulsion des coprésidents, il y a eu une volonté de renouer avec nos fondamentaux, complète Christophe Derenne, directeur d’Etopia, le centre d’études des écologistes. Cette nouvelle direction a tenu un cap plus radical et plus proche de la société ouverte. Cela a certainement permis d’éviter les tensions en interne durant cette législature très polarisée, ce qui aurait été moins le cas sous les coprésidences précédentes.  »

La performance du duo Khattabi-Dupriez pourrait se résumer en une formule : un  » apaisement radical « , liant une posture plus intransigeante à l’extérieur avec une volonté de réconcilier toutes les énergies en interne.  » Apaisement radical ? C’est une formule intéressante « , estime Jean-Marc Nollet, nommé chef de groupe à la Chambre, puis coprésident après le départ anticipé de Patrick Dupriez, en novembre 2018.  » Jean-Marc a su forcer le destin, c’est dans son caractère, relève Philippe Henry. On aurait pu s’attendre à ce que les symboles de la participation fassent un pas de côté, mais il a occupé le terrain et, sur la base de ses forces propres, il est devenu incontournable.  »

Cette cicatrisation s’est accompagnée d’une nouvelle maturité.  » Il y a désormais chez nous la conscience aiguë que rien ne sera jamais acquis, pointe Christophe Derenne. L’électorat est flottant, nous pouvons faire des erreurs qui se paient cash, le contexte général peut évoluer. On peut dire qu’Ecolo a plus de couleurs qu’en 2014 et que notre offre politique s’est déployée, avec des idées nouvelles. Avec Jean-Marc, il y a eu, en même temps, un revival de l’Ecolo antinucléaire d’antan. On parle aujourd’hui de la notion de « réformes basculantes ». Là où nous venions avec 1 800 propositions dont 350 prioritaires, en 1999, en sachant que l’on n’en accomplirait qu’une infime partie, nous privilégions désormais quelques axes forts pour faire évoluer la société.  » Le parti qui passait des heures à palabrer lors d’assemblées générales exténuantes s’est professionnalisé.

Olivier Deleuze et Emily Hoyos, le duo qui présidait le parti au moment de la lourde défaite de 2014.
Olivier Deleuze et Emily Hoyos, le duo qui présidait le parti au moment de la lourde défaite de 2014.© VIRGINIE LEFOUR/belgaimage

2. La crédibilité retrouvée

Une chose est de se réorganiser, une autre est de le faire savoir à l’extérieur. Rapidement, Nollet & Co utilisent le Parlement comme levier. La séance plénière devient, chaque jeudi, un théâtre démocratique où fusent les révélations, où se nouent les confrontations et où s’exerce un travail de contrôle sans failles de l’exécutif.  » Le travail, il n’y a que ça qui compte, insiste Jean-Marc Nollet. Nous avons tourné à surrégime par rapport à nos capacités. Ce n’était pas seulement quantitatif, mais aussi qualitatif, avec le désir d’aller au fond des choses. Et ce fut davantage le cas encore au niveau wallon, où les autres partis nous ont refusé un groupe parlementaire. Il suffit de voir le travail abattu par Stéphane Hazée au sein de la commission Publifin.  »

 » Nous étions face au PTB qui connaissait une croissance exponentielle, en se mobilisant en dehors des assemblées, précise Philippe Henry. Nous avons fait le pari contraire. Ce n’était pas forcément évident parce que nous avions très peu de moyens. Tant au fédéral qu’au parlement de Wallonie, nous avons pourtant été parmi les plus prolifiques, que ce soit sur le nucléaire, le climat, la gouvernance avec la commission Publifin… Nous sommes peu à peu redevenus audibles, ce qui n’était pas évident après la défaite de 2014. Dans la durée, il est évident que cet investissement fut très utile.  »

Au fédéral, la transition énergétique s’impose comme un thème majeur. Les face-à-face entre Jean-Marc Nollet et la ministre libérale Marie-Christine Marghem (MR) sont récurrents.  » Le nucléaire est un dossier symbolique qui remonte à la création d’Ecolo et au mouvement « Nucléaire, non merci ! », enchaîne le coprésident. Nous n’avons rien laissé passer sur le sujet, jusqu’aux notes internes du cabinet de la ministre. Derrière tout cela, il y a évidemment l’état d’urgence absolue pour la Terre, mais, aussi une relecture des enjeux en matière d’énergies renouvelables et du travail mené lors de nos précédentes participations gouvernementales au pouvoir.  » Georges Gilkinet, qui lui succèdera en tant que chef de groupe en fin de législature, mène, quant à lui, la vie dure au vice-Premier ministre MR Didier Reynders dans le Kazakhgate et se démultiplie sur les questions financières.

Ce travail se nourrit d’un axe renforcé avec leurs homologues flamands.  » Nous avons été emportés par l’élan positif de Groen après sa progression de 2014, en particulier celle de Kristof Calvo « , souligne Jean-Marc Nollet. Le jeune Malinois d’origine catalane fait souffler un vent nouveau sur la Chambre.  » La famille Ecolo-Groen est une plus-value, considère Philippe Henry. Mais c’est aussi un travail quotidien de développer des approches communes en tenant compte des sensibilités différentes de celles de notre communauté.  » Verts francophones et flamands confrontent régulièrement leurs points de vue pour les concilier ou, à tout le moins, les comprendre.

Ecolo retrouve une crédibilité et les affaires successives – Publifin, Samusocial et autres – remettent à l’avant-plan ses revendications de bonne gouvernance. En juin 2017, écoeuré par l’attitude des socialistes, le président du CDH Benoît Lutgen fait tomber la coalition wallonne. Lors des consultations, la coprésidente Zakia Khattabi fait de la musculation avec son collègue de DéFI Olivier Maingain : c’est à qui tient la ligne la plus éthique.  » Cette séquence nous a replacé au centre du jeu, confie Philippe Henry. Mais nous étions conscients de notre faiblesse et nous ne faisions pas confiance aux autres partis. C’est pour cela que nous avons mis la barre haut, sans nous précipiter pour participer à la majorité. Notre objectif consistait à construire quelque chose de plus durable.  »

L'urgence climatique, une convergence sociétale qui pourrait stabiliser Ecolo.
L’urgence climatique, une convergence sociétale qui pourrait stabiliser Ecolo.© Nicolas Landemard/belgaimage

3. La vague climatique

Le rapport du Groupe d’experts sur le climat des Nations unies (Giec), peu avant les élections communales d’octobre 2018, renforce encore Ecolo, en raison du manque de réactivité de la classe politique face à ce défi existentiel. Charles Michel, Premier ministre, regrettera que cette actualité ait influencé le vote.  » Il n’y a pourtant pas besoin de caricaturer, embraie Philippe Henry. L’urgence climatique est indéniable. C’est un élément central de notre programme depuis toujours et c’est devenu une clé de notre progression. Il y a désormais une convergence sociétale à ce sujet. On parle tous les jours dans les médias du risque de fin de l’humanité : on ne peut pas mettre le curseur plus haut que ça. Et on assiste à une mobilisation plus positive sur l’écologie, dans tous les domaines : circuits courts, économie circulaire, isolation des bâtiments, lutte contre l’usage du plastique… Il faut apporter des réponses qui touchent au fondement de notre société.  »

Finalement, lors du scrutin local, Ecolo concrétise la  » vague verte « . Le parti renforce son assise locale avec plus de 550 conseillers communaux et neuf bourgmestres en Wallonie et à Bruxelles. Une enquête interuniversitaire montre qu’Ecolo a séduit les jeunes.  » Un élément marquant du nouveau vote écologiste, c’est qu’il se situe surtout à Bruxelles et dans les villes, précise Jérémy Dodeigne, politologue à l’université de Namur, l’un des coordinateurs de cette enquête. Il reflète les préoccupations d’une partie importante de la population en matière de qualité de vie, de mobilité douce, de pollution de l’air… On constate une progression substantielle du vote Ecolo dans la tranche des 18-35 ans, en lien avec le phénomène de « gentryfication » de nombreux quartiers des villes.  »

Cet électorat, prolonge le politologue, peut devenir structurel pour les écologistes.  » Cette demande urbaine ne va faire que se renforcer, c’est une évolution inexorable. Les marches des jeunes pour le climat témoignent aussi de cette lame de fond. Cela pourrait stabiliser Ecolo, le porter structurellement au-dessus des 14-15 % et permettre au parti de ne plus faire du yo-yo d’une élection à l’autre.  » Un fameux présage que vient de confirmer le triple scrutin de mai.  » C’est un électorat qui se dit de gauche, davantage encore que celui du PTB et du PS, ajoute le politologue. Mais il se situe aussi dans les classes supérieures. Formellement, on sort du clivage classique gauche-droite. Cette classe moyenne est prête à faire des concessions, mais soucieuse qu’on ne la touche quand même pas trop directement au niveau du portefeuille. Je ne sais pas si les dirigeants d’Ecolo en ont suffisamment pris conscience, même si un Jean-Marc Nollet peut faire ce grand écart-là.  »

Les marches des jeunes pour le climat, chaque semaine, confirment l’urgence. Et s’accompagnent de sondages amplifiant la progression écologiste. Les astres s’alignent.  » La mobilisation de la rue, nous l’avons obtenue quand même en plus de notre travail au Parlement, sourit Jean-Marc Nollet. Nous n’avons pas organisé ce mouvement-là, il s’est structuré par lui-même. C’est lorsque l’on laisse le moins de place au hasard qu’il fait le mieux les choses.  »  » Nous avons une offre politique qui entre régulièrement en résonance avec les aspirations de la société, analyse Christophe Derenne. En 1999, nous mettions l’accent sur la nécessité d’un renouveau démocratique. Aujourd’hui, une partie de la société se mobilise sur la question climatique, un de nos fondamentaux. J’ose croire qu’en Belgique francophone, c’est parti pour durer. Mais c’est loin d’être le cas en Hongrie et en Flandre, où les jeunes sont davantage attirés par le Vlaams Belang.  »

Avec Kristof Calvo (Groen), un vent nouveau a redonné du tonus à Ecolo.
Avec Kristof Calvo (Groen), un vent nouveau a redonné du tonus à Ecolo.© DIRK WAEM/belgaimage

4. Vers des coalitions climat…

Annoncé gagnant par les sondages, Ecolo a failli se faire rattraper par le mauvais sort en fin de campagne. Par manque de présence, à certains moments, sa coprésidente évitant à tout prix de se faire piéger.  » La présidence n’était pas si lisible que ça, épingle Jérémy Dodeigne. Il n’y a pas eu de ligne claire après les communales. Leur souci principal était de ne pas trop faire campagne pour ne pas se tirer une balle dans le pied…  » Les attaques à répétition du MR – pour mettre en garde contre  » un tsunami de taxes  » – et la gestion compliquée du tract communautariste distribué à Saint-Josse ont failli coûter cher.  » Il était temps pour nous que la campagne se termine, reconnaît Philippe Henry. De tels épisodes peuvent perturber le choix des indécis.  »  » Ecolo est au coeur du changement et quand tel est le cas, on subit forcément des attaques, expose Jean-Marc Nollet. Nous avons désormais le recul et l’expérience pour ne plus se laisser marcher sur les pieds. Par le passé, nous étions davantage fébriles. Quand on nous accuse de vouloir taxer la viande, on ne se laisse pas désarçonner, on sait comment réagir. L’affaire du tract, c’est autre chose, parce que c’était une erreur qui venait de notre propre camp.  » Elle a sans doute coûté quelques pourcents.

Conforté par les urnes, Ecolo doit désormais faire face à ses responsabilités. En participant à des majorités  » les plus progressistes possibles ?  » Nous nous considérons comme un parti de gauche, mais ce n’est pas pour cela que nous ne voulons pas rester au-dessus de la mêlée, nuance Philippe Henry. Quand certains évoquent la perspective d’une coalition PS-Ecolo-PTB, on sait que cette caricature visait surtout à bénéficier au MR et au PS. Cela étant, il y a eu durant cette dernière législature une majorité fédérale très problématique sur le fond, qui rend plus compliquée pour nous une coalition avec le MR. Les derniers exemples de la fin de campagne, avec les révélations au sujet des propos de Bart De Wever sur les  » razzias  » non dénoncées par le MR, n’aident pas les choses. Les libéraux nous ont en outre pris frontalement pour cible pendant la campagne et certaines caricatures laisseront des traces. Mais nous gérons certaines communes avec eux et nous avons des relations plus faciles avec certaines personnalités, comme le ministre régional Jean-Luc Crucke.  »

 » Ces tensions ont été liées au fait que les libéraux étaient seuls au fédéral lors de la précédente législature, juge Jean-Marc Nollet. Mais quand Didier Reynders ne parle plus de voiture de société mais de maison de société ou quand Charles Michel revient sans cesse avec son plan d’investissements, ils font des pas vers nous. Il est révolu le temps où Elio Di Rupo, déjà lui, pouvait se comporter comme notre grand frère. Face au défi climatique, l’ensemble de la classe politique a une responsabilité. Tous les partis francophones se déclarent d’ailleurs prêts à voter la loi climat. La science nous dit que nous avons dix ans pour agir, c’est aussi simple que cela. La seule certitude que nous avons, c’est que nous ne pourrons pas résoudre tout cela seuls. L’immense avantage, c’est qu’il y a plus d’alliés qu’auparavant. Il suffit de voir les appels des patrons ou le discours du président de l’Union wallonne des entreprises. Les convergences seront climatiques ou elles ne seront pas.  »

Des mois durant, Nollet et Khattabi ont répété ce mantra :  » C’est soit le climat, soit la N-VA.  » L’heure de vérité a sonné pour concrétiser ce dilemme existentiel.

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