Johan Van Overtveldt © Wouter Van Vooren

Van Overtveldt, 10 ans après Lehman Brothers: « Certains banquiers étaient des criminels »

Il y a dix ans, la faillite de la banque américaine Lehman Brothers précipitait le monde dans une profonde crise économico-financière. « Je peux nommer dix problèmes structurels qui pourraient encore mettre le feu aux poudres », déclare le ministre des Finances Johan Van Overtveldt à notre confrère de Knack.

La faillite d’une grande banque comme Lehman a provoqué un choc dans le monde. Personne n’avait cru que c’était possible. Van Overtveldt aussi craignait que le système financier ne s’effondre. « À l’époque, je craignais vraiment que les autorités belges ferment les banques pendant quelques jours. Je me rappelle avoir téléphoné à ma femme pour lui demander de retirer de l’argent. Je ne citerai pas de noms, mais croyez-moi: certains responsables politiques impliqués dans la crise bancaire ont également vite retiré leur argent « .

Étions-nous au bord d’un « meltdown », l’effondrement total du système économique et financier?

Johan Van Overtveldt : Nous en étions très proches, j’en suis convaincu. À un certain moment, la défiance était telle que les institutions financières ne se donnaient plus d’argent, ainsi qu’aux autres entreprises. Les banques centrales, qui avaient tiré les leçons de la crise des années 1930, ont alors repris ce rôle. Et heureusement, car sinon la situation aurait été atroce. Nous aurions alors connu une avalanche de faillites, des entreprises incapables de payer les salaires, l’ONSS, leurs dettes, etc. Si les banques centrales n’étaient pas intervenues, la vie économique aurait été pratiquement paralysée.

Dans votre livre, vous écrivez que la chute de Lehman « a eu un impact plus profond sur le sort de l’humanité que le 11 septembre ».

Ce sont, bien sûr, deux événements qui ont ébranlé le monde, mais j’associe davantage la montée du populisme à la chute de Lehman qu’aux attaques terroristes. Les gens ont perdu leur argent et parfois leur travail à cause de la crise financière. C’est là que la défiance de l’élite a augmenté: les banquiers ont pris des risques irresponsables, ils ont empoché des bonus importants et les superviseurs et dirigeants politiques les ont laissés faire. « Est-ce que ces cocos savent ce qu’ils font », disait-on de manière populiste, on parlait de « connards de banquiers » …

En août 2008, vous évoquiez les « hooligans en costume rayé » dans l’hebdomadaire Trends.

Vraiment ? Eh bien, certains banquiers étaient aussi des criminels, qui prenaient des risques inadmissibles et empochaient leur bonus en se disant « après nous le déluge ». En Irlande et en Islande, les banquiers ont été condamnés à juste titre à des peines de prison.

Chez nous, les banquiers et les superviseurs qui n’ont rien remarqué ont pu s’échapper.

Chez nous, les procédures judiciaires se sont déroulées comme elles se sont déroulées, et en tant que ministre des Finances je n’ai pas à les commenter. Mais si tout le système financier tourne mal, c’est très difficile pour un banquier individuel de ne pas commettre d’erreurs. Si toutes les banques prennent des risques très élevés et par conséquent obtiennent un rendement élevé, il est presque impossible de ne pas participer sans être pénalisé par les actionnaires et les marchés financiers.

Pendant tout ce temps, les régulateurs et les autorités politiques observaient, sans intervenir. Ils sont également en partie responsables du débordement de la situation.

Les choses ont-elles changé depuis?

Très certainement. Les conseils d’administration mettent désormais davantage l’accent sur le profit à long terme. Les banques doivent constituer de grandes réserves de capital, donc si quelque chose ne va pas maintenant, elles devraient pouvoir mieux absorber les pertes. Et la réglementation et la supervision des institutions financières ont été renforcées.

Et donc le secteur financier fait du lobbying auprès de vous pour assouplir les règles?

Oui. Les banques peuvent défendre leurs intérêts. Après, je dirai quelque chose que les banques feraient bien d’écouter: si elles constituent une plus grande réserve et mettent donc plus de capital de côté au cas où la situation tourne mal, on peut jeter une grande partie de la réglementation à la poubelle. Mais ce capital ne rapporte pas, et les banquiers ne sont donc pas très enthousiastes. Mais il faut soit des règles strictes, soit une réserve de capital plus importante.

En Belgique, une banque pourrait-elle encore faire faillite?

(réfléchit) Il est concevable qu’une banque rencontre des difficultés, en Belgique ou dans tout autre pays. Mais je suis convaincu que nous avons les outils pour l’absorber, de sorte que cela n’aura plus un impact énorme sur notre économie, comme il y a dix ans.

Les crises font-elles partie du capitalisme?

Oui, pour la simple raison que la prise de risques joue un rôle crucial dans une économie de marché libre capitaliste. Ce système a assuré le progrès et la prospérité, mais parfois aussi des moments macabres. Et parfois, il suffit de presque rien pour mettre le feu aux poudres. Une étincelle peut suffire. Les décideurs politiques doivent donc être constamment en alerte.

Quelle pourrait être cette étincelle aujourd’hui ?

Je peux vous énumérer dix problèmes structurels qui entrent en ligne de compte aujourd’hui.

Allez-y.

Un: il faudra un jour que la politique de taux bas de la Banque centrale européenne (BCE) prenne fin. Comment l’économie va-t-elle digérer cela? Deux: l’imprévisibilité du président américain Donald Trump. Que pouvons-nous encore attendre de lui? Trois: y aura-t-il une guerre commerciale? Quatre: quelles sont les conséquences du Brexit? Cinq: combien de temps l’euro peut-il rester à flot sans que l’Union monétaire européenne soit finalisée? Six: la Chine peut-elle continuer à croître à ce rythme? Sept: comment des pays très incertains tels que le Venezuela, l’Argentine, le Brésil, l’Afrique du Sud et l’ensemble du Moyen-Orient vont-ils évoluer politiquement? Huit: que feront les pays émergents avec les dettes élevées, en particulier dans le secteur privé? Neuf: combien de temps les États-Unis peuvent-ils encore vivre avec les déficits publics élevés, surtout si la croissance économique ralentit? Et dix: sommes-nous capables de maîtriser une cyberattaque? Voilà dix instigateurs potentiels d’une crise mondiale.

Qu’est-ce qui vous effraie le plus?

Chaque année, les cracks du Fonds monétaire international donnent un aperçu des plus grands risques pour l’économie internationale. La cybersécurité est numéro un depuis trois ans. C’est plutôt une inconnue: nous n’avons aucune idée de ce qui peut nous arriver. On m’a dit qu’il y a des banques américaines qui font face à parfois 200 cyberattaques par jour. Et si une telle cyberattaque – d’où qu’elle vienne – réussisse par exemple à paralyser les paiements internationaux? Ça donne froid dans le dos.

Qu’est-ce que vous craignez le plus ?

Je suis le plus inquiet pour la Chine. La dette augmente si vite que cela ne peut pas continuer. Qu’en est-il de la stabilité du modèle chinois si la croissance économique diminue? Le système de parti unique va-t-il survivre? La situation aux États-Unis est également très préoccupante: le président Trump stimule énormément l’économie américaine. L’économie croît de 4%, mais le déficit budgétaire est de 5%. Avec une telle croissance, il faudrait un budget en équilibre. Et si la croissance baisse demain? Alors, le déficit atteint rapidement les 8, peut-être 10% du PIB. Tôt ou tard, les États-Unis devront vivre selon leurs moyens: soit en réduisant les coûts, soit en annulant certaines réductions d’impôts. Quels effets de choc cela causera-t-il?

Vous parlez de la Chine et de l’Amérique. Qu’en est-il de l’Europe ?

Combien de temps la Banque centrale européenne peut-elle maintenir les taux d’intérêt si bas? Je n’ai que des éloges pour la manière dont les banques centrales et la BCE ont affronté la crise financière entre 2007 et 2009. Elles ont notamment maintenu les taux d’intérêt bas pour que tout le monde puisse obtenir de l’argent bon marché. Mais la BCE n’a-t-elle continué trop longtemps? Ce genre de politique profite à tous ceux qui ont des dettes. Mais un jour les taux d’intérêt remonteront une fois de plus, et tous ceux qui ont des dettes risquent d’avoir plus de mal. Ce serait un moment difficile en Europe.

La Belgique par exemple, a une dette publique importante.

Notre dette a baissé de 108% du PIB à 101% au cours des quatre dernières années. Vous pouvez dire que c’est insuffisant, mais en tout cas, elle n’a pas augmenté comme dans d’autres pays. Eh bien, cela reste trop élevé, et c’est pourquoi il est très important que nous équilibrions un budget, ou du moins le plus possible. Si vous faites ça pendant dix ans, le taux d’endettement chute drastiquement.

Malgré les promesses, le gouvernement Michel n’a pas réussi à clôturer un budget en équilibre ?

Le résultat du budget aurait pu être meilleur. Mais nous sommes partis avec un déficit de 3% cette année, qui sera de 0,9% et de 0,5% du PIB l’année prochaine …

Si on se base sur les chiffres du Bureau du Plan, on voit que le déficit budgétaire augmenterait à nouveau à 1,8% l’année prochaine.

Nous avons déjà prouvé par le passé que les chiffres définitifs étaient souvent meilleurs que les pronostics. Je suis convaincu que ce sera à nouveau le cas. Ce chiffre ne tient pas compte des ajustements effectués par le gouvernement cet été ou de l’accord sur le travail. C’est aussi un chiffre qui met tous les budgets de la Belgique dans le même sac, alors que nous ne sommes responsables que de la partie fédérale. Notre déficit budgétaire s’est amélioré quoi qu’il en soit. Et nous avons choisi de réduire la pression fiscale en même temps.

Pour parvenir à un équilibre budgétaire, nous aurions dû réduire davantage nos dépenses, mais cela s’est révélé un exercice difficile pour ce gouvernement de coalition. Nous avons bel et bien fait quelque chose, mais j’aurais aimé en faire plus. Vous ne pouvez pas dire que nous n’avons rien fait sur le plan budgétaire, comme je l’entends ici et là. Nous avons parcouru les trois quarts de la route. Conclusion: nous ne sommes certainement pas recalés, mais nous n’obtenons pas non plus de distinction.

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