Le centre de Fedasil à Poelkapelle. © Belga

Vaccination au Covid: prisons, centres d’asile et hôpitaux psychiatriques parmi les prioritaires?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le Vif/L’Express dévoile l’avis du Comité consultatif de bioéthique qui met l’accent sur la solidarité et propose que l’on vaccine prioritairement « les personnes vivant, travaillant ou transitant par des structures collectives d’accueil (hôpitaux psychiatriques, prisons, centres d’asile) ». Et propose un débat sur le vaccin obligatoire.

Le Comité consultatif bioéthique diffuse un avis pour conseiller le gouvernement dans le choix des publics prioritaires pour la vaccination contre la Covid. Il prolonge la réflexion sur le choix des publics à vacciner – en insistant sur la solidarité à l’égard des publics les plus fragiles – afin d’accompagner la campagne qui pourrait finalement débuter avant le 5 janvier: l’Union européenne a annoncé un lancement le 27 décembre. Et il propose d’ouvrir un débat public sur le caractère obligatoire du vaccin, si l’on veut tendre vers une immunité collective.

Le Vif/L’Express présente ce texte en primeur.

Le fruit d’une longue réflexion

« Il n’a échappé à personne, et certainement pas aux membres du Comité, que le monde traverse une situation exceptionnelle que certains ont appelé un fait social total, parce que cela engage tous les aspects de la vie collective, mais aussi individuelle, explique Virginie Pirard, membre du Comité et Co-présidente francophone de la commission restreinte qui a élaboré cet avis sur les vaccins. C’est un facteur fragilisant énorme – on voit les effets que cela provoque sur la santé mentale – et les premières annonces positives sur les vaccins ont été un souffle d’air frais. Néanmoins, on sait très bien que les citoyens se posent des questions sur la légitimité du recours à la vaccination, sur son sens, sur les risques pour eux. Ces inquiétudes ont fini par émerger et ce n’est pas l’usure due à la crise qui les érodes. Il y a un terrain propice aux inquiétudes parce que la conception de ces vaccins a été très vite et parce que l’on utilise des nouvelles technologies. Ces questions sont légitimes et il faut y répondre . »

Le Comité consultatif bioéthique a mené des concertations en permanence à ce sujet avec le Conseil supérieur de la santé ou avec les autorités, telles que la Task force. « Il y a là un enjeu éthique auquel on ne pouvait pas se dérober, souligne Virginie Pirard, respojsable de la Cellule éthique à l’lnstitut Pasteur, éthicienne, juriste et philosophe. C’est un appui vigilant parce que notre Comité est un groupe de 43 personnes, totalement indépendantes, qui ont des affiliations institutionnelles, philosophiques, politiques et linguistiques très différentes. » Voilà pourquoi ce groupe a émis une réflexion singulière, spontanée, bienvenue à l’heure de ces choix délicats.

 » En 2009, la Comité avait publié un avis qui proposait un plan opérationnel pour la Belgique dans le contexte de la grippe HI/N1, rappelle la présidente du Comité consultatif de bioéthique, Florence Caeymaex. Pendant la première vague de la pandémie actuelle, pas mal de journalistes et de personnes savantes sont retournées vers cet avis qui contenait déjà des indications précises sur toute une série de mesures à prendre. Le constat fait pendant le printemps, c’était que beaucoup des recommandations n’avaient pas été suivies. En septembre, nous avons installé sur une commission restreinte pour actualiser tout cela, mais aussi sur l’opérationnalité de la vaccination. Nous avions commencé des consultations, des lectures… Les annonces des bons résultats des essais en phase 3 et le calendrier gouvernemental ont accéléré les choses, mais nous avons pu réagir rapidement grâce à tout le travail préalable. »

Un débat sur le caractère obligatoire

Le gouvernement a choisi: le vaccin sera mis à disposition gratuitement et sur base volontaire. En d’autres termes, il ne sera pas obligatoire. Si le Comité approuve ce choix, il n’en souhaite pas moins qu’un large débat se prolonge. Il « souhaite que la réflexion et la discussion puissent être ouvertes au sein de notre société sur l’étendue de la couverture vaccinale: souhaite-t-on se limiter à la protection des personnes identifiées comme les plus fragiles ou vise-t-on une couverture plus large, qui protégerait aussi les personnes qui ne peuvent être vaccinées en raison de contre-indications médicales? Dans ce dernier cas, il est possible qu’il faille envisager le recours à une vaccination partiellement ou totalement obligatoire. Le Comité encourage la discussion sur ce point. »

Si on veut tendre vers l’immunité collective, ce débat doit avoir lieu. « Personne ne sait ce qui va se passer dans les mois à venir, soulignent nos interlocutrices. Mais si seules les personnes à risque sont vaccinées ou uniquement celles qui sont convaincues, le risque est grand que l’on n’atteigne pas l’immunté collective, en effet, et que le virus continue à circuler. Cela voudrait dire que des personnes à risque, qui ne peuvent pas être screenées parce que cela dépend notamment de critères génétiques que l’on ne connait pas encore très bien, pourraient être lourdement touchées par cette maladie, se retrouver aux soins intensifs, voire mourir. »

Le Comité est en phase avec le caractère volontaire, « mais il ne faut pas se cacher du fait que cela ne pourrait pas suffire ». « Peut-être qu’une vie normale ne pourra être retrouvée que quand il y aura uen immunité collective et ça, cela demande peut-être des ajustements ».

Voici les publics prioritaires suggérés

Un autre volet important concerne la priorisation des populations à vacciner. Les premiers publics qui seront vaccinés durant la première phase de la campagne ont été choisis, suivant d’ailleurs une consultation du Comité bioéthique. Les personnes en maisons de repos et maisons de repos et de soins (MR et MRS), viennent en premier lieu devant les soignants exposés, puis les personnes entre 45 et 65 ans présentant des co-morbidités. « La priorisation entre personnes et groupes de population pour recevoir le vaccin doit tenir compte des critères médicaux et de certaines valeurs éthiques reconnues comme fondamentales en la matière, précise le Comité. Le risque vital, la préservation du fonctionnement de base de la communauté, la solidarité et l’équité sont centraux, par exemple l’équité impose de tenir compte que certains publics sont plus fragilisés, au plan de la santé par leur circonstances de vie. »

Pour ces raisons, le Comité propose d’ajouter deux nouveaux groupes aux publics prioritaires. Premièrement: « Les personnes de moins de 45 ans présentant un affection grave à risque vital les prédisposant à un forme grave de la COVID-19 (ex. mucoviscidose, dialyse, personnes en attentes de greffe…) selon une liste à établir par le Conseil supérieur de la santé. » Deuxièmement » « Les personnes vivant, travaillant ou transitant par des structures collectives d’accueil (hôpitaux psychiatriques, prisons, centres d’asile) dès lors qu’elles sont (i) exposées à une promiscuité importante et à des conditions sanitaires précaires et/ou (ii) qu’elles ne sont pas en mesure (du fait de leur pathologie et/ou de leurs conditions de vie) d’adopter et de maintenir les gestes barrières. »

Priorité à la solidarité

« Nous portons plus loin la logique de prendre en compte les ‘poches’ (ou lieux) de socialisation collective, explique Virginie Pirard. Nous prenons compte aussi les lieux de grande pauvreté, les centres d’asile, pour des raisons de solidarité et d’équité. L’idée, c’est vraiment que tout le monde a droit à une protection, en particulier ceux qui sont dans une situation qui ne leur permettent pas d’assurer leur propre protection, ce qui est le cas des lieux précarisés ou marqué par grande promiscuité. C’est tout à fait remarquable que le Comité ait porté cette recommandation d’une seule voix parce que politiquement, tout le monde n’a pas forcément intérêt à dire que l’on va vacciner les personnes en centres d’asile ou les détenus. Il faut vraiment voir dans cet avis la force de la réflexion éthique. Nous nous sommes vraiment entendus sur la notion d’équité envers les publics précaires: d’une façon objective, on constate que certaines situations de vie vous conduisent à avoir une santé beaucoup plus fragile, quelle que soit votre responsabilité dans ce parcours de vie. »

C’est un conseil aux politiques, qui est aussi une interpellation. « Le Comité propose, le politique dispose, prolonge la co-présidente de la commission. Mais nous essayons d’aller le plus loin possible dans la réflexion. Ces publics-là, ils n’ont pas été établis à la bas sur une base idéologique préconcue (le Comité est d’ailleurs complètement diversifié sous cet angle). Nous avons croisé tous les risques de mortalité, de comorbidité, d’infection, de contamination et on a conjoint à cela des valeurs éthiques: la solidarité, la réciprocité, l’équité et la maximisation des bénéfices/ réduction des dommages. Ce n’est pas une classification idéologique. Mêle s’il y a une classifiation qui est fondée sur des valeurs éthiques sur lesquelles les membres du Comité ont pu se mettre d’accord. »

La catégorie des femmes enceinntes est prioritaire, mais non classée en raison de l’insuffisance des donnée scientifique sur ce sujet, il est trop tôt pour faire une recommandation.Le Comité propose néanmoins des pistes pour avancer et sollicter les données qui sont nécessaires pour ce groupe.

« Ce qui est très important dans cet avis, c’est la méthode, appuie Florence Caeymaex. Il est évident de prendre des critères scientifiques et médicaux, mais la spécificité de cet avis, c’est qu’il a croisé ces éléments avec des valeurs ! Nous ne sommes pas les seuls à l’avoir fait, c’est une démarche qui a été encouragée par l’OMS : nous avons des devoirs les uns vis-à-vis des autres. C’est pratiquement une vision du monde de demain que l’on pose là. Les valeurs ont un pouvoir politique, éthique et morall, mais elles sont aussi de nature à renforcer la stratégie d’immunité collective elle-même. C’est peut-être un shift dans notre histoire politique, démontrant l’importance des valeurs collectives. Nous retrouvons à travers le virus les interdépendances quasi biologiques des êtres humains entre eux et avec leur environnement. »

Voici les professions essentielles proposées

En ce qui concerne les professions essentielles, la solidarité se trouve aussi au coeur de la réflexion. Le Comité « est conscient que certaines activités, qui participent du maintien sécurisé du fonctionnement de base de la vie en communauté ne peuvent être faites à distance et que les personnes qui assurent ces activités prennent un risque pour elles et leurs proches au bénéfice de la société « . Et il a « conscience du débat très vif que provoque le terme de ‘fonctions essentielles' ».

« Pour autant et bien que cela soit très difficile, une suspension temporaire de certaines de ces contributions peut être supportée, dans des circonstances exceptionnelles (comme c’est le cas avec l’actuelle pandémie) et lorsque cela est requis pour assurer la sécurité de tous et la protection des plus fragiles, souligne l’avis. D’autres contributions ne peuvent, par contre, être suspendues sous peine de causer, voire d’aggraver un danger pour la collectivité et pour les publics les plus fragiles au sein de celle-ci. »

Le Comité dresse une liste indicative de ces activités (pour autant qu’elles ne puissent être réalisées en distanciel) liées au maintien:

– des circuits d’approvisionnement et de mise à disposition des produits d’alimentation et autres biens indispensables ; du gaz, de l’eau et de l’électricité et d’accès au réseau numérique,

– des services de collecte des ordures et d’hygiène,

– des services de secours et de sécurité,

– des services de soins hospitaliers et para-hospitaliers (en ce compris les consultations ONE/Kind & Gezin, les centres de planning familial, les centres de santé mentale,…),

– des services d’accueil, d’encadrement et d’éducation des enfants et adolescents, en particulier ceux à destination des publics les plus fragiles

– des services d’accueil et de prise en charge des personnes handicapées et des publics à besoins spécifiques, en particulier ceux à destination des publics les plus fragiles

– des services d’aide urgente aux justiciables, ainsi que des services qui, au sein du secteur de la Justice, ne sauraient être suspendus sans faire courir à la collectivité un risque grave d’atteinte aux personnes et/ou aux biens.

– des services funéraires (inhumation et crémation).

Pour les jeunes, on temporise

En ce qui concerne les jeunes, le Comité consultatif de bioéthique est à la fois attentif et prudent: « En l’état actuel des connaissances scientifiques1, il n’y a pas encore de preuve d’efficacité des candidats vaccins testés sur des populations en dessous de 18 ans et nous ne disposons pas encore des preuves scientifiques de l’impact potentiel de la vaccination anti-COVID-19 sur ce paramètre. Ceci ne permet pas, pour le moment, de considérer les jeunes comme une catégorie prioritaire. Néanmoins, le Comité attire l’attention sur le fait qu’en diminuant le nombre d’occurrence des formes graves de la maladie, ce qui est le but de la stratégie vaccinale actuellement arrêtée, le risque de saturation des capacités, et des hôpitaux et unités de soins intensifs, devrait être considérablement amoindri, ce qui, en retour, permettra a priori d’alléger progressivement les restrictions actuellement mises en place. »

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