La rédaction du Vif

Une sacrée paire invite Aurélie William Levaux: toutes les limites du féminisme

Durant six numéros, ces chroniques estivales s’ouvrent à d’autres plumes et d’autres points de vue, pour d’autant mieux questionner les inégalités de genre au sein de la société. Après l’artiste Aurélie William Levaux dans ce deuxième épisode, retrouvez le 29 juillet la militante du mouvement childfree Bettina Zourli.

J’entendais aux infos que pour lutter contre la précarité des femmes, les Etats pensaient installer des distributeurs de tampons hygiéniques dans les écoles, les salles d’attente, la rue. On était d’accord qu’en plus d’être toxiques et pas du tout écologiques, les tampons, c’était très cher. Je trouvais vraiment très beau que les Etats se manifestent, mais cette manière de s’autocongratuler à fond de leur bonté envers les pauvres pour laisser à penser que la précarité ne se limitait qu’à ça, et que sinon, ça allait plutôt franchement très bien me semblait un rien sournoise. Y aurait-il eu moyen, à la place, de poser des distributeurs de bouffe, d’offrir des logements à ceux qui n’en avaient pas, de rendre les transports en commun gratuits, les études accessibles à tous et d’arrêter de supprimer des emplois afin qu’ils puissent, ces pauvres, être en mesure d’acheter des tampons? Non, bien entendu. Ces gestes minuscules étaient toujours évoqués en fanfare pour camoufler les montagnes d’injustices et on se servait particulièrement de la cause des femmes pour faire office de fleur sur la merde. Vous voyez, pour les femmes, ça avance bien, ce monde est bien plus confortable qu’autrefois, pouvait-on entendre. Le problème était que, si la condition féminine s’améliorait en apparence, ça allait vachement moins bien pour l’ensemble, pour le peuple en général, dont les femmes faisaient évidemment partie.

Les nouvelles fu0026#xE9;ministes ne se rendaient pas compte qu’elles tombaient dans un autre piu0026#xE8;ge, celui du retour u0026#xE0; la case u0022femmeu0022.

On ne comptait plus les revues, les émissions, les maisons d’édition dédiées qui voulaient les mettre à l’honneur, qui citaient les figures féminines de l’histoire. Les classer dans des répertoires genrés me semblait le comble de la connerie. Qu’elles aient changé les choses, c’était très clair, qu’elle aient été féministes, ça allait de soi quand on souhaitait la justice et l’équité, mais les regrouper, toutes causes confondues, minorait ce qu’elles avaient pu mettre en place. Quels étaient les points communs entre Olympe de Gouge, Louise Michel, Florence Arthaud, Laurie Anderson, soeur Emmanuelle, Virginia Woolf, Rosa Parks, Jeannie Longo et Maïté sinon d’être des meufs? Auraient-elles été heureuses de se retrouver dans un dictionnaire spécial sexe faible, n’était-ce pas un peu rétrograde et injurieux?

Les nouvelles féministes ne semblaient pas s’apercevoir du sexisme et du ségrégationnisme moderne induit par ces actions tendance. Elles ne se rendaient pas compte que si on les laissait se balader avec des banderoles, crier haut et fort leur émancipation et faire un focus sur ce qu’elles avaient entre les jambes, elles tombaient dans un autre piège, celui du retour à la case « femme ». Obnubilées par leur sujet, elles semblaient oublier que leurs aînées n’avaient pas eu d’unique combat que celui-ci et que l’attention portée à cette seule lutte contribuait à négliger ou passer sous silence les urgences actuelles et l’effondrement global de nos systèmes malades dont elles seraient sans nul doute les premières victimes.

Et bien entendu, si on me proposait de produire un texte, en général, ce n’était pas pour causer de la culture piétinée, de la dictature sanitaire, de la corruption de l’Etat ou la propagande médiatique, non, on me proposait d’écrire autour du patriarcat et des questions de genre. Pas parce que ce seraient mes sujets de prédilection, quoique je ne puisse que constater à quel point l’homme blanc nous avait bien fichu dans la mouise de façon parfaitement abrutie et cela plus du fait de son adhérence au néolibéralisme que de sa paire de couilles, à mon avis. Non, si on me proposait ces thèmes, c’était simplement parce que j’étais un auteur porteur de chatte. Quand on portait une chatte, on devait être en mesure de s’en exprimer, bien plus qu’à propos du reste si possible.

Alors, pour ne pas m’empêtrer moi-même dans la victimisation, je terminerai en lançant la perche tendue ici pour proposer au magazine qui m’accueille d’y avoir une régulière chronique politique ou même sportive. Je suis dispo, et si ça peut me permettre de sortir de la féminine précarité sans devoir en passer par les distributeurs de tampons, j’aurais vraiment l’impression que, oui, nous avons fait un bond en avant et que la voix de la femme, mais aussi celle de l’artiste, de l’auteur, sont réellement importantes dans nos sociétés ébouriffantes de progressisme.

Un article d’Aurélie William Levaux

« Née dans la campagne belge en 1981, Aurélie William Levaux travaille de manière compulsive, maladroite et désorganisée. » C’est elle-même qui l’a écrit dans la petite bio à l’arrière de son roman Bataille (pas l’auteur) publié en 2019 (éd. Cambourakis). La campagne, c’est la périphérie liégeoise, Oupeye plus précisément. Le travail, ce fut d’abord du dessin, des bandes dessinées, de la broderie, du roman graphique puis du roman tout seul. Avec, sur la forme, une prédilection pour le tissu comme support de ses oeuvres. Et, sur le fond, un intérêt certain pour les questions de justice sociale.

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