Aurelie Herman

Une sacrée paire invite Aurélie Herman: à quand un Coca Tessa Wullaert? (chronique)

Aurelie Herman Journaliste pour Sport/Foot Magazine

Durant six numéros, ces chroniques estivales s’ouvrent à d’autres plumes et d’autres points de vue, pour d’autant mieux questionner les inégalités de genre au sein de la société. Après la journaliste sportive Aurélie Herman qui entame la série, retrouvez le 15 juillet l’artiste Aurélie William Levaux.

Vous savez ce qu’il y a de plus chiant quand on suit le foot féminin pour un média sportif? Non, Jeannot, pas la lenteur du jeu ou les gardiennes nulles. Le pire là-dedans, c’est de devoir troquer son training de flemmarde qui scribouille sur des gens qui s’amusent avec une balle pour le vrai bleu de chauffe de celle qui doit constamment rappeler les différences parfois abyssales qui subsistent entre les joueuses et leurs homologues mecs. Le tout en maintenant au mieux l’équilibre entre revendications légitimes et mur des lamentations relou, telle la n°9 au moment de claquer sa reprise de volée direction la lunette adverse. Rien de pire, en effet, que de se retrouver victimisée dans les gazettes quand celles-ci se décident à parler de ce qui se trame du côté des vestiaires féminins.

Evoluer dans la section fu0026#xE9;minine des meilleurs clubs du royaume, c’est tout au plus se garantir un revenu que renierait presque un smicard en fin de droits.

Mais voilà, impossible de passer sous silence le fait qu’à l’Euro 2022, la Belgique, pourtant 18e nation mondiale, alignera une majorité de semi-pros dans son onze de base. Comme il serait malhonnête de se féliciter de la folle saison des Anderlechtoises, sans rappeler que leur Soulier d’or Tine De Caigny bossait à mi-temps dans l’équivalent d’un Decathlon pour arrondir ses fins de mois, avant de prendre sa voiture direction le centre d’entraînement des Mauves pour finir sa journée à 22 heures. Que malgré une diffusion télé des matchs acquise en juillet 2020 (une première), évoluer dans la section féminine des meilleurs clubs du royaume, c’est tout au plus se garantir un revenu que renierait presque un smicard en fin de droits. Vous la sentez pointer, là, la victimisation?

Pas le choix, hélas. Mais il y a peut-être pire encore que ces histoires d’égalité salariale, qui elle-même se discute. Suivre le foot féminin, c’est aussi devoir se coltiner le souvenir de cet abominable cri. Celui de Kassandra Missipo, cadre des Red Flames et du Sporting, au moment de se déchirer les ligaments du genou sur le synthétique dégueulasse du Crossing de Schaerbeek. Une arène indigne d’accueillir un choc du championnat féminin. Conséquence: une carrière mise entre parenthèses pour des mois. Voir la milieu quitter la pelouse en pleurs et portée par ses équipières, faute de disposer d’une civière dans l’enceinte schaerbeekoise, reste assurément l’un des moments les plus pénibles de la saison. Ou honteux, c’est selon. « Coup de bol », les caméras d’Eleven n’en ont rien raté, histoire de rajouter encore un peu plus à la dramaturgie du moment.

Ironiquement, Missipo avait déjà alerté sur les différences de traitement entre hommes et femmes dans une lettre ouverte censée élargir le débat au-delà du seul pognon. Dans son cas, ce sont les infrastructures qui ont fait défaut, lui faisant payer au prix fort le manque de considération de sa discipline par… beaucoup de monde: public, sponsors, directions de club, dont les budgets annuels alloués à leur aile féminine équivalent souvent au salaire d’un seul de leurs joueurs. Et nous, médias, qui n’offrons que 10% de nos espaces aux sportives en général, encore moins aux footeuses. Trop peu, pour une discipline qui consacre les égéries du sport le plus populaire de la planète.

Mais restons positifs, les choses avancent, entre un mouvement planétaire baptisé #MeToo, un Mondial 2019 à la popularité inédite, des investissements de plus en plus importants et les résultats qui vont avec. Et si la route vers l’égalité signifie boire un Coca « Tessa Wullaert » ou s’enfiler une barre de chocolat « Janice Cayman », bah, on est limite prêts à l’accepter. Accepter que le foot féminin se compromette un peu dans le foot business, quitte à perdre un soupçon d’ âme pour offrir des conditions de travail décentes à ses joueuses. De toute façon, on est tellement loin des standards délirants des hommes qu’il reste une certaine marge avant de sombrer dans ce grand n’importe quoi footballistique. Et puis, on ne va pas se mentir, si on veut arrêter de s’emmerder les étés impairs, précisément ceux censés être le théâtre des grands tournois internationaux féminins hors Covid, il va bien falloir que la montée en puissance se poursuive pour nos Red Flames. Il en va de la survie de l’Horeca, Mesdames!

Aurélie Herman

Dans l’ours (pour les non-initiés: encadré, dans un magazine, reprenant l’ensemble des membres d’une rédaction) de Sport/Foot Magazine, elle est le seul nom féminin. Aurélie Herman n’a pas dû croiser des tas de consoeurs non plus, lors des conférences de presse des clubs de foot masculins où elle a débuté sa carrière comme journaliste sportive. Diplômée en 2011 de l’Ihecs, passée par deux télés locales et par une radio, elle a ensuite couvert le football international pour la DH. Un peu de tennis, aussi, puis des articles « voyages » pour La Libre. Pour Sport/Foot, elle écrit désormais sur le football féminin, une discipline où s’entremêlent forcément les questions de différences de traitement, de considération entre les hommes et les femmes.

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