Mélanie Geelkens

Une sacrée paire de pionnières : Eliane Vogel-Polsky, juriste et féministe

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

« Je plaide gratis, mais donnez- moi des cas ! » Eliane Vogel-Polsky (photo) arpente les réunions syndicales mais toutes les femmes qu’elle approche refusent d’un « désolée, trop risqué ». L’avocate bruxelloise fulmine, mais continue à chercher.

Elle a déjà adressé des tonnes de courriers à des tas de juristes européens, qui lui ont répondu d’un sourire mi-poli mi-indulgent, comme si elle était  » la féministe de service que son féminisme aveuglait  » (1). De quoi la rendre  » folle furieuse  » mais persévérante : puisque tout le monde semble se foutre de l’article 119, elle ira devant les tribunaux !

Car Eliane Vogel-Polsky en est persuadée : l’article 119 du traité de Rome, qui prévoit  » l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et féminins pour un même travail « , aurait dû être appliqué directement dans les Etats membres qui l’avaient ratifié, en 1957. Près de dix ans plus tard, tous les pays signataires – dont la Belgique – continuent à s’asseoir dessus et les femmes gagnent parfois 40 % de moins que les hommes occupant une fonction égale.

 » L’article 119 existe et tout le monde fait comme s’il n’existait pas ! « , peste l’avocate lors d’un meeting syndical organisé par la FGTB en 1965. Dans la salle, trois ouvrières de la FN Herstal. Sans le savoir, Eliane Vogel-Polsky vient d’allumer la mèche de la grève des  » femmes-machines « , qui scanderont  » A travail égal, salaire égal  » durant douze semaines.  » Je me suis rendu compte alors que le droit était un outil pouvant réellement servir une lutte, dira plus tard la juriste. Ce fut mon révélateur personnel qui m’a menée au féminisme.  »

Mais son cas, celui qu’elle cherchait tant pour ester en justice, se présente en 1968. Gabrielle Defrenne, hôtesse de l’air, vient d’avoir 40 ans. Et de recevoir son C4. Cadeau de la Sabena ! Trop vieille pour voler, Madame, merci de dégager. Mais ceux qu’on n’appelait pas encore stewards, eux, pouvaient bosser jusqu’à 55 ans, bénéficiant par conséquent de meilleurs droits à la pension.

Gabrielle Defrenne, hôtesse de l’air, vient d’avoir 40 ans. Et de recevoir son C4. Cadeau de la Sabena ! Trop vieille pour voler, Madame, merci de dégager.

La première action devant le Conseil d’Etat est un échec, mais Eliane Vogel-Polsky et Gabrielle Defrenne assignent la Sabena une seconde fois. Tribunal du travail de Bruxelles, Cour du travail (deux fois) puis Cour de justice des Communautés européennes : huit ans de combat juridique pour que l’applicabilité directe de l’article 119 soit reconnue.  » L’Etat et les employeurs auraient dû le mettre en oeuvre pour le 31 décembre 1961, jubile l’avocate. La Cour reconnaît même que c’est un droit fondamental. Donc, c’est un arrêt sublime.  »

L’arrêt  » Defrenne II  » ne fera pas disparaître les différences de rémunération (qui, en 1979, atteignent 29 %), mais engendrera toute une série de mesures pour entamer leur (lente) résorption. Décédée le 13 novembre 2015, à l’âge de 90 ans, Eliane Vogel-Polsky aura aussi oeuvré à l’instauration de quotas en politique dans les années 1990, persuadée que la non-discrimination dans la sphère professionnelle ne pourrait s’atteindre que via une meilleure représentativité. Elle rédigera aussi une charte pour l’égalité des genres dans la vie locale, en vigueur dans plus de 2 000 villes européennes. Mais son grand ennemi, l’écart salarial, aura finalement toujours été plus fort qu’elle : il s’élève, toujours aujourd’hui, à 9,6 % (2).

tirées de l’ouvrage Une femme de convictions, par Eliane Gubin, publié par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, 2009.

(2) Selon les chiffres les plus récents de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes.

Sorcières !

Une sacrée paire de pionnières : Eliane Vogel-Polsky, juriste et féministe

Ce sera compliqué cet été (merci, Covid), mais ça doit être sympa de visiter le nouveau musée danois dédié à l’histoire des sorcières, lew. Il revient sur un phénomène longtemps ignoré des historiens, qui a conduit au bûcher entre 40 000 et 200 000 personnes en Europe du xvie au xviie siècle. Des femmes, dans 75 à 80 % des cas. Souvent des célibataires, des veuves, des nullipares dont l’indépendance effrayait. Déjà !

26 à 40 %

des contributeurs des pages  » Idées et débats  » du journal Le Monde sont des femmes, selon les périodes. Le journal français a décidé, depuis juin 2018, de comptabiliser la proportion d’hommes et de femmes interviewés et signataires des tribunes publiées. D’abord internes, ces données ont été publiées en juillet dans un but de transparence mais aussi comme un  » moyen de se donner une obligation de résultats pour rééquilibrer la place  » de chacun et chacune.

Girl Power

 » J’ai droit à toute la palette de comportements harcelants, du simple compliment qui a l’air innocent et qui n’est pas forcément mal intentionné au début, aux menaces de viol. J’ai vraiment tout eu.  » Y compris des commentaires sur la forme de son sexe alors qu’elle portait un pantalon moulant, et des vidéos de masturbation, racontait mi-juillet dans L’Avenir l’humoriste bruxelloise Florence Mendez. Qui a décidé de répliquer à chaque fois sur le même ton, pour  » ne pas laisser d’impunité « .  » Ce n’est pas à moi de changer qui je suis parce que je ne veux pas me faire harceler. C’est juste aux garçons de ne pas harceler les filles.  » En recevant sa dernière vidéo d’onanisme, la trentenaire l’a ainsi transmise… à l’épouse de l’auteur.

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