Mélanie Geelkens

Une sacrée paire de chansons françaises par Mélanie Geelkens (chronique)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Le sexisme fait les choeurs de nombreuses chansons françaises: Johnny Hallyday, Richard Anthony, Yves Montand, Julien Clerc, Michel Fugain, Michel Delpech, Michel Sardou, Charles Aznavour… Mais les chansons reflètent leur époque. Il faut conscientiser le passé, pour améliorer le futur.

C’était un commentaire, comme il s’en déverse des millions quotidiennement sur Facebook, surtout sur un sujet comme celui-là. Une dame, qui s’énervait, comme des millions de personnes chaque jour sur ce réseau social: « Si on doit boycotter Cho Ka Ka O, alors on peut aussi supprimer une bonne partie du répertoire français pour cause de sexisme! » Bon, celles qui avaient dénoncé le caractère raciste de la chanson de feue Annie Cordy n’avaient jamais demandé à ce qu’on la fasse disparaître à tout jamais des mémoires ou des karaokés, il est sans doute essentiel de le rappeler (1).

Mais, au-delà de ça, cette dame avait entendu juste: le sexisme fait les choeurs de nombreuses chansons françaises. S’attaquer d’emblée à Johnny Hallyday risque d’être aussi impopulaire que d’épingler Léonie Cooreman (de son vrai nom), mais ça n’a jamais dérangé personne qu’il fasse l’apologie du féminicide dans Requiem pour un fou ? « Je l’aimais tant, criait-il, que pour la garder je l’ai tuée. Pour qu’un grand amour vive toujours, il faut qu’il meure, qu’il meure d’amour. » Même Damso ne fait pas aussi violent.

Et ce bon Richard Anthony, qui retombait amoureux de sa femme après l’avoir bien cocufiée (« J’avais besoin de vivre ma vie d’homme/de toutes mes idylles j’en ai fait le tour/je sais que c’est elle mon unique amour »). Ça n’a jamais choqué non plus qu’Yves Montand suive frénétiquement une inconnue dans la rue parce qu’il sait qu’elle est jolie. Ni que Julien Clerc soit un voyeur lubrique. Sa pauvre voisine, la fille aux bas nylon, quand elle passait devant sa fenêtre, il la filmait « en seize millimètres ». Et le soir, il se la projetait tranquille. Lorsqu’il n’incitait pas ses potes à aller « mater sa métisse », Mélissa, à moitié nue derrière ses canisses.

Puis, il y a les Michel. Fugain savait quoi dire aux femmes, pour les convaincre de les emmener en balade dans sa Bugatti sport: « Tu as bien le temps de faire le ménage/20 ans c’est trop tôt /crois-moi ça serait dommage/de ne pas profiter de mon auto. » Delpech, lui, aimait bien choisir une groupie, une « minette/dans ces filles à vedettes/qui ne sont venues que pour ça », un « joli parasite, qui s’accroche et que l’on quitte ». Sardou, enfin, avait envie « de violer des femmes ». Mais bon, le pauvre, faut dire qu’il vivait dans une ville de grande solitude.

Mais lui n’était apparemment pas passé à l’acte. Pas comme Charles Aznavour, qui a raconté comment, sur la plage de Trousse-Chemise, il avait forcé sa copine un peu bourrée. Bon, dans sa bouche, c’était plus poétique: « et j’ai renversé/ malgré tes prières à corps défendant […]/ ta robe légère et tes 17 ans ». Et quand ils sont rentrés, la fille a « fait ses valises et n’est jamais revenue ». La salope. Insulte abondamment chantée, de Georges Brassens à Bigflo et Oli, soit dit en passant.

Alors, quoi? Aucun tunnel ne pourra jamais porter le nom de Johnny parce qu’il a artistiquement buté sa femme? Ah que si. Puis de toute façon, il a déjà une rue à sa gloire (à Charvieu-Chavagneux). Mais les chansons reflètent leur époque. Si, dans quelques centaines d’années, un historien se penche sur le répertoire musical du XXe siècle, il n’aura aucun mal à se représenter le sort que la société réservait alors aux femmes. Le constater n’est pas condamner ces artistes. C’est conscientiser le passé, pour améliorer le futur. En matière de sexisme, comme de racisme.

(1) Et de lire leur carte blanche publiée sur levif.be le 21 mars dernier, « Lettre à Annie Cordy: « raciste » n’est pas une insulte, c’est une analyse socio-politique ».

La phrase

« Les femmes ont le droit d’être là où elles le veulent. N’arrêtez pas d’aller de l’avant. Tous vos rêves peuvent devenir réalité. » Vjosa Osmani, professeure de droit et féministe, à la suite de sa nomination, début avril, comme présidente du Kosovo.

68%

des Françaises seraient favorables à un « congé menstruel », selon un sondage Ifop publié début avril. Soit la possibilité de s’absenter du travail pour cause de règles douloureuses, tout en étant payées normalement. Ce congé existe dans certains pays asiatiques et en Zambie. La question ne fait toutefois pas l’unanimité féministe, certaines associations craignant que s’ajoute là une discrimination supplémentaire à l’embauche.

Les 343 nouvelles salopes

Le 5 avril 1971, 343 personnalités françaises (Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Gisèle Halimi…) déclaraient publiquement avoir avorté, alors que la loi l’interdisait encore. Le « manifeste des 343 » (rebaptisé des « 343 salopes » par Charlie Hebdo) a contribué à faire évoluer les mentalités en faveur de l’avortement. Cinquante ans plus tard, 343 autres (Vanessa Paradis, Alice Coffin, Yael Naim, Isabelle Carré…) ont signé une nouvelle tribune dans le JDD, en solidarité avec toutes les femmes forcées de mener une grossesse non désirée à terme, pour cause de délai légal dépassé. « Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. En France. A L’étranger. Au-delà du délai légal français. Je pourrais être l’une d’entre elles. Je suis solidaire. »

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