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« Une lame de fond modifie l’offre politique en Belgique francophone »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Jérémy Dodeigne, chargé de cours en sciences politiques à Namur, évoque quelques leçons d’une grande enquête sur les élections communales de 2018 et souligne combien ce mouvement, prolongé en 2019, pourrait provoquer un choc en 2024.

Jérémy Dodeigne est chargé de cours en sciences politiques à l’UNamur. Coauteur de deux ouvrages qui tirent les conclusions d’une grande enquête de fond menée sur les motivations des électeurs lors des communales de 2018, il évoque pour nous quelques grandes leçons de ce travail minutieux et pose un constat intéressant: il y a, en Wallonie surtout, une « lame de fond » qui modifie en profondeur l’offre politique. Avec des partis qui tentent d’anticiper une évolution majeure, notamment induite par l’impact des scandales.

Vous avez étudié l’impact des scandales sur le scrutin local. Que peut-on en déduire à l’heure où le comportement de certains élus chez Publifin/Nethys revient à l’avant-plan de l’actualité?

Il y a eu incontestablement un effet des scandales sur les motivations des électeurs lors du scrutin de 2018. Nous étions alors en plein Publifin à Liège et Samusocial à Bruxelles, mais nous avions aussi recensé d’autres scandales de plus petite échelle dans des communes. Cela était d’autant plus perceptible que cela touchait le niveau de pouvoir le plus proche, celui en lequel les électeurs ont le plus confiance.

Il est intéressant de constater que les électeurs identifiaient bien le problème, situaient bien le lieu où ce scandale avait eu lieu, sans tomber dans une logique de ‘tous pourris’. Là où de tels scandales se produisaient, le niveau de confiance au niveau local tombait au niveau de celui qui prévaut aux nivaux régional ou fédéral. Un autre constat important, c’est que tout cela a eu un impact particulièrement négatif sur ceux qui conservaient encore une grande estime dans ce personnel local, qui avaient un rapport relativement idéaliste avec la politique.

Tout cela a-t-il induit une offre politique renouvelée en 2018?

Il y a eu très clairement une modification de l’offre politique au niveau local. Le nombre de listes locales ou quasi locales a augmenté de façon signifiative: nous sommes passés de 18,3% à 27,5%. Cela correspondait, dans le même temps, à une baisse de 10% des listes nationales ou quasi nationales. Notre enquête ne tient pas seulement compte de ravalements « de façade » ou de listes qui ont changé de nom pour l’image, mais bien du renouvellement des listes elles-mêmes, en tenant compte par exemple du nombre de candidats possédant la carte d’un parti.

On constate donc une forme d’anticipation de l’impact des scandales de la part des partis qui auraient pu être affectés directement par leurs effets: le PS l’était davantage par le Samusocial à Bruxelles, mais tous les partis l’étaient, à des degrés divers, par Publifin et les comités de secteur.

Le renouvellement de l’offre politique est d’ailleurs un phénomène qui est surtout wallon: à Bruxelles, 80% des listes sont restées quasi nationales. De même, la Wallonie est en pointe sur les réformes du système électoral, bien en avance sur la Flandre, on ne le dit pas assez.

Le paysage politique francophone belge est réputé assez conservateur. Peut-on voir là une lame de fond qui aurait des effets à d’autres niveaux?

Il est sans doute trop tôt pour le dire de façon définitive, mais avec le recul, les résultats des élections de 2019 ont confirmé ce phénomène de renouvellement et l’échéance de 2024 pourrait encore l’amplifier. On verra alors, par exemple, si la place du PTB était due à un phénomèe conjoncturel ou s’il s’agit d’une resructuration plus en profondeur du paysage avec un nouvel acteur. De même, on verra alors s’il se confirme que nous n’avons plus deux partis dominants (PS et MR), mais cinq ou six partis situés à un niveau similaire.

En 2019, les trois familles traditionnelles ne pouvaient plus former ensemble un plan B sous la forme d’un gouvernement d’union nationale, ce qui fut une évolution majeure. De même, le score du PS qui était à son plancher historique était un autre fait historique. Ce sont des évolutions considérables.

En même temps, le PTB ne fait que renforcer un clivage gauche-droit existant et, en refusant de participer à une majorité, a même donné naissance à une majorité wallonne de centre-droit, alors que le vote est majoritairement à gauche. Ce ne sont pas encore des évolutions qui bouleversent le système, ce sont des petits pas, mais ils pourraient augurer d’une révolution plus profonde en 2024.

« Les électeurs locaux ont leurs préférence. Une analyse des élections communales de 2018 » et « Les élections communales en Wallonie et à Bruxelles: Une offre politique renouvelée? », deux livres publiés aux éditions Vanden Broele.

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