Koen Geens, ministre de la Justice © BELGA/Aurore Belot

Une justice trop proche des grands intérêts économiques?

Les médias se sont fait l’écho ces derniers jours de critiques jugeant les réformes à venir du ministre de la Justice Koen Geens trop proches des grands intérêts économiques.

Certains avocats parlent de risque de privatisation. Le secrétaire général de la FGTB Robert Vertenueil a carrément demandé la démission du ministre, l’accusant de conflit d’intérêt. Ce dernier réfute les critiques. Il estime intervenir dans l’intérêt de la Justice. Il pense aussi que certains griefs qui lui sont adressés reposent sur une mauvaise information.

Le secrétaire général de la FGTB Robert Vertenueil n’avait pas apprécié mardi, sur Bel RTL, que lors d’un colloque, le ministre de la Justice a indiqué vouloir faire de la Belgique « le Delaware de l’Europe ». Le ministre s’es attaqué à une réforme visant à simplifier le Code des sociétés. Robert Vertenueil estime « surréaliste » une telle annonce qu’il interprète comme la volonté de faire de la Belgique un paradis fiscal.

Sur les mêmes ondes, le ministre s’était défendu mercredi de telles accusations. « Il est important qu’une ville comme Bruxelles se dote d’un droit des sociétés attractif, permettant qu’une justice de qualité soit rendue dans un délai raisonnable. C’est tout ce que j’ai dit. J’ai plusieurs exemples comme Amsterdam et le Delaware. Mais je ne me prononce pas du point de vue de la fiscalité », a dit Koen Geens.

Le secrétaire général de la FGTB avait par ailleurs accusé le ministre d’être pris au centre d’un conflit d’intérêt alors que le puissant cabinet d’avocats qu’il a fondé a dit avoir été à la manoeuvre en ce qui concerne la réforme du Code des sociétés. Robert Vertenueil a indiqué que M. Geens était associé du cabinet, ce qui n’est plus le cas. « C’est une contre-vérité. Je ne suis plus chez Eubelius depuis 5 ans. M. Vertenueil est mal informé. Je n’ai plus aucun lien avec ce cabinet. Il n’y a aucun conflit d’intérêt », a-t-il répliqué. M. Geens a par ailleurs démenti que la réforme ait été préparée par des avocats. Il s’agit d’experts qui sont des professeurs, a-t-il dit. La réforme est basée sur des propositions du centre belge du droit des sociétés, a précisé son cabinet. Il s’agit de 14 professeurs. Aucun cabinet d’avocats ne sera privilégié.

Autre critique dans La Libre cette fois, certains avocats dénoncent jeudi un projet de réforme de leur profession visant également à épouser, selon eux, les grands intérêts économiques. Ces avocats reprochent au ministre d’avoir choisi deux des leurs comme conseillers, au détriment de l’intérêt général porté par Avocats.be. Le président de l’Ordre des Barreaux francophone et germanophone Jean-Pierre Buyle tempère la critique. Une pétition a recueilli à ce stade 518 signatures.

Le ministre a l’intention de présenter en 2018 une vision d’avenir pour les professions juridiques. Il a demandé un plan sur la profession d’avocat à deux conseillers dont l’ancien président d’Avocats.be Patrick Henry. Il est question de permettre aux avocats de cumuler leur profession avec d’autres comme lobbyiste, d’encourager les associations d’avocats et de permettre l’inscription de sociétés d’avocats au tableau de l’Ordre.

Certains avocats ont lancé une pétition demandant une véritable concertation avec l’ensemble de la profession. Ils craignent une dérégulation de leur profession au profit de grands groupes, une situation qui risque de conduire à une privatisation de la justice. Ils constatent déjà que les dernières réformes ont « éloigné radicalement les justiciables de la justice ».

Patrick Henry se défend de telles accusations. « Ils veulent rester avocats-plaideurs pour verrouiller leur privilèges (…) les avocats étaient des défenseurs; ils sont devenus des conseils et ils doivent devenir des accompagnateurs stratégiques », plaide-t-il, s’appuyant notamment sur l’atout que constitue à cet égard l’intelligence artificielle.

Sur la forme, l’actuel président d’Avocats.be Jean-Pierre Buyle souligne que plusieurs débats publics ont déjà eu lieu et que la demande a été faite au ministre de pouvoir débattre du futur plan préparé par les deux conseillers. Il a refusé la demande des avocats de voir l’Ordre porter leur pétition, estimant que ce n’était pas son rôle.

« Patrick Henry est l’ancien président d’Avocats.be. On peut difficilement lui reprocher de ne pas avoir une bonne connaissance de la profession. Les experts sont chargés de rédiger des propositions de réforme. Ensuite viendra la concertation », a pour sa part réagi le cabinet du ministre.

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