Un montant fixe pour chaque course ou payer des impôts, le dilemme imposé aux livreurs Deliveroo

Le Vif

Impossibilité de connaître l’adresse du client avant le début d’une course, montant fixe quelle que soit la distance parcourue, fin des bonus… A partir du 8 octobre, les conditions de travail de la majorité des livreurs Deliveroo vont changer et ils n’ont pas été consultés.

Le bras de fer entre le SPF Finances et la plateforme Deliveroo a semble-t-il été rude mais les deux parties ont fini par trouver un accord. Les livreurs de la plateforme qui travaillent sous le statut de l’économie collaborative (P2P pour peer to peer) ne devront pas payer d’impôts s’ils ont gagné moins de 6130 euros en 2018.

Pour l’année en cours, les livreurs qui roulent sous ce statut encadré par la loi « De Croo » (environ 80% d’entre eux selon la plateforme) pourront, également, continuer à bénéficier d’une exonération d’impôt. Ces derniers craignaient de devoir passer indépendant et du même coup d’être obligés de payer des taxes dès le premier centime touché. C’était loin d’être gagné puisqu’en mai dernier, un article du Soir expliquait que le SPF Finances exigeait l’existence d’une convention entre deux particuliers (coursier et client) et donc l’accord préalable sur la fixation d’un prix de livraison avant la prestation pour pouvoir rester dans les clous de l’économie collaborative.

« Pour cela, il n’y a que le client qui peut payer le coursier directement. Deliveroo ne peut pas intervenir. Pour s’assurer qu’il n’y ait pas de soucis, nous avons adapté la manière de travailler avec les coursiers afin qu’ils puissent bénéficier de ce statut en 2019. Deliveroo a très longtemps travaillé avec l’administration afin de protéger et défendre ses coursiers », explique Rodolphe Van Nuffel, le porte-parole de Deliveroo en Belgique. La plateforme a donc modifié leurs conditions de travail et leur rémunération sans les consulter préalablement.

Un montant fixe

A partir du 8 octobre, tout d’abord, les coursiers seront rémunérés selon un montant fixe en fonction de la ville dans laquelle ils opèrent. Ces prix vont de 4,36 euros à Louvain jusqu’ à 8,43 euros à Charleroi. A Liège, les livreurs seront payés 5,49 euros, 7,84 euros à Waterloo et 5,32 euros à Bruxelles. En clair, si un coursier livre un plat dans la capitale, il sera payé 5 euros 32 qu’il parcourt 2 comme 4 kilomètres.

Auparavant, les livreurs étaient payés en fonction de la distance parcourue (2 euros pour la récupération de la commande + 1 euro pour la livraison au client + un montant variable basé sur la distance à parcourir). Exit, aussi, les bonus (petit pécule en cas de mauvais temps par exemple) qui permettaient aux livreurs de mettre du beurre dans les épinards. « On a fait une moyenne des courses ville par ville. Pour les courses courtes, le coursier va être payé bien plus. Pour les plus longues, il va être payé un peu moins qu’avant. L’algorithme va distribuer les courses aléatoirement pour qu’ils se retrouvent à gagner en fin d’heure ce qu’ils gagnaient précédemment. Le but a toujours été que les coursiers gagnent, en moyenne, 12 euros de l’heure », assure Rodolphe Van Nuffel. Et si on ne lui assigne que des longues courses, il est perdant, non ? « Il est gagnant car si on n’avait pas mis toutes ces choses en place, il n’aurait pas pu bénéficier du statut de l’économie collaborative ».

Impossible de connaître la distance totale

Non seulement, les montants empochés seront fixes mais les coursiers ne connaîtront plus la distance totale à parcourir avant d’accepter la commande. L’adresse de livraison du client ne leur sera, en effet, communiqué qu’après avoir récupéré le paquet dans un restaurant. « Avant, on la recevait dès le départ. Lorsque l’on voyait que l’adresse de livraison se trouvait à Ganshoren ou au fin fond de Woluwe, on pouvait dire non à la commande car c’était trop loin ou parce que ce sont des endroits où l’on ne pouvait pas enchaîner les commandes », déplore Romain*, 26 ans, livreur chez Deliveroo depuis trois ans en P2P et membre du Collectif des coursier-e-s .

Selon le porte-parole de Deliveroo, « il y aura quand même toujours cette possibilité de refuser la commande une fois que l’adresse apparaît ». En principe, c’est sans doute possible. Le bémol, c’est que si un livreur a parcouru 2 kilomètres jusqu’à un restaurant et qu’il refuse la commande, il a tout bonnement parcouru cette distance… gratuitement. Réponse du porte-parole de la plateforme: « oui » suivi d’un silence.

Enfin, les livreurs en P2P seront « désavantagés » par rapport aux indépendants (et aux étudiants-entrepreneurs – le troisième statut possible) dans le cadre du service Deliveroo for business https://deliveroo.be/en/business puisqu’ils auront interdiction de livrer des professionnels. Les livreurs opérant sous les deux autres statuts ne sont d’ailleurs pas concernés par tous ces changements. « Moi, dans mon cas, je n’ai aucun intérêt à passer indépendant avec les cotisations et les taxes. Pour s’y retrouver, il fait vraiment rouler beaucoup. Je crois qu’il y en a qui le font et encore ils ont un autre travail sur le côté. On verra comment ça se passe. Comme la majorité des coursiers est sous ce statut, il risque d’avoir beaucoup de gens qui partent », pense Romain*.

Des séances d’information sont organisées par la plateforme pour répondre aux questions et aux objections des coursiers. Martin Willems, responsable de United Freelancers (Confédération des syndicats chrétiens – CSC) a confirmé que le SPF Finances a accepté de rencontrer, en principe, les représentants des coursiers la semaine prochaine. En attendant, s’ils souhaitent continuer à travailler pour Deliveroo sous ce statut P2P, les livreurs doivent signer une nouvelle convention de prestation de service avant le 8 octobre sous peine de voir leur compte « rider » supprimé.

Les clients ne devraient pas être impactés. Même si ces derniers devront désormais verser la totalité des frais de livraisons du coursier, au moment de clôturer la commande, Deliveroo leur fera une remise sur la nourriture ou le service pour éviter que le prix soit gonflé. Nous aurions aimé parler à Uber Eats pour savoir si des changements étaient à prévoir de leur côté mais nous n’avons pas reçu de réponse de leur part.

Jacques Besnard

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