Un morceau de la "coupe Lohengrin". © Belga

Un dernier fragment de la légende wagnérienne repose à Bruxelles

Pour les Wagnériens, c’est une pièce de collection inestimable: un morceau de la « coupe Lohengrin », créée par Louis II de Bavière pour le maître de Bayreuth et que l’on croyait, à tort, complètement anéantie lors d’un bombardement en avril 1945.

Le fragment de porcelaine repose dans un petit coffret noir, recouvert de similicuir et garni de velours et de soie chez Patrick Collon, un facteur d’orgue renommé, dans une maison bruxelloise remplie de livres, de partitions et de portraits.

Louis II de Bavière « avait à peine 18 ans quand il a commencé à penser à cette coupe et il a pensé intensément à ça pendant six mois. Son journal intime en est plein », raconte à l’AFP ce connaisseur d’art et de littérature de la fin 19e et du début 20e.

« Entretemps, il est devenu roi. Il a fait chercher Wagner, qui se cachait de ses créanciers, dans toute l’Europe centrale. Il l’a trouvé et un an après, il a donné cette coupe en mai 1865 à Wagner pour son 52e anniversaire » au château de Berg, dans le sud de l’Allemagne.

Sauvé des ruines en 1945, ce dernier fragment de la coupe, qui à première vue peut paraître insignifiant, éclaire pourtant le développement artistique du tout jeune Louis de Bavière (1845-1886) ainsi que ses relations naissantes avec l’oeuvre de Richard Wagner (1813-1883).

Le Chevalier au cygne

A 15 ans, il assiste à Munich pour la première fois à la représentation d’un opéra de Wagner, Lohengrin. Pénétré des vieilles légendes germaniques, il s’identifie au héros, le « Chevalier au cygne ».

Deux ans plus tard, il médite la réalisation d’une coupe en porcelaine, décorée exclusivement de scènes de Lohengrin. L’idée ne le lâchera plus.

« C’était sa première création. Ce n’est pas lui qui l’a faite, ce n’est pas lui qui l’a peinte, il l’a imaginée, il a imaginé les scènes qui ont été dessinées par son professeur de dessin », le peintre Leopold Rottmann, précise son actuel dépositaire.

Tous les détails de la décoration en sont connus grâce aux aquarelles de Rottmann (1812-1881). La coupe Lohengrin, en porcelaine de Nymphenburg, était complétée d’un couvercle et d’anses en forme de cygne. Etaient reproduites quatre scènes de l’opéra.

Sur le seul morceau conservé — le pied du vase et un arrondi –, sont représentés un cygne doré et la scène d’Elsa au balcon, avec Telramund et Ortrud, les deux méchants, que l’on devine conspirant dans la pénombre.

C’est l’unique morceau qui a survécu au bombardement de Bayreuth le 5 avril 1945. Deux autres vases de même inspiration et facture — une coupe Tanhäuser, donnée par Louis II en 1866 et une coupe Fliegender Holländer (Le Vaisseau fantôme), offerte en 1867 — ont été entièrement détruits ce jour-là.

« Jeanne d’Arc »

Mais comment la coupe Lohengrin, du moins ce qu’il en reste, est-elle arrivée à Bruxelles en novembre 1949 ?

« Dans la littérature, on n’en parle pas beaucoup mais on dit qu’elle a disparu et qu’il ne reste plus rien. En fait, en 1949, les frères Wagner avaient fait parvenir ce fragment dans une jolie boîte à une bienfaitrice belge et à la fin de sa vie, elle l’a donné à un ami musicien. Je l’ai reçu après le décès de ce dernier », explique Patrick Collon, aujourd’hui âgé de 75 ans.

La généreuse mécène bruxelloise s’appelait Juliette et a contribué au redémarrage de Bayreuth en 1951. Au point que les frères Wolfgang et Wieland Wagner la surnommèrent « Jeanne d’Arc ». Elle allait chaque année à Bayreuth et faisait partie du cercle intime. Elle n’y est plus retournée après le scandale du « Ring » de Chéreau en 1976.

La curieuse histoire de la coupe Lohengrin fait le bonheur des mélomanes.

Son dépositaire l’a récemment sortie de son écrin de satin bleu-nuit afin d’en exposer la genèse à une assemblée de Wagnériens venus à Bruxelles pour la nouvelle production de Lohengrin par Olivier Py au mythique Théâtre de la Monnaie.

« C’est un ami perspicace qui m’avait dit: +Finalement, elle est émouvante parce qu’elle est cassée+. C’est vrai, parce que dans toute sa gloire, elle n’aurait peut-être pas été aussi émouvante qu’elle l’est maintenant », confie M. Collon avec philosophie. « Ce fragment a survécu à toutes les horreurs de la guerre ! »

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