Carte blanche

Un autre regard sur la décolonisation, un témoignage direct (carte blanche)

Charles-Ferdinand Nothomb, ancien ministre PSC (devenu CDH), a vécu de près la décolonisation et les années Mobutu. Il témoigne au travers d’un fil conducteur: son amitié avec Thomas Kanza, ministre dans le gouvernement Lumumba.

À l ‘approche de ce 30 juin 2020, et donc de l’anniversaire des 60 ans de la déclaration d’indépendance du Congo, on a beaucoup parlé d’événements, de réalités raciales aux Etats-Unis d’aujourdhui et de sentiments inspirés ou réveillés des réalités raciales chez nous aujourd’hui en fustigeant sur ce thème les origines de la colonisation au XIXème siècle, que plus personne ne défend, puis avec moins d’insistance, les 52 ans de colonisation belge, où la documentation historique est abondante sur lesquels il y a AUSSI beaucoup de bon et de moins bon à dire puis la décolonisation (55-65) dont on fête les 60 ans et moins encore la période des 60 ans d’indépendance, qui déterminent le plus la réalité d’aujourd’hui!

Les médias se sont centrés sur les discriminations subsistantes aujourdhui vis-à-vis des Congolais et leurs descendants, en Belgique où vivent aujourdhui plusieurs centaines de fois plus de familles d’origine congolaises qu’en 1960.

C’est avec eux qu’il faut parler.

Une vérité à rééquilibrer

Il est heureux que le Parlement fédéral ait décidé de se saisir du dossier historique pour restituer la vérité objective dont nous avons besoin au-delà des slogans et des invectives.

Il y a aussi de bons ouvrages comme celui publié cette année par le Musée de Tervuren sur la transition 1955-1965, c’est-à-dire la période de la décolonisation écrit par des gens qui l’avaient vécue, et en connaissaient quelque chose ou comme les « Mémoires Noires » de François Rijckmans racontant le Congo belge vu par les Congolais de 1940 à 1960.

Une petite pierre pour la vérité

  • Pour le 60ème anniversaire de l’indépendance je souhaite apporter ma pierre à la compréhension objective des réalités de 1954 à 2004 à partir d’un témoin congolais de première main. Il s’appelait THOMAS KANZA.

Il était le premier étudiant universitaire congolais laïc, en Belgique, devenu plus tard ministre dans le premier gouvernement du Congo indépendant, présidé par Patrice LUMUMBA; puis dans un gouvernement de la rébellion, puis dans un gouvernement du président Mobutu avant de terminer sa vie comme Professeur d’université à Oxford.

Je l’ai rencontré en 1954, nous sommes devenus amis jusqu’en 2004 où je fus le seul Belge, présent et à prendre la parole à ses funérailles à Oxford en 2004.

Mais prenons le témoignage dans l’ordre chronologique :

À la rentrée universitaire de 1954, je me trouve dans une file d’étudiants au restaurant universitaire l’Alma à Louvain derrière un grand Congolais. C’était Thomas Kanza.

Nous entamons le dialogue, et, à partir de ce jour, j’ai regardé la réalité congolaise avec son regard et une compréhension congolaise autant que belge;

On aurait pu faire, à partir de 1955, beaucoup de choses ensemble, et éviter une catastrophe que beaucoup de Belges et Congolais ont pressentie et subie.

Si Thomas Kanza est à Louvain pour faire des études de psycho pédagogie, c’est qu’il avait terminé ses humanités à Léopoldville en 1952 avec une médaille d’or.

Il avait demandé à venir faire ses études universitaires en Belgique.

C’était nouveau ! Il avait été demander l’autorisation et l’appui du gouverneur général Petillon qui lui avait dit:

Oui, pour des études « inoffensives ».

Thomas répond:

« mais que sont des études offensives ? »

Il lui a répondu: « Le droit, les sciences politiques, l’économie » (donc ce qui permettrait de se préparer à gouverner ndlr).

La médaille d’or pour ses études secondaires avait été obtenue dans un collège scheutiste réservé aux étudiants congolais. Les élèves blancs allaient au collège des Jésuites.

Il y avait donc au Congo un enseignement secondaire très bien développé, notamment par les missionnaires, pour les noirs et pour les blancs. Mais à Léopoldville il y avait un collège séparé pour les noirs et pour les blancs. Quel dommage.

L’épouse de Thomas K. qui venait du Congo-Brazzaville, y avait, elle, étudié au lycée ouvert tant aux Français qu’aux Congolais de souche (c’était mieux).

En 1955, Thomas participait avec moi à l’équipe de rédaction du journal estudiantin « l’Avant-Garde ».

Nous soutenions dès 1955 le Professeur van Bilsen et son plan de 30 ans pour préparer l’indépendance du Congo, qui était fustigé par les gens en place.

En 1956, il fait une conférence, un article dans l’Avant-Garde et une brochure sur le thème « Congo, pays de deux évolués ». Le thème était : « oui nous noirs devons évoluer, mais vous aussi les blancs vous devez évoluer ».

Il avait donc cette habileté de s’adresser amicalement aux Belges pour leur faire comprendre les problèmes.

Il est revenu en Belgique et en 1958 il participe à « Présence Africaine ». Il étudie un an au Collège de l’Europe à Bruges. Puis a fait un stage au « Marché Commun ».

En 1959, il publie dans une brochure : « le Congo à la veille de son indépendance », les « propos d’un Congolais désillusionné ». Il y souligne que l’avenir du Congo est entre les mains de trois puissances, les Congolais eux-mêmes, la Belgique, et enfin la pression internationale…

Il y écrit sur la Belgique (en 1959): « la politique coloniale belge a longtemps brillé par son ambiguité, son indécision, et ses hésitations. Toutefois, le 13 janvier 1959, la Belgique a eu le courage de faire à la population congolaise des promesses solennelles. La parole royale a cautionné cette déclaration gouvernementale qui aurait pu être une oeuvre commune élaborée par la Belgique et le Congo. Malheureusement, son contenu a été pensé et rédigé uniquement par des Belges…

En janvier 1960, je suis le secrétaire du nouveau ministre des affaires économiques africaines dans le gouvernement belge, Raymond Scheyven, à la veille de la table ronde qui va promettre l’indépendance pour le 30 juin.

Thomas est aussi dans les coulisses de la table ronde avec les leaders congolais.

Le 30 juin 60, dans le premier gouvernement congolais présidé par Patrice Lumumba il est Ministre délégué aux Nations-Unies et c’est lui qui demandera l’intervention des Nations-Unies au Congo en juillet après l’intervention militaire belge et la rupture des relations diplomatiques avec la Belgique.

Le 30 juin 60, je suis comme secrétaire du Ministre Scheyven dans l’hémicycle du Parlement de Léopoldville à la séance historique avec les deux discours convenus du Roi Baudouin et du Président KASAVUBU d’abord et le discours plus agressif de Lumumba ensuite. Thomas Kanza est là comme Ministre du gouvernement Lumumba. Il est de ceux qui ont tenté d’éviter l’affrontement verbal qui a été néfaste pour le Congo, pour la Belgique, comme pour Lumumba lui-même.

Le discours du Roi du 30 juin fut mal reçu car inappoprié à la circonstance car il était dirigé vers les Belges du Congo plutôt qu’à la nation congolaise… Les ministres belges chargés de préparer l’indépendance qui en portent la responsabilité étaient sous forte pression de l’administration coloniale inquiète pour son avenir.

(Le ministre précédent, Mr Van Hemelrijck avait été conspué par les colons à qui il prêchait l’évolution necessaire).

Le discours du gouverneur general Petillon en 55 a la suite du voyage royal n’a pas été plus suivi d’effet que le discours de depart du gouverneur general Rijckmans en 1946 prônant un commencement de décolonisation).

Le discours du Roi souhaite rassurer l’administration coloniale sur laquelle on compte pour assurer la mise en oeuvre de l’indépendance et le service du Gouvernement congolais, car l’indépendance rapide n’avait pas été prévue et aucune administration n’avait été préparée.

Au soir du 29 juin, j’étais avec le Ministre Scheyven qui recevait le général Janssens commandant la force publique. Celui-ci a déclaré: « la Force Publique, c’est une force magnifique, personne ne pourra l’abattre, elle garantit et est l’armature du Congo, je m’en porte garant, je serai au service du gouvernement congolais ».

Je peux attester qu’au-delà de beaucoup d’inquiétudes ou d’illusions, cette affimation de vouloir servir le gouvernement congolais était sincère dans une partie non négligeable des cadres belges de la désormais ex colonie.

Mais la révolte quelques jours plus tard des soldats congolais de la Force Publique, « oubliés » de l’indépendance, dirigée au départ moins contre ses officiers belges que contre le gouvernement Lumumba, a dégénéré en anarchie et brutalités et la plupart des cadres de l’administration et de la force publique se sont envolés pour Bruxelles.

Quelques semaines plus tard, le gouvernement de M. Lumumba est « neutralisé » par le Colonel Mobutu, mais la légitimié de son Ministre aux Nations-Unies n’en est pas diminuée à New-York car il y était soutenu … par la majorité des pays du tiers monde, récemment décolonisés.

C’est là que je le retrouverai.

Les retrouvailles

En 61, c’est donc à New-York (où à l’époque je travaille au secrétariat général de l’ONU) que je retrouverai Thomas Kanza, toujours délégué de l’ex gouvernement Lumumba au moment du plein conflit entre les Nations-Unies, et le gouvernement belge honni par les délégations du tiers monde apres l’assassinat de Lumumba.

Je suis accompagné de mes collègues tiers mondistes du secrétariat général qui ne cessent d’attaquer le gouvernement belge comme néo-colonialiste. Je croise Thomas, Ministre délégué du gouvernement congolais vedette du Tiers monde dans le débat…

Quand il me voit, nous nous précipitons dans les bras l’un de l’autre, tout heureux de se retrouver dans l’amitié qui avait traversé les oppositions politiques. J’étais content de le revoir, mais aussi de montrer à mes collègues tiers-mondistes que la fraternité continuait à exister entre Congolais et Belges.

Je ne reviens pas sur le drame de Stanleyville, en 1964, un gouvernement de la rébellion où figure Thomas Kanza comme « Ministre des affaires étrangères » siégeant au Caire, qui cautionne la prise d’otages des Belges (y compris Patrick Nothomb) par les rebelles de Stanleyville. Je n’interviens pas dans les efforts (réussis) du gouvernement belge pour libérer les otages mais j’ai la main sur le téléphone pour intervenir personnellement en dernière extrémité chez un ministre qui est bien loin du drame…

APRES, il y eut réconciliation au Congo et la Belgique a toujours continué son effort de coopération dont le Congo avait- et a toujours- besoin.

En 1981, Thomas a accepté d’entrer dans un des gouvernements de Mobutu comme ministre du travail au moment et je suis ministre des affaires étrangères, en « tension » avec le Président Mobutu. Nous essayons un rapprochement.

Plus tard, au moment de la « conférence nationale souveraine » il était en bonnne position pour devenir le premier ministre d’un possible gouvernement de l’union nationale retrouvée, et m’a demandé de réunir des experts à Bruxelles à la Chambre pour préparer un programme de coopération renforcée.

Il était donc fidèle à notre idéal de 1954, d’un Congo réellement indépendant, et dans une réelle amitié et coopération avec la Belgique.

Je l’ai revu en Suède, où il avait été envoyé comme ambassadeur sans moyen et à Oxford où il a enseigné et est décédé en 2004. Seul Belge présent à ses funérailles, j’y ai pris la parole la parole pour rappeler notre idéal commun de 1954, d’une décolonisation préparée qui aurait transformé positivement la coopération entre nos deux pays.

Il avait souligné quelques années plus tôt qu’avec une décolonisation concertée et réussie, la Belgique, unie au Congo indépendant et ami, serait restée un acteur prépondérant en Afrique.

Charles-Ferdinand Nothomb, ancien ministre PSC.

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