13 % des communes wallonnes acceptent de publier, à l'avance, les projets de délibération du conseil communal. © Le Vif

Trois quarts des communes wallonnes ne sont pas transparentes, et la vôtre?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le Vif et Le Soir les ont toutes passées en revue. Résultat: 13% des communes wallonnes acceptent de publier, à l’avance, les projets de délibération du conseil communal. Une avancée en matière de transparence, même si elle est modeste et qu’il subsiste une forte résistance.

Votre commune joue-t-elle le jeu? Jusqu’où? Comment se justifient celles qui résistent? Alors que le parlement de wallonie se penche sur une proposition de décret imposant de mettre en ligne, à l’avance, les projets de délibération des conseils communaux, Le Vif et Le Soir ont voulu tester les 262 communes wallonnes sur ce point précis. La transparence publique est dans l’air du temps et est, surtout, un enjeu démocratique, a fortiori pour le niveau de pouvoir le plus proche des citoyens. En utilisant les outils de l’association Transparencia, très active sur ce terrain, nous avons sollicité tous les bourgmestres et directeurs généraux du sud du pays.

Intérêt démocratique

Un premier courriel leur a été adressé début juillet, via la plateforme Transparencia, puis un rappel à la mi-août. Vers la fin septembre, nous avons contacté directement les « distraits » qui n’avaient pas encore répondu. A tous, nous demandions de nous transmettre une copie des projets de délibération inscrits à l’ordre du jour des conseils communaux de juin et de septembre, le tout accompagné des notes de synthèse explicatives des points publics et des annexes éventuelles. Grosse cerise sur le gâteau, une dernière question portait sur leur engagement à mettre systématiquement en ligne, à l’avenir, les mêmes documents, sept jours au moins avant la séance du conseil.

Explication: les simples ordres du jour publiés ou affichés par les communes ne suffisent pas. La plupart sont très laconiques, une ligne ou deux par point programmé. Or, pour des citoyens ou des associations de quartier, voire les journalistes locaux, avoir connaissance, en détail, des projets de délibération une semaine avant le conseil s’avère utile. Ils peuvent attirer l’attention d’un élu, à propos d’un oubli, d’une erreur, d’une confusion. Cela peut concerner l’aménagement urbain, des travaux dans l’école communale, un recrutement, le financement d’une asbl, les taxes locales… La liste est quasi infinie. « Pour les conseillers, censés se pencher sur ces projets après leurs activités professionnelles et qui n’ont souvent pas le temps de tout lire avant le conseil, les remarques de citoyens peuvent être fructueuses », souligne Claude Archer, cheville ouvrière de Transparencia.

Adjoindre les documents annexés aux projets n’est pas non plus un luxe. Une annexe, cela peut être un cahier des charges, une convention, un avis de marché, un projet de protocole, un permis d’urbanisme, un rapport technique… « Lorsqu’il y a un problème dans un dossier, c’est généralement dans les annexes qu’il transparaît, assure Claude Archer. Pour les subsides accordés aux asbl, par exemple, la convention qui lie l’asbl et la commune permet de vérifier que les subsides sont utilisés à bon escient. »

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Pour trois quarts des communes, c’est non!

Sur la base de leurs réponses, les communes ont été classées en trois couleurs. Vert: pour celles qui publient activement les projets de délibération ou se sont engagées à le faire par décision du collège. Orange: pour les communes qui nous ont transmis passivement les projets de délibération de juin et de septembre, ainsi que les notes explicatives. Légalement, ces dernières doivent d’ailleurs être communiquées à la demande de tout citoyen, comme l’a rappelé à la commune de Braine-l’Alleud un arrêt du Conseil d’Etat d’avril dernier et à Waterloo une décision de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) wallonne, publiée il y a quelques jours. Relevons que certaines communes, comme Le Roeulx ou Rebecq, publient activement des notes explicatives détaillées sur leur site. Enfin, rouge: pour les communes qui ont refusé toutes nos demandes ou n’y ont pas répondu malgré nos relances.

Résultat? La grosse majorité des communes, soit 192 sur 262 (près de 73%), apparaissent en rouge: refus, donc, ou pas de réponse du tout (pour un tiers d’entre elles). Plus de 13%, soit 36 communes, sont classées en orange et 13%, soit 34 communes, en vert. Ce sont surtout les grandes villes (de plus de cinquante mille habitants), soit plus de la moitié d’entre elles, qui sont en vert et les plus petites (de moins de douze mille habitants) qui sont en rouge, soit plus de 80% d’entre elles. Rappelons que ces grandes villes ont davantage de moyens à consacrer à la transparence et ont été les premières à faire l’objet d’un siège de Transparencia, il y a quatre ans. La seule grande ville qui est classée en rouge est Mouscron. La Louvière, Tournai et Charleroi (dont les projets de délibération publiés sont extrêmement sommaires) apparaissent en orange.

Moins de vert pour les bourgmestres MR

Si l’on examine les réponses par parti auquel le bourgmestre est apparenté (selon le site de l’Union des villes et communes de Wallonie, UVCW), c’est le MR qui additionne proportionnellement le plus de points rouges: sur 100 communes bleues, 81 ont dit non à nos demandes. Les 56 communes CDH suivent de très près le MR dans la colonne rouge: 79% de refus. Le rouge est moins présent (65%) du côté des 75 communes PS et encore moins dans la poignée de communes Ecolo (37%). En miroir de ces résultats, c’est le MR qui accumule le moins de vert (5%), viennent ensuite le CDH (16%), le PS (20%) et Ecolo (25%).

Souvent, en cas de refus, les collèges réticents nous ont opposé les arguments que l’UVCW a publiés sur son site en juin dernier. Elle y donnait son interprétation d’un arrêt du Conseil d’Etat et de deux avis de la Cada wallonne qui, selon elle, ne consacraient aucune obligation de publicité systématique des projets de délibération. Toutes ces communes disent attendre l’adoption du décret pour voir quelles seront leurs obligations exactes. Plusieurs ont aussi fait valoir le risque de confusion dans le chef des citoyens qui ne feraient pas la distinction entre un projet de délibération et une décision du conseil communal.

Durbuy et Spa, inondées et très transparentes

Certaines ont leur propre conception de la transparence. Ainsi, le bourgmestre MR de Froidchapelle, Alain Vandromme, explique: « Nous sommes à fond pour la transparence, mais pas comme ça. Un projet de délibération n’explique pas tout. Il faut être imprégné du dossier. Par ailleurs, le conseil communal est totalement ouvert. N’importe quel citoyen peut poser une question sans nous en avoir officiellement avertis auparavant. » Dans un même registre, le bourgmestre de Tintigny (classée rouge) et député fédéral MR Benoît Piedboeuf: « Les ordres du jour sont affichés dans les délais, les citoyens de Tintigny peuvent nous demander des informations au préalable. Ceux qui ne sont pas de Tintigny ne peuvent avoir qu’un intérêt sournois. […] Après trente-trois ans de vie communale, je peux vous en apprendre. Nous ne tomberons pas dans la dérive des réseaux sociaux et des personnes mal intentionnées. » La palme de l’argumentation revient à Plombières (bourgmestre CDH) qui nous a répondu: « Il ne faudra pas longtemps pour qu’un « citoyen éclairé » se saisisse d’un sujet qu’il aura pu découvrir et cru comprendre au travers d’un projet de délibération et qu’il abreuve les égouts de la démocratie de fake news qui se répandront de manière pandémique. »

Du côté des points positifs, soulignons qu’à la suite des questions du Vif et du Soir, une quinzaine de communes ont décidé de publier en ligne leurs projets de délibération, comme Wavre, Spa, Fléron, Seraing, Sambreville, Walhain, Assesse, Honnelles, Awans, Rendeux, Les Bons Villers… Par ailleurs, si certaines communes, telles Rochefort ou Hamoir, ont fait savoir que les conséquences des inondations de juillet ne leur permettaient pas de traiter nos demandes, les villes de Durbuy et de Spa (également fort touchées par les pluies exceptionnelles de cet été) ont, elles, décidé de publier sur leur site Web les projets de délibération, ainsi que leurs annexes (ce qui est très rare en Wallonie).

Bruxelles, en avance, mais…

Nous avons aussi sollicité les dix-neuf communes bruxelloises à propos de la transparence des projets de délibération. Celles-ci sont plus avancées que les homologues wallonnes, alors qu’elles n’ont pas davantage d’obligations légales en la matière. C’est surtout le forcing de Transparencia qui a fait bouger les lignes. Il subsiste néanmoins des bastions résistants, comme Woluwe-Saint-Pierre, Jette et Ixelles, en rouge dans notre classement. Au cabinet de l’Ecolo ixellois Christos Doulkeridis, on ne donne aucune explication… A Jette (CDH), on évoque le risque de confusion envers des projets qui peuvent encore être amendés. Chez Benoît Cerexhe (CDH), à Woluwe, on attend des avis demandés à la Cada et au ministre de tutelle. Deux communes apparaissent en orange: Evere et Saint-Josse.

Les quatorze autres, soit près des trois quarts d’entre elles, s’affichent en vert. Les proportions sont, ici, inversées par rapport à celles de la Wallonie. Molenbeek, Uccle et Koekelberg ont décidé de publier leurs projets après nos questions. En ce qui concerne les annexes des projets, Molenbeek a même pris le pli de tout publier, soit 100% des annexes. A Woluwe-Saint-Lambert, la demande des annexes a un peu crispé le bourgmestre DéFI, Olivier Maingain, qui a interrogé la Cada sur ce point, laquelle lui a logiquement rappelé que la loi communale n’oblige actuellement à publier que les ordres du jour et les PV de conseils une fois les projets adoptés. Précisons que les trois communes DéFI de la capitale publient en ligne leurs projets de délibération. En avance sur la législation, donc.

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