Parlement de Wallonie. Les prochaines déclarations de mandats seront publiées en février 2020, seulement. © CHRISTOPHE LICOPPE/PHOTO NEWS

Transparence: 6 questions autour des cumuls de mandats après les « affaires »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Que penser des dernières déclarations de mandats cumulés ? Après les « affaires », 2017 a été une année de transition. Il faudra attendre février 2020 pour voir si de vrais changements sont amorcés. Analyse.

Après les scandales Publifin et Samusocial, le cru 2017 des déclarations de mandats était particulièrement attendu. Depuis que l’obligation de transparence existe dans le chef des mandataires publics belges pour lutter contre d’éventuels conflits d’intérêts, cette liste est publiée, chaque année à la mi-août, par la Cour des comptes au Moniteur belge. Il s’agit des mandats cumulés, y compris privés, de tous les mandataires, qu’ils soient élus ou non élus (chefs de cabinet, hauts fonctionnaires ou administrateurs d’intercommunales). Analyse de cette dernière fournée.

– Un effet des affaires, déjà ? Les chiffres des mandats cumulés de l’année dernière ne semblent pas révéler de changements quantitatifs dus aux conséquences des affaires récentes en Wallonie ou à Bruxelles. Avec cumuleo.be qui répertorie, sur son site, tous les mandats cumulés depuis 2004, Le Vif/L’Express a recensé l’ensemble des mandats détenus uniquement par les élus (dans les différents parlements et gouvernements, y compris provinciaux, ainsi que dans les collèges et conseils communaux). Leur nombre n’a pas diminué. Au contraire, il a augmenté en 2017, d’une bonne centaine. C’était déjà le cas en 2016 par rapport à 2015. Le nombre moyen de mandats cumulés par les élus a, lui aussi, connu une hausse : 7,04 contre 6,99, en 2016, et 6,82, en 2015.

En revanche, le nombre de mandats rémunérés des élus a diminué, l’an dernier : 21 635 contre 21 824, en 2016. En 2015, toutefois, il était plus bas : 21 480. Bref, l’effet des affaires ne s’est pas fait ressentir. Pas encore ?  » 2017 est une année de transition, constate Jean Faniel, directeur du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). L’affaire Publifin a démarré fin décembre 2016. Il faudra attendre la liste des mandats 2018 pour se faire une idée d’un éventuel changement.  »

– Avoir beaucoup de mandats, c’est mal ? En 2017, on constate une augmentation du nombre global de mandats et surtout du nombre moyen de mandats cumulés par mandataires élus et non élus, soit 6,86 contre 6,80 en 2016.  » C’est léger, mais il s’agit tout de même d’un record sur quinze ans, égal à celui de 2011, relève Christophe Van Gheluwe, fondateur de Cumuleo. Il est difficile de dire si, comparé aux pays voisins, une moyenne de près de sept mandats représente un chiffre élevé ou non.  » La Belgique est, en effet, à la pointe en matière de déclaration des mandats.

 » L’avantage de la liste publiée annuellement est qu’elle permet de voir le profil des mandataires et de se rendre compte de leurs activités, analyse Jean Faniel. Pour le reste, il faut éviter les interprétations rapides. Une seule activité peut être liée à plusieurs mandats. Dans mon cas : je suis chercheur et directeur au Crisp, soit deux mandats pour un job. Avoir plusieurs mandats, a fortiori non rémunérés, peut aussi être révélateur d’un engagement important dans la société. Ce n’est donc pas condamnable en soi. Il faut voir, dans chaque cas, à quoi correspondent les mandats.  »

Jean Faniel, directeur du Crisp :
Jean Faniel, directeur du Crisp : « Evitons les interprétations rapides. « © DEBBY TERMONIA

– Rémunéré ou non rémunéré, distinction essentielle ? La loi le prévoit dans l’obligation de déclaration.  » Cette distinction permet de voir si les mandats rémunérés augmentent ou non, analyse Jean Faniel. Normalement, il n’y a pas de raison que ce soit le cas, lorsque la population augmente. Cela entraîne alors une augmentation du nombre d’élus locaux lors des élections. Ainsi, en 2012, on en a ajouté 92 en Wallonie, 22 à Bruxelles et 114 en Flandre.  »

Pour Christophe Van Gheluwe, un mandat non rémunéré peut être un levier important de pouvoir.  » Par ailleurs, certains mandataires se rétribuent via des voies détournées en multipliant des notes de frais pas toujours justifiées, souligne-t-il. Cela s’est déjà vu. La distinction n’est donc pas si fondamentale, d’autant qu’on ne sait pas quels sont les montants des mandats rémunérés. Une lacune qui sera comblée lors de la prochaine déclaration : en 2019, les mandataires devront, en effet, indiquer les montants de rémunération de leurs mandats, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici.

– Les défauts de déclaration à la hausse. Impunité ? La liste 2017 révèle 145 infractions aux déclarations de mandats (c’est 21 de plus que l’année précédente) et 72 infractions aux déclarations de patrimoine (24 de plus qu’en 2016).  » Par rapport à d’autres années, ce n’est pas catastrophique, mais c’est encore et toujours trop, commente le fondateur de Cumuleo. Aujourd’hui, il est incompréhensible que les partis, en particulier l’Open VLD qui compte le plus de récalcitrants, ne fassent pas le ménage dans leurs rangs et acceptent que certains de leurs mandataires bafouent la loi depuis des années.  »

Actuellement, le parquet de Bruxelles est chargé de poursuivre ces infractions. Dans les faits, une quarantaine de mandataires ont été inquiétés mais aucun n’a jamais été condamné. Une nouvelle législation prévoit qu’en 2019, la Cour des comptes elle-même pourra infliger des amendes administratives aux contrevenants. La procédure de sanction sera donc plus simple. On verra si cela fonctionne.

– Déclaration de patrimoine. Quelle transparence ? Déclarer son patrimoine en toute transparence, comme en France ou en Italie, reste un tabou chez les élus belges qui se contentent d’envoyer une enveloppe scellée à la Cour des comptes. Seul un magistrat peut en décider l’ouverture, en cas de forte suspicion. Depuis 2014, pourtant, le Greco (organe du Conseil de l’Europe, qui lutte contre la corruption) invite la Belgique à publier le patrimoine des élus sur un site Web public. En vain.

 » On nous a déjà signalé des cas d’élus locaux qui avaient acheté un bien immobilier à un prix d’ami à un promoteur désireux d’obtenir un marché public, explique Christophe Van Gheluwe. Sans liste transparente, ces accusations de corruption sont invérifiables.  » Les élus belges ont-ils plus à cacher que les Français ou les Italiens ?

– Prochaines déclarations, pourquoi si tard ? Les prochaines déclarations de mandats seront publiées en… février 2020. Dans un an et demi. Cette fois, les mandataires devront déclarer les montants de leurs rémunérations. Pour cela, le législateur a prévu que les élus disposent de leur fiche fiscale. Ce qui retarde la déclaration.  » Ces déclarations sont censées permettre de vérifier d’éventuels conflits d’intérêts, mais, après un an et demi, cela aura moins de sens « , regrette Jean Faniel. De son côté, Van Gheluwe ne comprend pas que le délai soit rallongé à ce point, d’autant que les prochaines déclarations des 6 000 mandataires belges seront, cette fois, automatisées.

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