Le juge Richard (à gauche) lors de la perquisition de l'appartement ansois de Stéphane Moreau (à droite) en novembre 2011. © Belgaimage

Transaction pénale pour Stéphane Moreau dans le dossier Tecteo/Ogeo

David Leloup
David Leloup Journaliste

La chambre du conseil de Liège a homologué, peu avant Noël, la transaction pénale sollicitée par Stéphane Moreau dans le dossier Tecteo/Ogeo. Avec six transactions pénales et deux non-lieux, l’un des plus importants dossiers judiciaires wallons contemporains se referme définitivement.

C’est désormais une certitude: il n’y aura jamais de procès en correctionnelle dans cette affaire politico-financière qui aura duré plus de douze ans, secoué le monde judiciaire de la Cité ardente, et ébranlé la toute-puissance de l’ex-homme fort du PS liégeois Stéphane Moreau. Les transactions pénales de ce dernier et de Marc Beyens dans le dossier Tecteo/Ogeo « ont finalement été homologuées le 16 décembre 2020 par la chambre du conseil de Liège », a confirmé au Vif le procureur général Christian De Valkeneer.

Des huit personnes dont le parquet général de Liège demandait le renvoi en correctionnelle, ce sont les deux dernières à avoir transigé définitivement avec la justice. Avec six transactions pénales conclues avec le parquet général, et deux non-lieux prononcés en chambre du conseil, il ne reste plus un seul inculpé à renvoyer devant le tribunal correctionnel. Le dossier est donc définitivement clos. Contrairement à ce qui se fait dans d’autres pays, en Belgique, le montant des transactions pénales n’est pas public. Christian De Valkeneer est resté muet malgré nos sollicitations.

Croassements anonymes

Ces deux dernières transactions homologuées marquent donc le point final d’une saga judiciaire qui a démarré en octobre 2008 par une lettre anonyme. Adressée à la justice liégeoise, la missive de quatre pages est entièrement à charge de Stéphane Moreau: abus de biens sociaux, marchés publics contournés, emplois fictifs, consultances suspectes, harcèlement moral, etc. Tout y passe. Le corbeau évoque des « pratiques mafieuses » et le « pillage » de l’intercommunale Tecteo (qui deviendra Publifin puis Enodia) « sans aucune limite ».

Très vite une instruction pour « abus de biens sociaux » et « entrave aux enchères publiques » est ouverte afin de vérifier les croassements anonymes. Le juge d’instruction financier Philippe Richard perquisitionne à tout va. Et la main-d’oeuvre policière disponible pour analyser les documents récoltés vient vite à manquer. Tout comme un fil conducteur à l’enquête. Qui part dans tous les sens: camionnettes Voo en fin de vie données à des proches de candidats PS aux élections de 2006 et 2007, investissements privés de Stéphane Moreau dans l’immobilier à Ans et à Chypre, personnel de Tecteo « détaché » dans le cabinet provincial d’André Gilles, facturations suspectes du consultant McKinsey et de certains avocats « amis », personnalités politiques qui sont en même temps de discrets consultants de Tecteo, frais de restaurants et de sponsoring suspects, voyages privés à Las Vegas et Abu Dhabi payés par BeTV ou le fonds de pension Ogeo Fund, transactions financières douteuses au sein d’Ogeo…

Inculpé, Moreau contre-attaque

Après quelques années, l’enquête Tecteo/Ogeo est devenue un dossier monstre. Qui trop embrasse mal étreint. Le juge, les enquêteurs, les experts financiers: tous semblent avoir eu les yeux plus grands que le ventre. Stéphane Moreau est inculpé en juin 2014 pour « détournement » dans le volet des camionnettes. Au cours de ces années tendues, le bourgmestre PS d’Ans est à couteaux tirés. Il attaque les enquêteurs de la PJF de Liège (qui seront in fine remplacés par des limiers de l’Office central pour la répression de la corruption), le juge d’instruction (via notamment les frais d’expertise engagés par l’enquête), des journalistes (du Soir et de La Meuse), le substitut du procureur général (sur son appartenance jadis au PS d’Ans). La tension est à son comble dans la Cité ardente.

En février 2015, coup de tonnerre dans le monde judiciaire: le juge d’instruction Richard se déporte du dossier suite à une requête en récusation déposée par les avocats de Stéphane Moreau. Parallèlement au dépôt de cette requête, un rapport anonyme de 50 pages décrédibilisant l’expert judiciaire Deblinde est envoyé aux rédactions de la RTBF et de La Meuse. Le déport du juge, accusé notamment de collusion avec l’expert, vise à réinjecter de la sérénité dans le dossier et éviter que le « match » Moreau-Richard ne pollue la fin de l’enquête judiciaire. L’affaire est transférée au juge d’instruction Frédéric Frenay, qui bouclera l’instruction fin 2016.

Le volet Tecteo se dégonfle

Dans son réquisitoire de 21 pages daté du 23 juin 2017, le substitut du procureur général de Liège, Paul Catrice, réclame le renvoi de huit personnes en correctionnelle. Le coeur de l’instruction judiciaire – le volet Tecteo – s’est quasi complètement dégonflé faute de vision globale, à cause de l’éparpillement des devoirs d’enquêtes. L’inculpation de Stéphane Moreau dans le volet « camionnettes » n’est pas retenue. C’est un désaveu pour le juge Richard. Seul André Gilles reste poursuivi pour avoir fait travailler trois employées de Tecteo à son cabinet de député-président de la Province de Liège.

Reste le volet Ogeo, pour sauver les meubles. Dans le collimateur de la justice, de discrets investissements spéculatifs réalisés via un sous-compte ouvert chez UBS au nom d’un bureau de courtage, Ogeo Consulting, filiale du fonds de pension. Une série de crédits successifs transformant ces crédits en une sorte d’emprunt à long terme dans le but de spéculer, ce qui n’est pas autorisé par la loi du 27 octobre 2006 relative au contrôle des institutions de retraite professionnelle. Deux investissements de 10 millions d’euros chacun réalisés dans des hedge funds, dont au moins un aux îles Caïmans (à lire dans Le Vif/L’Express du 7 janvier). Enfin, il est reproché à Stéphane Moreau et Marc Beyens, alors membres du comité de direction du fonds de pension, d’avoir facturé à Ogeo le remboursement de billets d’avion pour Abu Dhabi afin d’assister au Grand Prix de F1 fin 2011.

Cinq transactions dans le volet Ogeo

Résultat des courses? En mai dernier, en chambre du conseil, le tentaculaire dossier Tecteo/Ogeo s’est soldé par un non-lieu pour Emmanuel Lejeune et Hervé Valkeners, les dirigeants actuels du fonds de pension. André Gilles, l’ex-président de Tecteo et d’Ogeo, a conclu une transaction pénale avec le parquet pour les trois emplois fictifs dont il était accusé. Trois ex-cadres de la banque UBS ont également payé une transaction pour leur implication dans les investissements douteux du fonds de pension. Quant aux transactions pénales de Stéphane Moreau et Marc Beyens, d’abord reportées par la chambre du conseil en mai pour une raison technique, elles ont finalement été homologuées le 16 décembre 2020. Contactés pour commenter leur transaction, Stéphane Moreau et Marc Beyens n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

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