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Toxicomanie : les associations de soutien tirent la sonnette d’alarme

Stagiaire Le Vif

Depuis le début des mesures du confinement, chacun s’adapte à sa manière pour supporter au mieux cette période difficile. Pour certains, le bien-être est associé à la prise de substances. Mais avec les temps qui courent, être usager régulier de drogues peut s’avérer un calvaire encore pire que d’habitude. Les associations tirent la sonnette d’alarme pour attirer le regard de la classe politique sur une situation explosive.

Être toxicomane en temps de confinement, c’est un combat de tous les jours. L’usage de drogues devient de plus en plus compliqué. D’abord, il faut trouver de quoi payer sa dose. Pour beaucoup de consommateurs de rue, le revenu principal était de faire la manche. Avec les mesures appliquées depuis un mois, les badauds ont disparu des rues et avec eux la monnaie qui aurait pu terminer dans un des nombreux chapeaux posés sur les trottoirs. Ces consommateurs fragilisés se retrouvent alors privés de leur revenu principal. Si les rues se vident de leurs passants, ceux qui y vivent, eux, sont plus visibles. Pas de toit, ce qui signifie pas de confinement pour la plupart. Dans un contexte d’augmentation des contrôles de police, la pression qui pèse sur leurs épaules est constante. Toujours être en mouvement. C’est le mot d’ordre.

Mais l’espoir de trouver une dose de produit est souvent de courte durée et suivi par la déception. Depuis le début de la crise, beaucoup d’usagers témoignent de la diminution de qualité des produits. « Les mesures de confinement retarde le trafic dans son ensemble. Certains revendeurs en fin de chaîne, en manque de produits à revendre, n’hésitent donc pas à recouper des produits, souvent déjà mélangés. » Une technique qui met d’autant plus en danger la santé des usagers. Des contrôles sur la qualité de la drogue avaient été lancé au début de la crise, vite abandonnés vu le manque de moyens.

Des produits dont les prix augmentent constamment, selon Catherine Van Huyck, directrice de Modus Vivendi, résultat d’un secteur dont le fonctionnement est mis en péril par les mesures de confinement. « On nous rapporte tous les jours que les prix du marché ne cessent d’augmenter, à part la cocaïne qui semble se stabiliser. ». Une situation propre à chaque région, où les canaux d’approvisionnement diffèrent. Autre conséquence de la crise, le manque de produits de substitution. Avec des hôpitaux qui tournent à plein régime, trouver des produits permettant aux drogués de pallier au manque devient mission ardue. Même phénomène pour ceux qui devaient rentrer en cure de désintoxication, qui sont désormais invités à rester chez eux, ou dehors, souvent dans un contexte qui appelle à la consommation.

Une population fragilisée par sa situation, mais aussi par ses habitudes de consommation. « Les consommateurs de crack et d’héroïne consomment parfois par la méthode d’inhalation, dit la fumette. Ils chauffent une petite cuillère ou un bout d’aluminium contenant leur fix et inhalent les fumées qui s’en dégagent. La méthode leur demande moins de matériel mais abîme fortement leur système respiratoire », nous explique Laurence Przylucki, directrice du Comptoir à Charleroi. Si certains la fument, d’autres se l’injectent, souvent avec du matériel non stérilisé ou déjà utilisé. L’institut Sciensano avait par ailleurs lancé une série de tests sur du matériel de consommation afin d’analyser la propagation du virus. Étude depuis à l’arrêt.

Au-delà de leurs habitudes de consommation, leur mode de vie dans la rue fragilise considérablement ces personnes. « Ce sont pour la plupart des gens qui vivent en dehors du système social et de santé classique et dont le corps porte les séquelles de plusieurs années de vie en extérieur. Sans oublier la violence qui émane de la rue et qui touche tous ceux qui y vivent un jour ou l’autre. » À Saint-Gilles, le comptoir de réduction des risques DUNE (Dépannage d’Urgence de Nuit et Échanges) a dû fermer ses portes après avoir ouvert pendant un mois dans une ambiance tendue. « Si on veut respecter les mesures de confinement, on ne peut plus faire rentrer les gens dans le bâtiment. « Du coup, on les reçoit à la porte. Ça devenait vraiment intenable. Tous les soirs on avait des bagarres devant le comptoir. L’équipe a décidé de prendre 3 jours de repos pour souffler. ». Si la situation semble hors de contrôle pour beaucoup d’acteurs du secteur, c’est aussi dû à la surcharge de travail. Avec la fermeture de nombreux points de chute ou de soutien (comme les points de distribution de nourriture), DUNE a dû reprendre leurs missions. Une pression constante qui a fini par peser sur le personnel des institutions. « Je travaille depuis plus de 20 ans dans le secteur. On sait qu’à fortiori, on représente le système à leurs yeux. Mais jamais je n’ai connu des situations aussi tendues avec les bénéficiaires de nos services », avoue Christopher Colin, directeur de DUNE.

Au Comptoir de Charleroi, où les usagers peuvent venir se fournir en matériel de consommation, on a vu les habitués disparaître petit à petit. « Beaucoup pensaient que notre établissement allait devoir fermer ses portes. On a mis en place des maraudes dans certains quartiers pour aller rechercher toutes ces personnes et leur expliquer qu’ils pouvaient toujours venir se fournir. » Une initiative lancée sous l’impulsion du CPAS, responsable de la gestion des personnes toxicomanes et qui coordonnent les différentes activités. Le Comptoir a donc ouvert ses portes sous un système différent, incluant les règles de distanciation sociale. Chez Modus Vivendi, on a dû s’adapter aussi. L’association oeuvre pour la réduction des effets négatifs liés à la consommation de produits psychotropes. Entre suivi psychologique, médical, et actions de terrains, l’association est sur tous les fronts. Mais avec le confinement, les méthodes ont changé. « On réalise désormais le suivi médical par téléphone ou visioconférence. Si ce système nous permet de continuer nos activités au mieux, il précarise encore plus les consommateurs de rue, souvent incapables de mettre la main sur un téléphone ou un ordinateur. Aussi, la base de notre travail repose sur un lien que nous créons avec les toxicomanes. Dans ces conditions, il est beaucoup plus compliqué à entretenir », selon Catherine Van Huyck.

Une situation tendue qui laisse penser qu’on fonce droit à la catastrophe, résume-t-elle. « Cela révèle une mauvaise gestion. Ces gens sont laissés pour compte. Vu le manque de moyens, il est très difficile d’évaluer le risque qui pèse sur ces gens. On ne pourra évaluer les conséquences de cette crise que plus tard. C’est inquiétant, très inquiétant. »

Julien Roubaud

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