Olivier Mouton

Thatcher aujourd’hui? C’est De Wever…

Olivier Mouton Journaliste

Après le décès de Margareth Thatcher, les regards belges se sont portés vers le Guy Verhofstadt des années 1980-90. Mais si la philosophie politique de la « Dame de fer » vit encore aujourd’hui, c’est bien du côté de la N-VA de Bart De Wever qu’il faut la trouver. Les réactions au décès de Margareth Thatcher, partout en Europe, témoignent du fait que les lignes de fracture idéologiques restent plus vivantes que jamais.

En Angleterre, certains ont dansé pour saluer la disparition de celle qui a imposé le dogme de l’ultralibéralisme. Mais dans le monde anglo-saxon, sa vision reste dominante. Le Premier ministre britannique actuel, David Cameron, a fait sienne son approche du « compassionate conservatism » qui fut aussi celle des Reagan et Bush. Le « New York Times » titrait ce mardi matin : « Un conservatisme à l’empreinte durable ». En constatant : « Elle a transformé la Grande-Bretagne et le capitalisme moderne. » Tandis que le « Financial Times » saluait « the great transformer ».
Chez nous, tous les regards se sont immédiatement tournés vers Guy Verhofstadt. L’actuel président du groupe libéral au parlement européen avait en effet été surnommé « Baby Thatcher » à la fin des années 1980. Ministre du Budget à l’époque, il était « Monsieur Non » pour ses pairs, refusant tout dépense inutile, prônant une austérité radicale et privilégiant la piste des privatisations. S’il n’avait jamais rencontré la « Dame de fer » en personne, sinon sur le tard, Guy Verhofstadt s’était nourri durant tout le début de sa carrière des mêmes préceptes que la Lady britannique, ceux de l’école de Chicago incarnés par les ultralibéraux Milton Friedman et George Stigler notamment. C’était la main invisible du marché qui résoudrait tous les problèmes.

Interrogé par les médias, Guy Verhofstadt réfute aujourd’hui cette filiation qui lui était naturelle. « Je n’ai jamais crié ‘Vive Thatcher !' », clame-t-il. Depuis la fin des années 1990, notre ancien Premier ministre a il est vrai pris de solides distances en privilégiant une approche du libéralisme plutôt sociale, voire altermondialiste, et en développant une vision européenne fédéraliste – deux points à mille lieues de l’idéologie thatchérienne.

Pas, ou plus, Verhofstadt, donc. Si l’on devait trouver aujourd’hui en Belgique le fils spirituel de Lady Thatcher, on le trouverait plus naturellement dans les rangs des nationalistes flamands de la N-VA. Bart De Wever, ainsi que sa confidente et compère à Anvers Liesbeth Homans, font revivre pratiquement à la lettre un certain nombre de préceptes initiés à l’époque en Grande-Bretagne, et portés aujourd’hui encore par David Cameron : libéralisme radical, compassionate conservatism et nationalisme.

Interrogé par le « Standaard » en février 2012, De Wever avouait sa fascination, à l’époque, pour la façon dont Thatcher était intervenue militairement pour défendre les Malouines, ces îles au large de l’Amérique latine révendiquées par l’Argentine. Mais il prenait toutefois ses distances sur le fond du discours : « J’éprouvais en tant que petit gars de 12 ans des sympathies de droite, j’avais alors une certaine admiration pour elle, disait-il. Mais depuis lors, elle a fait place à un jugement plus nuancé. »

Pourtant…

Sur le plan socio-économique, la N-VA a adopté des positions très libérales, prônant l’austérité, les réformes structurelles, la rupture par rapport au modèle existant. Il s’est allié au Voka, la fédération patronale flamande, entend encourager l’esprit d’entreprise contre toute forme d’assistanat prôné, une image utilisée jusqu’à la caricature, par le PS wallon. Le principal obstacle ? Outre l’autre communauté du pays, ce sont les syndicats qui, par leur conservatisme, empêchent toute vision réformatrice de la société estime De Wever. D’où la lourde charge, calculée contre, l’ACW (équivalent flamand du Mouvement ouvrier chrétien) en ce début d’année. On ne peut s’empêcher de penser que Thatcher avait longuement lutté contre les syndicats lors de la grève des mines en 1984. Bien sûr, c’était une autre époque, mais le bras de fer des visions économiques était tout aussi vif que maintenant.

Sur le plan sociétal, le compassionate conservatism est le fil rouge de Bart De Wever. Le point de départ philosophique de cette pensée politique consiste à insister autant, sinon plus, sur les devoirs des hommes plutôt que sur leurs droits. Précisément la ligne adoptée par De Wever. Très concrètement, cela se traduit par une série de politiques réclamées ou sur le point d’être mises en oeuvre par la N-VA. On ne peut pas octroyer des allocations de chômage ad vitam eternam s’il n’y a pas une réelle implication des sans-emplois à trouver un travail. On ne peut donner un logement social s’il n’y a pas une volonté affirmée du locataire à s’intégrer dans la société, à parler la langue de la Région. On ne peut permettre aux étrangers de vivre ici s’ils ne font pas les preuves de leur intégration, de leur respect des valeurs du pays voire – même si la mesure a été cassée à Anvers – s’ils ne payent pas ce droit en monnaie sonnante et trébuchante.

Jusque dans la stratégie, De Wever singe Thatcher et les néoconservateurs américains, jusque dans son cynisme sans limites. En utilisant la technique de l’ancien conseiller de George W. Bush Karl Rove : « Attaque ton adversaire sur son point fort et transforme-le immédiatement en faiblesse. » Ce faisant, il a dépecé le Vlaams Belang, l’Open VLD voire le CD&V. Il s’agit encore de faire en sorte que l’opinion publique pense que la volonté de changer le système est bloquée par « les autres », singulièrement la gauche, le PS, les syndicats. L’underdog absolu…

Un autre point rallie enfin Lady Thatcher et Bart De Wever, c’est la vision prioritaire des intérêts de la communauté qui devient le refuge en période de crise et de pertes des valeurs. Même si, en raison de situations propres, la « Dame de fer » voyait en l’Europe un ennemi absolu, une « erreur historique », tandis que De Wever y voit la « chance historique » de permettre l’émancipation flamande.

À l’annonce du décès de la « Dame de fer », deux hommes politiques francophones ont exprimé leur admiration sur les réseaux sociaux : le président du Parti populaire Mischaël Modrikamen et le franc-tireur du MR Alain Destexhe. « Une grande dame », a-t-il souligné en sachant qu’il allait « encore se faire des amis sur Twitter ». Depuis, il a relayé la « une » du « Figaro » de mardi : « Le courage au pouvoir ». Destexhe et Modrikamen, précisément les francophones qui soutiennent le plus ouvertement la ligne économique et sociétale de Bart De Wever.

Olivier Mouton

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire