"S'il se vérifiait que la justice a besoin des médias pour faire son travail, ce serait grave", assène Denis Bosquet, ici au côté de Serge Kubla. © LAURIE DIEFFEMBACQ/Belgaimage

« Tapez Kubla sur Google, vous ne verrez que sa sortie de prison »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Denis Bosquet, l’avocat de l’ancien ministre wallon MR, s’est fâché après nos révélations sur l’inculpation de Serge Kubla pour blanchiment. Le secret de l’instruction et la liberté d’information sont-ils contradictoires ?

Nos révélations (Le Vif/L’Express du 25 août dernier) sur la nouvelle inculpation de son client Serge Kubla l’ont exaspéré. Denis Bosquet a fait savoir son courroux haut et fort devant les caméras et au parquet fédéral, répétant à l’envi que ces violations du secret de l’instruction étaient intolérables. Un secret trop souvent bafoué, et pas seulement dans le dossier Kubla, selon l’avocat bruxellois.

Les fuites sur la nouvelle inculpation de Serge Kubla vous ont fort irrité ?

Toutes les fuites m’irritent, quel que soit le dossier. Mais dans celui-ci, elles révèlent une volonté de malveillance. C’est d’autant plus dommageable que les autres membres de la famille de monsieur Kubla ont aussi été entendus fin juin dernier. Or, aucun d’eux n’a été inculpé. Mais, de cela, on ne parle pas…

Si le secret de l’instruction était respecté à 100 %, on ne saurait jamais rien de ces affaires…

Mais on ne devrait jamais rien en savoir ! Même la conférence journalière du parquet, plutôt sobre, sur des dossiers à l’instruction, c’est déjà trop. Souvenez-vous du premier suspect dans la traque de l’homme au chapeau à Zaventem, après l’attentat du 22 mars. Son nom a été publié dans la presse. Puis, très vite, on a compris que ce n’était pas lui. Cet homme a été stigmatisé et inculpé – il l’est toujours, d’ailleurs, puisque seule la chambre du conseil pourra décider d’un non-lieu. N’aurait-il pas mieux valu attendre avant de communiquer sur cette inculpation ?

D’accord pour les affaires terroristes mais, sans pression médiatique, les dossiers politico-financiers risquent, eux, de ne pas avancer. Des enquêtes, comme Agusta dans les années 1990 ou le Kazakhgate aujourd’hui, aboutiraient-elles sans un coup de pouce des médias ?

Ce que vous dites sous-entend que notre justice n’est pas suffisamment indépendante. S’il se vérifiait que la justice a besoin des médias pour faire son travail, ce serait grave. Maintenant, que la presse doive servir d’aiguillon démocratique, je le respecte absolument. Mais la présomption d’innocence est aussi un principe démocratique essentiel. Les avocats sont là pour la défendre. Il est d’ailleurs piquant de constater que les premiers métiers auxquels s’attaque un régime dictatorial sont ceux de journaliste et d’avocat.

On peut aussi imaginer que des magistrats ou des enquêteurs soient choqués par ce qu’ils découvrent dans certains dossiers financiers, où les montants en jeu sont faramineux, et qu’ils aient envie de parler.

C’est vous qui l’affirmez. La justice est humaine, c’est vrai. Ces gens ont choisi un métier difficile, sans être forcément très bien payés, surtout au regard du travail effectué et des pressions subies. Ils le savent. Je comprends qu’ils puissent être heurtés par certaines choses. Mais cela justifierait-il, le cas échéant, qu’ils s’assoient sur des principes aussi essentiels que la présomption d’innocence parce qu’ils ont en face d’eux quelqu’un qui gagne en une heure ce qu’ils gagnent en six mois ? Je n’ai personnellement jamais connu cela. Les juges et les enquêteurs ne sont pas là pour porter un jugement moral.

Dans ces dossiers politico-financiers, on fait durer la procédure pour atteindre la prescription, quand on ne négocie pas une transaction pénale. Souvent, les intéressés ne s’en sortent pas si mal.

Mais quand les intéressés sont placés sous mandat d’arrêt, ça laisse une trace indélébile. Tapez le nom de Serge Kubla sur Google et vous ne verrez que des photos de sa sortie de prison, alors qu’il y a passé 48 heures. Ce sont 48 heures qui le rendent coupable aux yeux de l’opinion. S’il est acquitté en bout de course, cela fera-t-il autant de bruit médiatique et d’occurrences sur Google ? Quant aux procédures interminables, sachez que les quatre chambres correctionnelles de Bruxelles qui traitent de dossiers financiers, fiscaux ou sociaux siègent et prononcent des condamnations tous les jours. L’arriéré a été résorbé à ce niveau-là. Par contre, c’est vrai, il y a un engorgement incroyable au niveau de la cour d’appel où ne siège qu’une seule chambre en matière financière, qui croule sous les dossiers. Dans ce contexte, qui peut jeter la pierre à celui qui, à deux ou trois ans de la prescription, va interjeter appel en sachant que la cour n’a pas les moyens d’aller vite ?

La faute à qui ?

Il faut aller voir du côté du ministre de la Justice. Le cadre à Bruxelles n’est pas rempli et ça fait des années que ça dure…

Le secret de l’instruction et la liberté d’information sont-ils contradictoires ?

Les deux sont clairement en dissonance. D’autant que déposer plainte ne sert à rien. Je l’ai fait en 2015 dans le dossier Kubla pour une première violation du secret de l’instruction. Une enquête très sérieuse a été menée, y compris auprès de journalistes. En vain. Certains de vos confrères ont même crié à l’intimidation… Le problème est que, lorsque le secret de l’instruction et le secret professionnel sont piétinés de manière systématique dans certaines affaires, la confiance risque de s’éroder et la personne inculpée risque de se taire lorsqu’elle est interrogée. Est-ce cela qu’on veut ?

Les journalistes sont-ils trop protégés par le secret des sources ?

Non, pas du tout. Mais, récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a tout de même introduit dans sa jurisprudence la notion de  » journalisme responsable  » concernant l’utilisation de documents qu’on reçoit par des voies illégales. C’est révélateur.

Finalement, le secret de l’instruc-tion a-t-il encore un sens ? En France, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, un groupe de travail avait prôné sa suppression dans le cadre de la réforme, finalement avortée, du juge d’instruction. Qu’en pensez-vous ?

C’est vrai que le secret de l’instruction est devenu un leurre. Et pourtant, il a encore un sens, à la fois pour le justiciable et pour l’enquête elle-même. Normalement, la défense doit être sur un pied d’égalité avec l’accusation et, entre les deux, le juge d’instruction doit être d’une neutralité absolue. Or, aujourd’hui, la procédure judiciaire a perdu cet équilibre-là, à cause des fuites dans la presse. Evidemment, à chaque information publiée, je pourrais répondre, avec mon client à côté de moi, et le défendre point par point. Et alors ? On en arriverait à une situation où on ferait le procès dans les médias avant d’arriver devant le juge. On n’aurait plus besoin de la justice, dans ce cas.

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