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Storme : le procès de la salvia divinorum ?

Coup de théâtre stupéfiant aux assises de Bruxelles : Léopold Storme aurait pu être sous l’effet d’une drogue aux effets aussi puissants que brefs…

Le Dr Fernand Goffioul, 78 ans, n’a pas raté son effet en intervenant devant la cour d’assises de Bruxelles chargée de juger Léopold Storme, 23 ans, pour le triple assassinat (son père, sa mère et sa soeur) dont il est soupçonné, dans les Marolles. Le psychiatre liégeois, requis par les parties civiles (la famille du jeune homme, qui croit toujours à son innocence), a sorti une carte… stupéfiante de son jeu : la salvia divinorum, mieux connue sous le nom de sauge. Exactement : l’honnête plante condimentaire de nos grands-mères. Mais ses surnoms éveillent l’attention : sauge des devins, sauge divinatoire, Dame Salvia…

Bien connue des Indiens mazatèques pour ses qualités psychoactives, celles-ci n’ont été redécouvertes, en Occident, qu’au début des années 1990. La culture underground, de la rue, l’a d’autant plus facilement adoptée que cette plante ordinaire ne fait l’objet d’aucune sorte d’interdit légal, alors qu’elle contient l’un des composés psycho-actifs naturels parmi les plus puissants : la salvinorine A, B et C. La sauge induit de profondes hallucinations à des doses comprises entre 0,2 et 0,5 mg lorsqu’elle est fumée. Les effets sont ressentis dans les 30 secondes de l’ingestion et peuvent durer jusqu’à trente minutes. La fenêtre de détection de cette substance est d’environ deux heures dans les urines et inférieure à deux heures dans le sang.

Léopold Storme, qui a été arrêté 24 heures après les faits qui lui sont imputés, avait encore des résidus de cannabis dans les urines (il a effectivement avoué avoir fumé un joint entre la gare du Midi et son arrivée au magasin de la rue des Capucins). Il n’avait pas bu d’alcool, ce qu’il avait toujours nié et qu’une contre-expertise, réclamée par la défense, a permis de valider. Erreur de l’Institut national de criminologie et de criminalistique : son prétendu sang était celui d’une femme ivre.

Mais autant cette grossière erreur n’a pas remis en cause l’économie de l’accusation ni les différentes expertises psychiatriques, autant le coup de théâtre de la salvia divinorum ne restera pas sans conséquence. Lundi, à tête reposée et après avoir pris connaissance de la note cachée du Dr Goffioul, les experts psychiatres viendront en dire ce qu’ils en pensent. Léopold Storme, s’il avait fumé cette substance, aurait-il pu avoir un « coup de folie » sans devoir pour autant être déclaré irresponsable de ses actes ? Est-ce compatible avec le diagnostic de psychose (une forme débutante de schizophrénie) posé par les experts requis par le juge d’instruction ? Et avec celui d’ « état limite » (borderline) décrit par le Dr Rudy Guillaume sur un mode très mineur (pour la défense) et de façon un peu plus inquiétante par les experts mandatés par les parties civiles ?

Le Dr Goffioul fait partie de cette dernière équipe. Avec plus d’une soixantaine de cour d’assises à son actif, il n’est pas facilement démonté par un crime de sang. Mais, dans le cas du triple crime des Marolles, une autre de ses spécialités intervient : ses connaissances en matière de psychotrope (champignons hallucinogènes, LSD…) et leur effet sur des personnalités déjà atteintes de troubles mentaux. Il s’est procuré une notice qui accompagne le deal de salvia. Celle-ci mettait en garde contre la consommation de cette substance par des personnalités borderline ou consommant déjà d’autres drogues.

Alors, plutôt qu’avoir fumé un joint entre la gare du Midi et la rue des Capucins, si Léopold Storme avait ingéré cette substance, volontairement ou involontairement ? « Beaucoup de choses s’expliqueraient, dit en résumé le Dr Goffioul : sa mémoire à éclipses et par remontée d’images (comme des « dias »), la salvinorine provoquant de l’amnésie ; ses pertes de conscience sur le lieu du crime ; son lien ténu avec la réalité durant la scène du crime ; sa perception alternée du son, puis des images… »
Très lapidairement, le Dr Didier de Brouwer, qui appartient au premier collège d’experts, a rétorqué que « s’il est vrai que la salvia a des propriétés hallucinogènes, elle peut avoir eu un effet facilitateur mais qu’elle n’explique pas pourquoi un adolescent passe à l’acte et l’autre pas. Or le passage à l’acte de l’accusé est sous-tendu par toute une problématique qui conduit à conclure à une pathologie mentale avérée. »

Donc, la piste suggérée par le Dr Goffioul n’invalide pas leur diagnostic et le rejoint même par la notion de « cofabulation » que celui-ci met en avant et qu’il attribue à l’effet du psychotrope: c’est-à-dire le fait d’enchaîner des récits inventés et changeants.

Le 17 juin, au lendemain de la tragédie des Marolles, les policiers ont découvert, dans l’appartement de La panne où Léopold Storme est retourné après les faits, deux boîtes avec mention Salvia (elles étaient complètes), ainsi que deux formes de LSD, dont il n’a pas été trouvé trace dans les urines…

MARIE-CÉCILE ROYEN

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