"Sophie Wilmès coordonne le statu quo. On sent qu'elle veut éviter toute polarisation pour ne pas entacher les négociations." © ERIC LALMAND/belgaimage

Sophie Wilmès, une si discrète Première ministre

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Alors que les négociations pour former un nouveau gouvernement fédéral s’enlisent, Sophie Wilmès tient la barre des affaires courantes. Sans faire de vagues. Par nature… et par obligation.

« Une reine, peut-être ?  » Bien essayé, monsieur. Induit en erreur, sans doute, par le rôle essentiellement protocolaire d’un gouvernement fédéral ultraminoritaire en affaires courantes. Une Première ministre a tout de même un peu plus de pouvoirs qu’une souveraine, mais ce passant anversois ne l’avait pas reconnue, ce jour de janvier dernier, lorsqu’un journaliste du Morgen lui avait mis sa photo sous le nez. Sur 65 personnes abordées, en fait, à peine huit avaient réussi à l’identifier. Et une seule avait été capable de citer le nom de Sophie Wilmès.

Même le Time, pourtant, en avait parlé. La première femme en Belgique à accéder à cette haute fonction, tout ça, tout ça. Et Forbes l’avait installée à la 68e place du top 100 des personnalités féminines les plus puissantes au monde. Et le Grand Baromètre RTL-Ipsos- Le Soir avait constaté un bond en avant de quinze places dans le classement de popularité des personnalités politiques à Bruxelles, en décembre 2019. Puis plus grand-monde n’en a vraiment reparlé. Sophie qui ?

Aucun souverain n’a jamais nommé aucune femme informatrice.

Sophie qui ne court pas les médias. Une interview à L’Echo, une autre à Sudpresse, une matinale sur Bel RTL… Ça n’a jamais été son truc, elle qui donnait sa première interview télévisée en 2015, après avoir été désignée ministre du Budget au sein du gouvernement Michel, bien qu’elle fut active en politique depuis une quinzaine d’années. Pas de tweet intempestif, pas de réaction à chaud, pas de petites phrases pour ne rien dire. Pas son genre.

Trois mois, déjà

Sophie qui n’a pas l’intention de s’éterniser. A sa nomination, fin octobre 2019, la libérale avait d’emblée annoncé son objectif : rester Première le moins longtemps possible.  » Longtemps  » : le monde politique belge et le dictionnaire ne partagent pas toujours la même définition. Trois mois ont déjà passé et d’autres risquent encore de s’écouler (sauf fulgurance du nouveau missionné royal, Koen Geens).

Sophie qui reste, donc. Discrètement. Par nature, et par obligation.  » Les circonstances ne lui permettent pas de faire autre chose que profil bas, note Catherine Xhardez, chercheuse en sciences politiques (universités Saint-Louis – Bruxelles et Concordia, au Canada). Elle ne peut pas vendre son action, alors que chaque jour supplémentaire de ce gouvernement est un échec.  » Puis l’action, en affaires courantes, avec 38 sièges de  » majorité  » sur 150, est forcément limitée. Celle de Charles Michel, depuis le départ de la N-VA en décembre 2018 jusqu’au sien en octobre 2019, l’était tout autant. Mais c’était moins flagrant, agitation pré-électorale oblige. Puis il avait un bilan à défendre.  » Comme Guy Verhofstadt et Yves Leterme qui, eux aussi, étaient restés après la chute de leur gouvernement mais qui pouvaient continuer à assumer leurs actions. Ici, Sophie Wilmès est devenue capitaine du bateau alors qu’il coulait déjà.  »

Sophie qui colmate. Comme elle peut, c’est-à-dire à l’étranger, surtout. Davos, Forum de la paix, COP 25, réunions de l’Otan, sommet européen, commémoration des 75 ans de la libération d’Auschwitz, prochainement une mission en République démocratique du Congo… Pour tenter de convaincre que  » le business est toujours ouvert  » (cfr Davos) et que  » la situation politique actuelle n’égratigne pas la fiabilité (du) pays en tant que partenaire ou allié « , comme elle l’a confié à Sudpresse.

Quinze petites questions

Sophie qui voyage. Parce qu’ainsi va sa fonction de représentante extérieure. Et parce qu’en Belgique, de toute façon, elle n’est guère débordée. Au Parlement, seules… quinze questions écrites lui ont été adressées (jusqu’au 21 janvier dernier, selon un document remis aux chefs de groupe). Là où ses ministres Maggie De Block ou François Bellot, pour ne citer que les deux plus sollicités, ont respectivement dû s’en coltiner 309 et 210.  » Charles Michel avait plutôt tendance à venir répondre lui-même aux interpellations et à digérer les couleuvres que les autres partis lui faisaient avaler, observe ce député de l’opposition. Sophie Wilmès donne plutôt l’impression de dispatcher vers ses ministres. Comme si moins on parle d’elle, mieux c’est.  »

Sophie qui délègue. De toute façon, les autres membres de son attelage ne croulent pas davantage sous le labeur. Leurs cabinettards, pour la plupart, ont quitté le navire. Ceux qui restent luttent contre l’ennui. Gestion sous budget en douzièmes provisoires + majorités à construire pour chaque dossier = marge de manoeuvre ultralimitée. Les points urgents passent par la conférence des présidents… qui ne manque pas de recaler ceux qui prendraient  » trop de libertés par rapport au contexte des affaires courantes, pointe l’un de ses membres. Comme concernant la nomination de nouveaux fonctionnaires. On a aussi bloqué un texte portant sur des mesures fiscales.  »

Sophie qui marche sur des oeufs.  » Elle coordonne le statu quo. On sent bien qu’elle veut éviter toute polarisation pour ne surtout pas entacher les négociations « , relève un parlementaire… qui préfère lui-même ne pas être cité,  » on ne sait jamais, vu le contexte « . Prudence généralisée, puisqu’aucun parti ne sait avec quel autre il pourrait être amené à gouverner.  » Tout le monde fait profil bas, remarque Catherine Xhardez. Même du côté flamand, les ministres du gouvernement régional ne font pas de grandes déclarations. Tous donnent l’impression de garder une réserve.  » Sauf Georges-Louis Bouchez, évidemment. Dont les grandes envolées et l’attirance médiatique, avant, pendant et après sa mission d’informateur royal, accentuent d’autant plus, par contraste, la discrétion de Sophie Wilmès.

Sophie qui, elle aussi, est consultée par le roi, dans le cadre de leurs réunions hebdomadaires. Mais qui ne négocie officiellement pas. Prérogative des présidents de partis, sauf exceptions (comme Koen Geens). De toute façon, aucun souverain n’a jamais nommé aucune femme informatrice/formatrice/négociatrice/réparatrice/démineuse.  » Jamais, confirme Jean Faniel, directeur du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). Là aussi, il y a un plafond de verre…  »

Bref, Sophie qui fait ce qu’elle peut. C’est-à-dire peu.

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