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Six mois après, black-out sur la tuerie de Liège

La justice liégeoise ne laisse rien filtrer de l’enquête sur la tuerie de Liège. Le profil de Nordine Amrani se précise cependant. Une petite frappe dans le sillage de grands truands, dont Pepe Rosato.

Le passé de Nordine Amrani (33 ans), investigué par la section « grand banditisme » de la police judiciaire fédérale de Liège, n’offre pas d’explication valable à son déchaînement de violence, le 13 décembre 2011, place Saint-Lambert. « L’explication la plus basique reste de mise, dit-on dans les milieux de l’enquête. Il avait une peur panique de retourner en prison. Il voulait se venger de la société et se tuer. » Mais pourquoi s’en prendre à de simples passants, alors que le palais de justice était juste au-dessus de la place ?

Déterminé quand on s’opposait à lui, filant doux quand il le fallait, Nordine Amrani n’était pas un homme courageux, malgré son gabarit d’athlète et son caractère parfois menaçant. En prison, selon l’enquête, il s’était placé sous la protection de Pepe Rosato, un truand de la bande Habran connu pour sa sauvagerie. Reconnu coupable de trois assassinats, ce dernier doit encore être rejugé sur la peine, lors d’un troisième procès d’assises qui se tiendra, en septembre, à Nivelles. En attendant, Pepe Rosato, libre comme l’air, hante les nuits liégeoises et règne sur une tribu de portiers et de prostituées. Depuis sa libération conditionnelle, en octobre 2010, Amrani était dans son sillage. S’il retournait en prison sans protecteur, il pouvait craindre des représailles d’anciennes victimes de Rosato. La prison est un enfer pour les hommes seuls.

Un toxico des armes

Lui-même n’était pas un caïd. Pourquoi a-t-il été admis dans leur cercle ? La publicité faite autour de son premier procès à Liège, en 2008, lui avait donné la réputation d’un mécanicien-soudeur surdoué, capable de monter et remonter une arme les yeux fermés. Son ancien avocat, Jean-Dominique Franchimont, se souvient de ses propos au tribunal : « Je suis un toxico des armes. » Sans se livrer à un trafic organisé (l’enquête ne le démontre pas), Amrani pouvait rendre des services dans ce domaine : fabriquer une arme avec des pièces détachées, installer un silencieux… Rien qui l’ait terriblement enrichi, même si, la veille de la tuerie, il a viré de l’argent (moins de 25 000 euros) sur le compte de son épouse.

Dans la section « homicide » de la PJF, une autre équipe travaille sur le meurtre d’Antonietta Racano, 45 ans, la femme d’ouvrage qui aurait été attirée dans le hangar d’Amrani, rue Bonne Nouvelle, et abattue par celui-ci, à la fin de la matinée du 13 décembre. Quel lien avec la tuerie de la place Saint-Lambert ? Si les enquêteurs le savaient seulement… L’assassinat d’Antonietta Racano ressemble à la « punition » qu’on donne aux traîtres dans le « milieu » : un tir à bout portant dans le visage. Il semblerait que seul Amrani pouvait ouvrir la porte du hangar. Mais aucune trace de lui n’a été relevée sur le lieu du crime. De prime abord, le parquet de Liège n’avait pas demandé une autopsie du corps de la femme d’ouvrage. Il s’est fait rappeler à l’ordre par le parquet général. Les analyses sont toujours en cours. Racano a-t-elle vu quelque chose qu’elle ne devait pas voir, s’est-elle opposée à une volonté d’Amrani (qui devenait dingue dans ces cas-là) ? Y a-t-il eu des faits sexuels ? S’agissait-il d’une vengeance pour un acte de dénonciation ? La vie de la femme d’ouvrage a été fouillée de fond en comble pour un bien maigre résultat.

Le couple Amrani en thérapie conjugale

Le couple Amrani était en thérapie conjugale mais sa femme, d’après l’enquête, ne se doutait pas des (éventuelles) activités délictueuses de son mari. C’est elle, fille d’un notaire liégeois hors fonction, qui avait l’argent : plusieurs immeubles de rapport. Certains observateurs émettent l’hypothèse d’une problématique sexuelle qui aurait échappé aux psychologues de l’administration pénitentiaire. Condamné pour le viol d’une handicapée mentale, en 2003, Amrani se serait encore signalé, après sa libération, par des comportements déplacés à l’égard des femmes. La plainte contre X pour laquelle il était convoqué au commissariat, le 13 décembre, à 13 h 30, et qu’il craignait tant, concernait un attentat à la pudeur avec violence.

Des rumeurs ont couru à propos du radicalisme supposé d’Amrani. Il ne vivait pas comme un musulman pieux et n’était pas un militant islamiste. « La piste terroriste n’est pas établie à ce stade », dit-on dans les milieux de l’enquête. Lorsqu’il a tiré sur des gens sans défense, Amrani n’était pas sous l’emprise d’une drogue dure. Ceux qui ont croisé son regard ne l’ont pas trouvé halluciné. Ses gestes n’étaient pas saccadés. En revanche, c’est le secret défense à propos de l’analyse toxicologique réalisée post mortem . L’une des conditions de sa libération conditionnelle était, en effet, de se soumettre à des analyses permettant de vérifier qu’il ne prenait plus de cannabis. Contrôles auxquels il refusait de se soumettre…

Une troisième équipe de la PJF, également de la « section homicide », s’est concentrée sur la fusillade de la place Saint-Lambert. Elle aurait terminé son boulot. Des dizaines de témoins ont été entendus. Les études balistiques ont montré qu’avec son fusil FN Fal, Amrani avait tiré dans toutes les directions, après avoir lancé ses grenades, et qu’il était bien placé pour faire un carnage pire encore, en ce mardi midi où les élèves rentraient chez eux après les examens de Noël. « J’ai vu l’homme sur la plate-forme du Point Chaud, à une vingtaine de mètres, déclarait, le jour même, au Vif/L’Express un magistrat témoin de toute la scène. Une arme dépassait de son sac. Le gars m’a regardé. Je l’ai regardé. J’ai fait quelques mètres pour sortir de son champ de vision et prendre mon GSM pour avertir mes collègues. Le temps de le sortir, ça commençait à exploser. Là, je me suis mis à l’abri mais je l’ai vu lancer ses grenades. » Deux adolescents ont péri ce jour-là, Mehdi-Nathan Belhadj et Pierre Gérouville. Puis un jeune homme de 20 ans, Laurent Kremer, un bébé de 17 mois, Gabriel, et une dame âgée de 75 ans, Claudette Derimier.

La tuerie de Liège fait cependant l’objet d’un black-out de la part des autorités. Pas de nouvelles de l’enquête confiée à la juge d’instruction Micheline Rusinowski. Aucun bilan de la surveillance exercée par la police locale et la maison de justice de Liège sur Nordine Amrani, en libération conditionnelle au moment de son coup de folie. Pas de réflexion à propos du rôle de la police et du parquet de Liège qui, lorsque Amrani a été soupçonné d’un nouveau fait de moeurs, en novembre 2011, n’ont pas prévenu le tribunal d’application des peines dont dépendait sa libération (et l’éventuelle révocation de celle-ci). Pas de débriefing officiel sur l’état de panique qui a régné sur la ville pendant plusieurs heures.

L’heure était alors au deuil, la société liégeoise extrêmement choquée et solidaire. Mais plus de six mois ont passé et les questions demeurent. « Nous communiquerons avant le premier anniversaire de la tuerie », a promis au Vif/L’Express Danièle Reynders, la procureure du roi de Liège.

MARIE-CÉCILE ROYEN

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