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Simone Susskind :  » Qu’Emir Kir quitte le PS ! « 

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Pour Simone Susskind (PS), le populaire bourgmestre de Saint-Josse, Emir Kir, doit en finir avec « son double discours ». Et son parti, dit-elle, doit trancher un cas devenu « inacceptable » après la réception à Saint-Josse de bourgmestres turcs d’extrême droite.

Le 4 décembre dernier, Emir Kir, bourgmestre PS de Saint-Josse et député fédéral, invitait à la maison communale une délégation de maires turcs, parmi lesquels deux membres du MHP, parti d’extrême droite réputé proche des Loups Gris.

Saisie par un militant excédé, la commission de vigilance de la fédération bruxelloise du PS va, dans les jours qui viennent, recevoir Emir Kir. Elle pourrait lui infliger des sanctions allant du blâme à l’exclusion du parti. Simone Susskind, docteur honoris causa de l’ULB, députée bruxelloise jusqu’à mai dernier et toujours très active sur les questions internationales -elle organise chaque année des voyages mêlant plusieurs écoles bruxelloises très différentes en Israël et en Palestine-, avait déjà à l’été 2015, tenté, à la demande de la présidente d’alors de sa fédération, Laurette Onkelinx, d’infléchir la position d’Emir Kir, très fermé sur la question du génocide arménien. Il avait à la Chambre « brossé » une minute de silence en hommage à ses victimes. Il avait ensuite, sous la pression de la présidence du PS, voté une résolution de la même assemblée reconnaissant le génocide arménien, mais s’est toujours refusé à s’exprimer publiquement sur la question.

Selon vous, Emir Kir a cette fois dépassé les limites ?

Emir Kir a posé plusieurs actes précédemment. Il a été reçu par le maire MHP d’Emirdag à l’été 2018, disant avoir eu avec lui une excellente conversation. Et Emir Kir ne s’est jamais exprimé sur les atteintes aux droits de l’homme en Turquie depuis le coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016. Au contraire, il entretient de bonnes relations avec le régime turc. Alors, c’est vrai que c’est compliqué, mais à un moment donné il faut clarifier. Donc je pense qu’on a atteint un point de non-retour, et je suis personnellement très heureuse qu’il soit appelé devant la commission de vigilance. Il ne peut pas continuer avec cette approche schizophrénique, être de gauche ici et pas là…

Selon sa porte-parole, il n’a fait que prolonger l’invitation d’une délégation de maires turcs qui participaient à des discussions avec une institution européenne…

On ne peut pas se limiter à cet événement. Au sein d’un parti qui défend des valeurs de démocratie et de respect des droits humains, on ne peut pas continuer à avoir des membres éminents qui ont ces valeurs quand ils s’expriment ici, et qui ne les ont plus quand ils s’expriment ailleurs. C’est problématique et inacceptable.

Il doit être exclu du parti ?

Ce n’est pas à moi de prendre cette décision, mais regardez ce qu’il s’est passé avec Benoit Hons cette semaine. Il a tenu des propos racistes, le parti a pris position, sa commune également, et lui-même en a tiré les conclusions. C’est vrai que le parti a beaucoup construit, ici à Bruxelles notamment, sur l’appui de la communauté turque. Mais on ne peut pas continuer à jouer sur les deux tableaux.

Le président de la fédération, Ahmed Laaouej, a réagi tout de suite pour condamner l’organisation de cette réception.

C’est nouveau, et c’est aussi la première fois qu’on saisit la commission de vigilance.

Qu’en attendez-vous?

J’espère qu’Emir Kir en tirera les conséquences lui-même…

Lesquelles ?

Qu’il dise qu’on a un désaccord fondamental, et qu’il dise « je m’en vais ». Je ne sais pas ce que le parti va faire. Emir Kir n’est pas n’importe qui, on a quatre députés d’origine turque au Parlement bruxellois, c’est une masse de voix. C’est compliqué, oui. On va peut-être lui demander de s’engager à ne plus rencontrer de mandataires du MHP. Moi, ce que j’attendrais, c’est qu’il s’exprime sur ce qui se passe en Turquie, dire que c’est inacceptable…

Pensiez-vous déjà, après avoir tenté de mener cette mission de médiation, qu’il n’avait plus sa place au PS ?

Oui, je le pensais déjà ! C’est compliqué et je le sais, les trois quarts des électeurs turcs de Belgique qui s’expriment lorsqu’un scrutin est organisé en Turquie votent pour l’AKP. Mais il faut avoir le courage de ses opinions. Moi, j’ai vu des mandataires allemands d’origine turque, le vert Cem Ozdemir par exemple, prendre des positions très courageuses et très claires sur le génocide arménien. Il était le chef de son parti ! Il y a des choses sur lesquelles on ne doit pas transiger. Pourquoi on ne devrait pas demander un minimum de courage d’un mandataire belge d’origine turque ?

En 2015, on a entendu Laurette Onkelinx dire que votre mission de médiation commençait, mais on ne l’a jamais entendue dire qu’elle était terminée. Pourquoi ?

Elle ne s’est pas poursuivie, parce que je me suis rendue compte que je n’avais pas d’interlocuteur pour avancer. J’ai demandé à rencontrer des membres de tous les segments de la communauté turque. J’ai demandé à avoir l’occasion d’entendre tout le monde. On m’a dit oui oui oui, mais on ne m’a jamais proposé de rendez-vous… C’était une mission qui était liée à un moment spécifique, mais elle a perdu de son sens… Je l’ai dit à mes collègues, à Emir Kir et à certains députés bruxellois : on ne peut pas tenir un double discours quand on est un responsable politique. Je ne demandais même pas de prendre des positions radicales, mais avoir le courage d’au moins mener une réflexion. Et on n’était pas prêt à le faire. Donc, cette mission est morte… Pour Laurette Onkelinx, l’idée était, je suppose, de passer la crise et de se préparer pour les prochaines échéances électorales. C’était ça aussi… Moi, j’ai fait ce que je pouvais. Je continue à m’intéresser à la Turquie, j’ai été manifester plusieurs fois, j’ai rencontré l’ambassadeur pour lui expliquer ce que nous ressentions par rapport à ce qu’il s’y passe. Mais je n’ai jamais vu Emir Kir là-bas, ni mes autres collègues du Parlement.

Simone Susskind, députée bruxelloise PS.
Simone Susskind, députée bruxelloise PS.© Debby Termonia

Emir Kir est le seul problème qu’a le PS par rapport à ces questions qui concernent la Turquie ?

Il a un rôle de leader. Il est un leader dans cette communauté. Les autres ne s’expriment jamais sur ces questions, ils s’échappent parce que leur carrière politique est en jeu. Comme il est un leader, il est un symbole. Le Parti socialiste ne lui demande pas de venir manifester devant l’ambassade de Turquie, mais qu’est-ce qui l’empêche d’aller voir l’ambassadeur, pas pour lui dire bravo, mais de lui donner le point de vue d’un social-démocrate qui a des valeurs, et qui s’inquiète des dérives de ce régime ? Jouer un rôle de leader, quoi ! Il ne le fait pas…

N’en demande-t-on pas plus aux mandataires d’origine turque qu’aux autres ? On n’aurait pas l’idée de demander à un Dupont ou à un Vanpieperzeele de s’exprimer sur le génocide arménien ou sur le MHP…Pourquoi l’exige-t-on d’un Emir Kir ? Ne le réduit-on pas à ses origines ?

D’abord, il s’est lui-même profilé comme le champion de la communauté turque de Bruxelles, pas comme un spécialiste de la fiscalité, de l’environnement, de l’enseignement, des taxis ou de la culture, et ce ne sont quand même pas Dupont, Vanpieperzeele ou d’autres bourgmestres qui ont invité des bourgmestres du MHP que je sache ! Et ensuite, il a un lien plus privilégié pour exprimer en Turquie ce qu’on ressent en Belgique. Avec les relations qu’il a là-bas, il pourrait le faire beaucoup mieux que moi. Je ne sais d’ailleurs pas si j’aurais encore un visa pour y aller… Je ne dis même pas qu’il faudrait qu’il en fasse grande publicité, parce que je sais que ça peut être compliqué, mais il ne fait pas ça ! C’est logique qu’automatiquement, comme il est originaire de là et qu’il s’en revendique, qu’on se questionne sur ses positions. On le voit avec les Belgo-marocains : ils s’expriment souvent bien plus librement, sans nécessairement descendre dans la rue, sur ce qu’il se passe au Maroc, et il n’y a pas de problème. C’est vrai qu’il y a des limites à ne pas franchir, mais les responsables politiques du pays d’origine doivent aussi pouvoir entendre. C’est ça le rôle du leader, ce n’est pas du réductionnisme ! Moi, je ne suis pas israélienne, mais j’ai de la famille là-bas, et je travaille beaucoup à sensibiliser sur le conflit israelo-palestinien, je m’exprime et j’essaie de montrer justement qu’en Israël il y a des gens qui s’opposent à ce que fait ce gouvernement…Je le fais justement parce que je pense que je suis mieux placée que quelqu’un qui connait moins bien la société israélienne. Il y a des moyens. Mais Emir Kir jamais il ne fait ça. Jamais. J’espère que la commission de vigilance va lui dire, ça aussi. Pourquoi tu ne fais pas ça ? Pourquoi tu ne rencontres pas ces responsables politiques importants, parce que tu as beaucoup de relations importantes, pour leur dire ce qu’on ressent, nous, ici ? Ce que font par exemple des Allemands d’origine turque…

Est-ce que c’est, pour vous, un problème d’être dans le même parti qu’Emir Kir ?

Ca me dérange. Alors, soit il change et accepte de jouer son rôle, dire que dans notre pays, la Belgique, enfermer des gens arbitrairement, ce n’est pas admissible, et que ce n’est pas admissible non plus de s’asseoir à la table de l’extrême droite,…

Mais s’il ne change pas et qu’il n’est pas exclu, vous partez ?

Moi je ne vais pas quitter le parti. Mais il est temps qu’il sache au moins qu’il a une épée de Damoclès au-dessus de la tête, c’est clair.

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