Le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, un demi-siècle d'existence. © belga image

Savez-vous donner l’âge de la Belgique fédérale?

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

7 décembre 1971, jour J de l’an I de la Belgique fédérale? La date anniversaire de l’installation des premiers parlements communautaires pourrait le faire croire. Sauf que la prétendue quinquagénaire sait mentir sur son âge, analyse Cédric Istasse, chercheur au Crisp.

Un demi-siècle d’existence, un bail. Qui se fête ou, pour le dire plus solennellement, se commémore. Le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (officiellement Communauté française) comme celui de Flandre ne se sont pas privés de se souvenir, en 2021, de leur première installation simultanée le 7 décembre 1971 très exactement. C’était au temps des Conseils culturels néerlandais et français, des premiers pas balbutiants d’une Belgique qui n’était plus celle de papa sans être encore pleinement fédérale et qui se cherchait avant tout une manière de rebondir qui puisse lui assurer un avenir.

Que la Belgique fédérale se glisse cette année-ci dans la peau d’une quinqua ne saute pourtant pas aux yeux et Cédric Istasse, chercheur au Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques), en a fait l’expérience en scrutant la ligne du temps dans l’espoir d’y déceler le moment où tout se serait joué.

Formellement, la date du grand basculement ne souffre aucune discussion. Le 8 mai 1993, le très officiel Moniteur belge publie le texte révisé de la Loi fondamentale du royaume qui s’ouvre désormais par cette phrase: « La Belgique est un Etat fédéral qui se compose des Communautés et des Régions », punt aan de lijn/point à la ligne. La Constitution fait foi et le doute n’est plus permis.

Ceci n’est pas un état fédéral

En rester là serait un peu court. « Le mot ne fait pas la chose, mais l’absence du mot n’empêche pas non plus l’existence de la chose », relève Cédric Istasse. C’est qu’il en aura fallu, des larmes, de la sueur mais fort heureusement pas de sang (si l’on excepte quelques solides plaies et bosses à Fourons) pour tourner officiellement la page. Et il aura fallu passer par quatre réformes de l’Etat avant d’obtenir, en 1993, le couronnement noir sur blanc d’une mue institutionnelle qui n’allait d’ailleurs nullement signifier la fin de cette histoire.

Mais quand donc cette idée de fédéralisme a-t-elle bien pu s’insinuer dans les coeurs et trotter dans les têtes? Cédric Istasse y trouve les premières traces dans l’entre-deux-guerres, à l’état de cadre conceptuel que manient alors « des observateurs et des acteurs de la vie politique belge, à commencer par les militants du Mouvement wallon et du Mouvement flamand ». Rien encore d’abouti à l’époque et « longtemps, le terme « fédéralisme » a été en quelque sorte tabou parmi les décideurs politiques belges », largement récusé par les artisans et promoteurs de la première réforme de l’Etat (1970-1973) qui se défendaient de travailler à l’édification d’un Etat fédéral. « On peut bien sûr parler d’une certaine philosophie fédéraliste, mais l’Etat que nous allons créer, communautaire et régionalisé, n’est pas un Etat fédéral », assure alors Freddy Terwagne (PSB), ministre des Relations communautaires. Et tant pis si l’Etat central perd le monopole du pouvoir législatif au profit d’autres ordres juridiques.

Longtemps, le terme u0022fu0026#xE9;du0026#xE9;ralismeu0022 a u0026#xE9;tu0026#xE9; en quelque sorte tabou parmi les du0026#xE9;cideurs politiques belges.

Le roi assume

Impossible de toute façon de chasser l’idée de l’esprit et le seuil psychologique est franchi lorsque la troisième réforme de l’Etat (1988-1990) en fait explicitement l’objectif de cet énième chantier institutionnel. Signe de la révolution mentale accomplie, le roi des Belges en personne, pointe Cédric Istasse, assume: « Dans son allocution pour la fête nationale de 1988, le roi Baudouin lui-même a déclaré que la réforme alors en cours d’adoption avait pour objet de « transformer les structures [du] pays en celles d’un Etat fédéral ». » Fin des années 1980, la dernière pièce du puzzle, la Région de Bruxelles-Capitale, trouve sa place aux côtés des trois Communautés française, flamande et germanophone nées en 1970, et des Régions wallonne et flamande créées en 1980. Le compte est enfin bon, la Belgique est fédérale même s’il lui faudra encore patienter quelques années, 1993 donc, avant de décrocher sa nouvelle carte d’identité.

Dieu que ce fut laborieux: plus de deux décennies pour mener à bien une mutation enclenchée, « dans un certain sens », nuance Cédric Istasse, ce jour de décembre 1971 qui vit éclore les Conseils culturels français et néerlandais, ancêtres de nos parlements communautaires encore que sous une forme très inachevée (compétences et budget restreints, pas d’organe exécutif, pas d’élus spécifiques). Allez, cinquante ans de fédéralisme le 7 décembre prochain, affaire conclue? Il faut déchanter. « Il apparaît vain de tenter de déterminer une date ou même une année précise à laquelle la Belgique aurait cessé d’être un Etat unitaire pour devenir un Etat fédéral. Si le fédéralisme belge rejoint peu à peu la catégorie des phénomènes qui ont « un certain âge », il demeure néanmoins d’un âge incertain. » Une vraie histoire belge, au fond.

La Belgique fédérale a cinquante ans. Vraiment? , par Cédric Istasse, Les @nalyses du Crisp en ligne, 7 décembre 2021.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire