Carte blanche

Santé mentale inclusive par tous et pour tous: lettre ouverte à M. Vandenbroucke (carte blanche)

Une cinquantaine de psychiatres saluent les avancées faites pour la santé mentale, mais demandent au ministre fédéral de la Santé de « poursuivre cet effort remarquable » pour prendre en considération leur action au service des cas les plus lourds.

Monsieur le Ministre de la Santé,

Nous accueillons avec enthousiasme votre volonté de soutenir la population fragilisée psychiquement par la crise du Covid qui a aggravé une réalité déjà pré-existante. Soutenir les soins psychiques de première ligne en Belgique est une avancée majeure pour tous les citoyens.

Nous avons assisté au déploiement des psychologues de première ligne et pris connaissance de la convention que vous avez élaborée avec eux au sein d’une commission transversale. Et nous sommes favorablement surpris de ses conditions! Désormais, le psychologue est rémunéré 75 euros pour sa première consultation et 60 euros pour les suivantes. Le patient bénéficie d’un remboursement tel qu’il payera maximum 11 euros, voire 4 euros s’il est bénéficiaire d’une intervention majorée. Ces sommes tiennent également compte du travail administratif du psychologue, tel que la rédaction du courrier au médecin traitant, la tenue de ses notes au dossier ou d’autres nécessités administratives permettant une prise en charge optimale.

Par ailleurs, le remboursement important de ces soins permet une accessibilité améliorée aux patients, dont les fragilités psychologiques entraînent souvent une précarité financière. Ce remboursement majoré est donc un élément appréciable.

Rappelons que la Conférence ministérielle européenne de l’OMS distingue deux aspects de la santé mentale: d’une part la santé mentale « positive », comprenant l’autonomie, le bien-être, l’épanouissement personnel et, d’autre part, la santé mentale « négative » qui regroupe deux formes – la détresse psychologique réactionnelle (induite par les situations éprouvantes et les difficultés existentielles), qui est passagère et les maladies mentales, les affections psychiatriques de durée variable, sévères et handicapantes.

Les soins psychologiques de première ligne sont à destination des personnes souffrant de difficultés psychiques légères à modérées, difficultés souvent réactionnelles et passagères mais ne sont pas à destination des maladies mentales lourdes et chroniques, qui nécessitent une prise en charge médicale et psychiatrique. Dès lors, nous nous demandons de quelle façon vous allez poursuivre cet effort remarquable et être attentif à ces patients souffrant de problématiques psychiques modérées à plus lourdes. Les concernant, la prise en charge est principalement réalisée par le médecin généraliste (8 ou 9 ans d’études) et le médecin psychiatre (11 ou 12 ans d’étude), dans la cadre des services d’urgences, des consultations ambulatoires de première ligne ou des soins sous contrainte. Ces patients sont régulièrement non demandeurs, encore plus paupérisés au niveau socio-économique et leur accès aux soins est d’autant plus compromis. Dans ce cadre, le travail administratif (certificat médical circonstancié, rapports médicaux, certificat d’incapacité de travail ou vers les mutuelles, ordonnances, contact avec l’entourage, le psychologue, le médecin traitant) est très important. De plus, ces patients nécessitent une continuité des soins le soir et le week-end, ainsi qu’un travail non planifié. Les gardes et le travail en urgence sont des pré-requis indispensables de la profession de médecin et de psychiatre pour assurer l’accompagnement des cas difficiles. Enfin, la responsabilité medico-légale est lourde, que ce soit en accompagnement volontaire ou en accompagnement sous contrainte.

Actuellement, pourtant, ce domaine est sous-estimé dans vos efforts. Les services d’urgences psychiatriques et les soins sous contrainte sont sous-financés et la consultation ambulatoire du psychiatre est de maximum 81 euros, (6 euros de plus que celle du psychologue à 75 euros) ou de 50 euros (10 euros de moins que la consultation du psychologue tarifée à 60 euros). Qui plus est, aucune rémunération n’est prévue pour tout le travail administratif pourtant conséquent, travail que nous faisons donc actuellement bénévolement le soir ou le week-end.

Par ailleurs, lors de ces consultations, le patient doit payer une quote-part personnelle de 18 euros (ou de 7 euros quand il est bénéficiaire d’une intervention majorée). Un patient souffrant d’une problématique psychiatrique plus lourde et étant souvent encore plus désinséré doit donc payer sa consultation plus cher que s’il va chez le psychologue.

Par ailleurs, la téléconsultation psychiatrique est possible depuis la crise Covid. Elle a permis de garder le lien avec toute une série de patients en souffrance. Mais elle est moins financée que la consultation « en présentiel » et il n’est toujours pas possible d’initier une consultation psychothérapeutique en téléconsultation, possibilité désormais accordée aux psychologues. La spécialisation de psychiatrie est en pénurie, le peu de candidats est inquiétant et les nouvelles dispositions vont renforcer un manque déjà criant. Il faut donc d’urgence réfléchir à la façon de valoriser cette profession vu les besoins croissants de la population. Les psychiatres actuellement formés sont débordés, abattent un travail phénoménal depuis la crise Covid, ayant été confrontés à une augmentation des demandes et des cas cliniques lourds tout en devant gérer les cas Covid comme tous les autres médecins. Les psychiatres font aussi un gros travail de première ligne, accueillant les patients dans l’urgence, établissant des diagnostics et organisant des prises en charge complexes dans leur cabinet, en consultation, aux urgences, à l’hôpital psychiatrique dans les service de santé mentale. C’est donc l’ensemble du trajet de soins qui doit être valorisé.

Nous le répétons: nous saluons avec force une convention qui favorise l’accès aux soins en santé mentale. Nous affirmons ici que la collaboration tissée avec nos consoeurs et confrères psychologues est la base indispensable de soins de qualité. Nous la mettons en pratique tous les jours. Ce n’est donc pas dans une optique d’opposition à nos collègues psychologues que nous vous interpellons, mais plutôt de collaboration.Nous vous demandons donc instamment de prendre en compte cette réalité et nous restons à votre disposition pour une rencontre afin de voir de quelle façon nous pouvons améliorer rapidement cet état de fait et valoriser tant le travail du psychiatre que l’accessibilité des patients qui en ont grandement besoin.

Les psychiatres signataires:

Dr Ayache Laurence,

Dr Berens Ann,

Dr Bosma Geert,

Dr Brusselmans Marc,

D Catthoor Kirsten,

Dr Clumeck Nicolas,

Prof Constant Eric,

Dr Depuydt Caroline,

Dr Debersaques Eric,

Dr de Hepcée Céline,

Dr Delanaye Carole,

Dr Delatte Benoit,

Prof de Timary Philippe,

Dr Delongueville Xavier,

Dr Desseilles Martin,

Prof Dom Geert,

Prof Dubois Vincent,

Dr Dujardin Stéphane,

Dr du Roy Paul,

Dr Feys Jean-Louis,

Dr Fleischman Benoit,

Prof Fossion Pierre,

Dr Gillain Benoit,

Dr Jammaer Renaud,

Dr Kestens Catherine,

Prof Kornreich Charles ,

Dr Ladha Karim,

Dr Lantonnois Gilles,

Dr Leclercq Carmen,

Dr Legein François,

Dr Lecot Wim,

Dr Lievens Elke,

Dr Lievens Paul,

Prof Loas Gwenolé,

Prof Linkowski Paul,

Dr Masson André,

Dr Matthysen Vicky,

Dr Mertens de Wilmars Serge,

Dr Moens Kevin

Dr Monville François,

Dr Oswald Pierre,

Dr Passelecq André,

Dr Pitchot William,

Dr Schepens Pierre,

Dr Strul John,

Dr Struye Adèle,

Dr Tecco Juan ,

Dr Van Durme Etienne,

Dr Van Haute Kathleen,

Dr Verdoot Philippe,

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