Sanctionner financièrement les partis pour éviter les blocages

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

L’idée de toucher les politiques au portefeuille s’ils ne parviennent pas à former un gouvernement dans un délai raisonnable est adoubée par deux universitaires.

Faut-il sanctionner financièrement les partis politiques s’ils ne parviennent à former un gouvernement dans un délai de temps raisonnable? L’idée revient souvent dans les débats citoyens sur les solutions à apporter pour éviter les blocages à l’avenir. Lundi soir, elle a été adoubée de façon étonnante par une constitutionnaliste et un politologue, lors de l’émission Questions en prime, sur la RTBF.

Sans surprise, à l’entame du débat, le présentateur Sacha Daout relève un sondage exprès selon lequel 80% des Belges trouvent « totalement inadmissible » que notre pays n’ait toujours pas de gouvernement fédéral, plus de 450 jours après le scrutin. Sur les réseaux sociaux, la colère s’exprime. Peut-on tourner en rond sans fin? « La Constitution est très laconique et flexible à ce sujet, mais cela ne suffit visiblement plus« , souligne Anne-Emmanuelle Bourgaux, constitutionnaliste à l’UMons.

Dans les textes, aucun délai n’est fixé, cela peut durer en réalité jusqu’à la fin de la législature. Le 17 septembre est potentiellement une date butoir, cette fois, car le gouvernement minoritaire de Sophie Wilmès ne pourra plus recevoir la confiance à la Chambre. Mais sans garantie. « La question est de savoir si l’on trouvera une majorité parlementaire pour voter des élections, précisee le politologue Dave Sinardet (VUB). Si ce n’est pas le cas, on risque les affaires courantes. »

Le principal changement revendiqué par les auditeurs de la RTBF pour changer la situation? Le même sondage rapide évoque prioritairement ceci: « Toucher au portefeuille des partis ou des élus si pas de gouvernement ». Un coup de sonde organisé auprès de nos lecteurs par Le Vif/L’Express, en début d’année, avait déjà relevé une même sensibilité.

La proposition est a priori un rien populiste. Les universitaires présents l’adoubent, toutefois, avec des nuances.

Toucher à la dotation des partis, une bonne idée? Etienne de Callataÿ, professeur d’Economie à l’UNamur, est le premier à réagir: « L’économiste pourrait avoir tendance à dire oui, mais sachons quand même que ce n’est pas idéal. Si on venait à prendre les partis au portefeuille, cela donnerait un avantage à ceux qui ont les finances en meilleur état, qui ont le meilleur trésor de guerre, et ce ne sont pas nécessairement les partis que l’on souhaiterait voir prendre un maximum d’influence dans notre pays. Je crois qu’il y a d’autres mécanismes. Il y a peut-être à revoir notre obligation à aller revoter. » Il conclut par une touche d’humour: ‘On pourrait aussi imaginer que ceux qui ne parviennent pas à s’entendre ait moins de temps d’antenne lors des prochaines élections. »

« Une épée de Damoclès »

La constitutionnaliste Anne-Emmanuel Bourgaux est davantage favorable: « Je crois, oui, qu’il faut aider les partis à prendre des décisions. Visiblement, ce n’est pas de gaieté de coeur que les partis ne vont pas au pouvoir, c’est parce qu’ils ont des peurs, ils ne parviennent pas à faire des compromis. Il faut les aider et on n’a rien trouvé de mieux jusqu’à présent que des incitants financiers. Moi, je pense que c’est une bonne idée. L’année dernière – et c’est bien! – on a consacré 32 millions d’euros au financement public des partis politiques. Je suis très attachée à ce financement public des partis, si on voulait le supprimer, j’irais manifester dans la rue, avec un masque. Mais il faut que ce soit une épée de Damoclès au-dessus de leur tête parce que, visiblement, ils n’y arrivent plus. Prévoyons un incitant dégressif: si on n’a pas de gouvernement pendant trois, six ou neuf mois, la dotation en pâtit. »

Le politologue Dave Sinardet abonde dans ce sens: « On le voit depuis les élections, il y a un problème de procrastination dans la classe politique belge. On a besoin d’un moyen pour mettre les politiques sous pression pour effectivement former des gouvernements. Je partage un peu les réticences d’Etennne de Callataÿ. Néanmoins, je pense aussi qu’il faudrait peut-être avoir un incitant financier. Les partis politiques sont très bien financés par les autorités publiques en Belgique, les montants sont presque les plus élevés de toute l’Europe. Si après six mois il n’y a pas de gouvernement, on pourrait imaginer un dégresssivité du financement des partis. Pas du salaire des parlementaires parce que ce ne sont pas nécessairement eux les premiers responsables de l’absence de gouvernement. »

Une autre option, meilleure selon Dave Sinardet, serait toutefois de dire que l’on va automatiquement aux élections s’il n’y a pas de gouvernement après six mois.

Marc Uyttendaele, constitutionnaliste de l’ULB, désapprouve quant à lui l’idée de sanctionner financièrement les partis: « Voilà une bien triste conception néo-libérale, mercantile et productiviste de la démocratie sans oublier que les premières victimes en seront des collaborateurs mis au chômage, » souligne-t-il.

Voilà une bien triste conception néo-libérale, mercantile et productiviste de la démocratie sans oublier que les premières victimes en seront des collaborateurs mis au chômage.

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