Claude Demelenne

Saga des terrasses: Frank Vandenbroucke a raison, mais il faut faire un geste pour l’horeca (carte blanche)

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Certains mandataires francophones sont irrités par Frank Vandenbroucke, qui serait  » trop rigide « . Ils se trompent. Le ministre fédéral de la Santé reste, plus que jamais, l’homme de la situation. Mais il faut faire un geste pour l’Horeca.

La saga des terrasses peut paraître anecdotique. Elle est surtout révélatrice des états d’âme d’une minorité de décideurs. Ceux-ci sont plus prompts à égratigner Frank Vandenbroucke qu’à serrer les rangs pour lutter contre la pandémie.

Sympathiques, les rebelles

A entendre certains, il y aurait d’un côté les sympathiques rebelles, au départ majoritairement liégeois, qui veulent rouvrir leurs terrasses le 1er mai. Et de l’autre, le borné Frank Vandenbroucke, prenant un plaisir pervers à annoncer en boucle « du sang et des larmes ». Ce n’est pas exact. Bien sûr, les rebelles de l’Horeca sont sympathiques. Bien sûr, leur désespérance est compréhensible. C’est souvent l’investissement – et le rêve – de toute une vie qui est en train de s’écrouler. Bien sûr ils doivent être entendus par le monde politique. Bien sûr les aides financières qui leur ont été accordées sont insuffisantes, surtout en Wallonie et à Bruxelles. Pour autant, prôner la désobéissance civile n’est pas la solution. C’est jouer avec des allumettes. Au bout du compte, il pourrait n’y avoir que des perdants.

La colère est mauvaise conseillère

La colère est rarement bonne conseillère, même si celle des restaurateurs est justifiée. Rouvrir les pompes à bière le 1er mai, sous le regard bienveillant de certaines autorités politiques, constituerait pourtant un dangereux précédent. Que se passera t-il si les autorités ferment les yeux sur un tel mouvement de désobéissance civile ? Ce sera le « Far West », selon l’expression de Frank Vandenbroucke. La loi de la jungle. Le plus fort, celui qui possède le meilleur groupe de pression, écrasera le plus faible.

Et les supporters de foot ?

Si dans quelques semaines, 10.000 supporters du Standard se rendent devant le stade de Sclessin et exigent de pouvoir assister au match, que fera le bourgmestre de Liège, Willy Demeyer ? Demandera-t-il à sa police de laisser faire, parce qu’elle n’a pas les moyens de gérer pareille foule en colère ? S’il décide de faire respecter la loi, les clubs de supporters dénonceront sa politique de « deux poids, deux mesures », puisque la tolérance a été de mise pour les restaurateurs et les cafetiers.

Pas la langue de bois

La cible préférée des rebelles, de Liège et d’ailleurs, est Frank Vandenbroucke. C’est fort injuste. Le ministre fédéral de la Santé ne pratique pas la langue de bois. Depuis son entrée en fonction, jamais Frank Vandenbroucke n’a annoncé le moindre assouplissement d’une mesure sanitaire sans préciser, dans la foulée : «  Si les chiffres de la pandémie le permettent ». A cet égard, avec le Premier ministre libéral, Alexander De Croo et le Vice-premier socialiste, Pierre-Yves Dermagne, il est sans doute, au fédéral, le décideur politique le plus cohérent dans ses prises de position.

Vandenbroucke est populaire

Au-delà de la controverse sur les terrasses, il est à noter que l’opinion publique apprécie la « ligne Vandenbroucke ». Le ministre de la Santé est actuellement le 3eme politique le plus populaire en Flandre, le 4eme à Bruxelles, et le 5eme en Wallonie (pratiquement à égalité avec Elio Di Rupo). A lire certaines prises de position, on a parfois l’impression que c’est « Vandenbroucke contre le reste du monde ». Rien n’est plus faux. Globalement, et même si l’adhésion aux mesures faiblit, ce qui est tout sauf étonnant après de longs mois de confinement, une majorité de Belges continuent à faire confiance au « méchant » Vandenbroucke.

La saga des terrasses, un moment-clé

Depuis son entrée en fonction, à chaque moment-clé, le ministre fédéral de la Santé s’est imposé comme l’homme de la situation. Celui qui n’a qu’une obsession : protéger au mieux la population face à la gravité de la situation sanitaire. La saga des terrasses apparaît à un nouveau moment-clé : celui où une partie de l’Horeca, au bout du rouleau, tente le coup du passage en force. On comprend le désarroi de ces restaurateurs, souvent au fond du trou. Mais si leur « opération du 1er mai » réussit, d’autres coups de force suivront. Ce sera le règne du « chacun pour soi ». Le socialiste Frank Vandenbroucke est dans son rôle en s’opposant à ce « chacun pour soi », contre lequel s’est toujours battu sa famille politique.

La gauche est attendue au tournant

Historiquement, c’est aussi l’honneur de la famille politique socialiste d’avoir toujours tenté de n’abandonner personne au bord de la route. Aujourd’hui, de plus en plus de restaurateurs et de cafetiers sont seuls au bord de la route. Cette situation ne peut être acceptée avec fatalisme par la famille politique de Vandenbroucke & C°. Il est impensable de ne pas entendre le cri de désespoir des travailleurs de l’Horeca.

La gauche a parfois été suspectée d’être peu sensible aux drames vécus par certains indépendants. Le moment est venu de faire un pas vers le secteur de l’Horeca. Non pas en autorisant l’ouverture des pompes à bière le 1er mai, ce serait anecdotique , mais plus fondamentalement en apportant aux travailleurs de l’Horeca une aide financière enfin conséquente. Pas une aumône. Un véritable appui, qui permettra d’éviter un dramatique naufrage collectif. Frank Vandenbroucke et la famille socialiste doivent jouer un rôle moteur dans ce sauvetage de l’Horeca. Il y a urgence.

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