Bernard Ntuyahaga en 2007 © Belga

Rwanda: Que faire du « bourreau des paras »?

Muriel Lefevre

En 2007, Bernard Ntuyahaga a été condamné à 20 ans de prison pour le meurtre des dix paras belges au Rwanda lors de ce qu’on a appelé le troisième procès du génocide rwandais à la cour d’assises de Bruxelles. Relâché depuis deux mois, il attend son expulsion dans un centre fermé. La question est où ? se demande De Standaard.

Le 4 juillet 2007, l’homme a été condamné pour le meurtre de Bruno Bassine, Alain Debatty, Christophe Dupont, Yannick Leroy, Stéphane Lhoir, Thierry Lotin, Bruno Meaux, Louis Plescia, Christophe Renwa et Marc Uytebroeck, les dix paras assassinés en 1994 au Rwanda. C’est lui, major rwandais à l’époque des faits et Hutu radical, qui a conduit le lieutenant Lotin et ses hommes au camp Kigali, après qu’ils eurent été désarmés devant la résidence toute proche de la Première ministre Agathe Uwilingyimana et dont ils devaient assurer la protection.

A l’issue de ce procès qui s’étalera sur dix semaines, le procureur qualifiera Ntuyahaga de « tueur de la pire espèce ». L’accusé, impassible, n’aura pour sa part rien avoué, rien regretté. « En niant l’évidence, vous avez ajouté l’insulte à la blessure », avait répliqué le bâtonnier Magnée au nom des parties civiles. L’accusé, qui sera acquitté pour l’assassinat de la Première ministre rwandaise, se contentera de dire: « La vérité finira par triompher tôt ou tard ».

Le 6 avril 1994, l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana est abattu en plein vol. L’attaque, dont les auteurs sont encore aujourd’hui inconnus, marque la fin d’un accord de paix entre le régime hutu de Habyarimana et les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais de l’actuel président Paul Kagame. La tension entre les Hutu d’une part et les Tutsis et les Hutus modérés, d’autre part, s’embrase à nouveau. Le lendemain, dix parachutistes belges vont recevoir l’ordre de protéger la Première ministre Agathe Uwilingiyimana à Kigali. Au matin du 7 avril 1994, Bernard Ntuyahaga a arrêté son minibus à la hauteur du lieutenant Thierry Lotin et de ses hommes, coupés de tout et en difficulté. Il a proposé de déposer les Belges, préalablement désarmés, au camp Kigali, leur promettant la vie sauve. Ils y seront pourtant massacrés par des soldats rwandais en présence du major, qui n’aurait rien fait pour les en empêcher. « C’est même lui qui paraît avoir lancé la rumeur qui va coûter la vie aux dix paracommandos », rapporte le Pr Filip Reyntjens, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs à l’université d’Anvers ( Rwanda. Trois jours qui ont fait basculer l’Histoire, Cedaf, 1995). Le bruit courait en effet que les Belges faits prisonniers avaient participé à l’attentat de la veille au soir contre l’avion du président Habyarimana.

Ntuyahaga, qui était sous le coup d’un mandat d’arrêt international délivré par le juge Damien Vandermeersch dès 1995, a toujours soutenu qu’il avait rencontré les Belges par hasard. Mais aussi qu’il n’avait ni désarmé, ni tué les soldats belges et leur avait simplement proposé un « lift » avec sa mini-fourgonnette.

Pourquoi est-il déjà libre ?

Si Ntuyahaga a été condamné à vingt ans de prison à l’issue du procès, il était déjà privé de liberté depuis longtemps puisqu’entre juin 1998 et mars 2004, il se trouvait déjà dans une cellule tanzanienne précise De Standaard. Ce n’est qu’ensuite qu’il se livre volontairement à la Belgique. Ce qui fait qu’il a donc effectivement purgé sa peine et qu’il a été libéré comme le confirme le cabinet du ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V).

Le 1er juin, l’homme a été autorisé à quitter la prison d’Ittre dans le Brabant Wallon selon quotidien. Mais comme il ne dispose pas des documents nécessaires pour rester légalement en Belgique, c’est l’Office des étrangers qui s’est occupé de l’affaire et qui a transféré Ntuyahaga dans un centre fermé en vue de son expulsion. Il aurait, selon certaines sources, même introduit une demande d’asile. Cette demande n’est cependant pas confirmée par l’office des étrangers qui ne communique pas sur des cas particuliers. Celle-ci n’aurait de toute façon que très peu de chance d’aboutir précise enfin le quotidien puisque les personnes reconnues coupables de crimes non politiques graves perdent le droit à la protection.

L’expulser oui, mais où ?

La politique mise en place par Francken veut que l’on expulse au plus vite en dehors du pays les criminels condamnés qui ont purgé leur peine. Sauf que dans le cas particulier de Ntuyahaga cela risque de ne pas être si simple précise le quotidien. Premièrement, la Belgique ne renvoie que très peu de personnes au Rwanda car il est difficile d’établir une collaboration entre les deux pays, ensuite la Belgique est tenue, sur la base de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, de statuer sur le fait que Ntuyahaga risque, ou non, d’être exposé à des traitements inhumains au Rwanda. Or, dans le cas d’un Hutu condamné pour son rôle dans le génocide, on ne peut exclure des actes de vengeances. Si l’on admet que Ntuyahaga ne peut pas être expulsé vers le Rwanda, il reste trois autres options selon Dirk Vanheule, professeur de droit de la migration (UAntwerpen) toujours dans De Standaard.

Soit il obtient un ordre de quitter le territoire sur base volontaire et l’état se décharge de toute responsabilité- ce qui équivaudrait à une libération. Soit on lui donne un permis de séjour valide. Les deux options qui passeraient très difficilement dans l’opinion publique. Une troisième possibilité pourrait être que la Belgique cherche un autre pays qui pourrait l’accueillir en toute sécurité. Au moment du procès, son épouse et sa fille étaient restées au Danemark, mais on ignore si elles y sont toujours. L’office des étrangers va de toute façon devoir trouver une solution dans les mois qui viennent puisque qu’un séjour dans un centre fermé est limité à cinq mois.

Au casse-pipe avec la bénédiction de l’ONU

Quelque temps avant le procès-fleuve de Ntuyahaga , « le procès du colonel Luc Marchal, n°2 de la mission des Nations unies (Minuar), finalement acquitté, a démontré que la Belgique a envoyé ses hommes au casse-pipe, avec la bénédiction de l’ONU » écrit François Janne d’Othée dans le Vif L’Express en introduction du procès en 2007. « On a abandonné nos paras, accusent les familles des victimes. Mais peut-on parler d’abandon volontaire ? Les règles d’engagement étriquées de l’ONU ont paralysé la déjà faible capacité de réaction de la Minuar. Un officier belge explique : « On était dans un contexte où tout le monde demande l’autorisation de tout le monde : Lotin à son supérieur Jo Dewez, le général Dallaire (chef de la Minuar) à Kofi Annan, (secrétaire général de l’ONU), Annan au Conseil de sécurité… Le souci de ne pas faire de vagues l’a emporté sur la nécessaire prise d’initiatives. » De plus, ce jour-là, on tirait dans tout Kigali et les barrages empêchaient les Casques bleus d’évoluer. Le général Dallaire est passé devant le camp, a aperçu deux corps, mais il a préféré rejoindre une réunion de crise avec le colonel Bagosora, considéré après coup comme un des cerveaux du génocide. Dallaire s’expliquera: « Toute tentative pour pénétrer de force dans le camp se serait avérée une mission-suicide », a-t-il écrit. Le dossier mentionne que le camp Kigali était occupé par plusieurs centaines de soldats, contre un seul observateur de l’ONU… dépourvu d’arme. En somme, la Minuar n’est pas parvenue à s’ajuster au basculement dans la guerre. Jusqu’à la veille, Casques bleus et forces rwandaises travaillaient en étroite collaboration. Si abandon il y eut, ce fut celui du peuple rwandais. L’onde de choc suite à la mort des paras fut telle que la Belgique, sous l’impulsion du ministre des Affaires étrangères d’alors, Willy Claes, décida de retirer tout le contingent. Il est vrai que, sur le moment même, bien peu s’en sont offusqués. Pourtant, ce retrait amputait la Minuar de sa colonne vertébrale et laissait le pays aux mains des tueurs. Le départ des Belges a facilité, sinon permis le génocide. Le plan ourdi par les ultras du Hutu Power avait abouti… Il semblait nettement inspiré de l’exemple somalien en 1993, avec le départ précipité des GI après la mort de dix-huit d’entre eux. Dès lors, l’un des enjeux du procès était de savoir par qui Ntuyahaga a été mandaté pour désarmer les soldats belges, les conduire en minibus jusqu’au lieu du massacre, et dans quel but. » Des questions qui n’ont pas toujours trouvé de vraies réponses en 2018.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire