Réforme du marché du travail: « La plupart des gens qui n’ont pas d’emploi sont insuffisamment formés »

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Le gouvernement fédéral s’est accordé sur une réforme du marché du travail, bâtie sur quatre piliers : flexibilisation du temps de travail, formation, mobilité des travailleurs et encadrement de l’économie numérique. Objectif: un taux d’emploi de 80% d’ici 2030. Réaliste ?

Selon le gouvernement fédéral, l’accord conclu cette nuit sur la réforme du marché du travail doit permettre à la Belgique d’atteindre un taux d’emploi de 80 % d’ici 2030. Au troisième trimestre de 2021, ce taux d’emploi est de 71,4 %, un chiffre record qui montre que le gouvernement « a aidé notre économie à traverser la crise », selon le ministre du travail Pierre-Yves Dermagne.

Un bon départ

Selon l’économiste Bruno Colmant, professeur à l’ULB et l’UCLouvain, cela semble un peu ambitieux : « Je doute un peu qu’on y arrive, notamment parce qu’on est dans un contexte de vieillissement de la population très particulier. Mais c’est un bon départ. »

Cela n’empêche que les mesures décidées « sont plutôt bonnes », explique Bruno Colmant au Vif. « De plus en plus, le travail se flexibilise dans les pays qui nous entourent. La semaine de 4 jours, les mesures sur le travail de nuit… ce sont des manières de s’adapter en termes concurrentiels à ce que font les pays adjacents. » Il se dit même agréablement surpris qu’un accord ait été atteint, pensant le dossier toujours bloqué. « Avoir un accord sur le marché de l’emploi en sortant de la période Covid, c’est une bonne nouvelle, politique et économique, pour toute la Belgique. »

Disparités régionales et manque de formation

De là à atteindre l’objectif de 80%? Pas sûr. Pour le Voka, l’accord n’offre « aucune solution aux nombreuses entreprises qui cherchent aujourd’hui à recruter de nouveaux employés. » Pour le Syndicat neutre pour indépendants (SNI), la semaine de quatre jours sans réduction du temps de travail peut notamment offrir aux employeurs des opportunités en termes de recrutement. Mais le taux actuel de 71,4% cache de fortes disparités régionales. « Pour arriver à un taux d’emploi de 80%, les Régions, particulièrement Bruxelles et la Wallonie, devront elles aussi retrousser sérieusement leurs manches », estime le SNI.

Interrogé par Le Vif, Bruno Colmant acquiesce : « Le taux d’emploi est plus élevé en Flandre qu’en Wallonie. Mais en Wallonie, le problème structurel, c’est le manque de formation. La moitié des chômeurs wallons n’ont pas terminé leurs études secondaires. C’est un gros problème. En 2022, ne pas avoir une formation suffisante, c’est un handicap à vie. »

Il s’agit là pour lui d’un point crucial quand il s’agit de taux d’emploi : « On ne peut pas décréter l’emploi. » Selon lui, cela demande deux choses. Tout d’abord, un contexte économique favorable. « Et ça je pense qu’on l’a en grande partie, l’économie est en bon état. » Mais cela demande surtout une formation beaucoup plus poussée. « On remarque que la plupart des gens qui n’ont pas d’emploi sont insuffisamment formés. C’est pour cela qu’on ne peut jamais découpler le taux d’emploi du niveau de la formation des personnes. »

Adaptation permanente

Dans l’accord, le gouvernement crée pourtant un droit individuel à la formation. Une fois par an, chaque entreprise de plus de 20 travailleurs devra déposer un plan de formation pour développer les compétences des travailleurs. Les employés auront droit à trois jours de formation à partir de l’année prochaine, quatre jours en 2023 et cinq jours en 2024. Une bonne nouvelle, selon Colmant, mais à nuancer: « C’est très dangereux de déléguer sa propre formation à son entreprise, parce qu’elle va vous former pour être utile et efficace en son sein. Mais ce n’est pas pour ce que vous êtes capables de déplacer ces connaissances dans un autre emploi. »

En plus d’une formation préalable, la formation tout au long de la carrière est un véritable enjeu, dans une économique qui évolue vite. « Ce qu’on sait au niveau de l’emploi aujourd’hui ne sera plus valable dans 10 ans, et encore moins dans 20 ans. Avant, avec une formation supérieure, vous teniez 40 ans de carrière. Aujourd’hui avec une formation de 4 ans, vous tenez peut-être 12 ans. Les connaissances se transforment, et il faut s’adapter », explique Bruno Colmant.

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