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Redoublement : l’inefficacité d’un remède très francophone

Une indécrottable plaie francophone, le redoublement. Une nouvelle livraison des Indicateurs de l’Enseignement montre que l’échec scolaire reste très préoccupant en Communauté française. Sans attendre de réforme, des établissements s’attaquent déjà au problème.

Les accidents scolaires restent préoccupants en Communauté française. Plus de la moitié des élèves de 6e secondaire ont redoublé au moins une fois. Rien qu’au primaire ils sont 20 %. Un record parmi les pays de l’OCDE, alors même que, selon l’enquête Pisa qui mesure les performances des élèves de 15 ans, les systèmes scolaires qui s’en sortent le mieux ont banni le redoublement. « Tout simplement, parce que cette pratique ne fonctionne pas », déclare Ariane Baye, chercheuse à l’Unité d’analyse des systèmes et des pratiques d’enseignement (ULg). Pourquoi ?

Parce que le redoublement ne permet pas à l’élève de repartir du bon pied

La communauté scientifique a démontré l’inutilité de la mesure. Les chercheurs de l’université de Liège, chargés de l’analyse Pisa, signalent ainsi que les élèves qui ont redoublé obtiennent à l’épreuve des résultats à peu près aussi médiocres que ceux du Mexique, dernier pays classé. On pourrait multiplier les chiffres. La Commission du pilotage du système éducatif a, par exemple, analysé le parcours sur quatre ans d’écoliers de 1re primaire. Résultats : ceux qui ont été « freinés » en 3e maternelle ne connaissent pas forcément une meilleure scolarité primaire : un sur deux redouble avant la 4e primaire.

On objectera que c’est normal : ceux qui redoublent en début d’école primaire ont de grandes difficultés. Certes. Mais le redoublement n’y a pas remédié. Pis : plus il est pratiqué tôt, plus il se révèle toxique. Ariane Baye a ainsi comparé les performances des élèves de 2e primaire à l’évaluation externe en lecture et production d’écrit, conduite durant l’année 2010. Les résultats des redoublants (c’est-à-dire les élèves qui répétaient leur deuxième année) sont moins bons que ceux de leurs camarades non redoublants. « En fait, les enseignants ne modifient pas leurs pratiques pédagogiques. Et l’enfant qui redouble va connaître les mêmes embûches au même moment, entraînant chez lui un effet démobilisateur », pointe la chercheuse en sciences de l’éducation. Bref, la remédiation n’a pas vraiment lieu, et une fois manqué les apprentissages fondamentaux, l’école a toutes les peines du monde à organiser le rattrapage.

Parce qu’il est injuste

En réalité, les chiffres du redoublement oscillent selon les orientations et les formes d’enseignement. En 3e secondaire, qui agit comme une « gare de triage », 12,1 % des élèves redoublent dans le général, mais 33,4 % dans le technique de qualification et 26,3 % dans le professionnel.

En tout cas, l’étiquette « redoublant » auprès des enseignants apparaît moins favorable. En fin de 3e secondaire, on observe encore que, à niveau comparable avec un autre élève, le plus âgé (parce qu’il a redoublé) pâtit d’une orientation moins prestigieuse que l’autre. Cette plus grande sélectivité des conseils de classe tient à la fois aux professeurs, qui perçoivent les redoublants comme des élèves à problèmes, mais également aux élèves eux-mêmes et à leurs familles, qui se sentent stigmatisés par le redoublement et révisent leurs ambitions.

Sans compter cette autre inégalité : d’une école à l’autre, voire d’une classe à l’autre, les décisions des conseils de classe varient beaucoup.

Parce qu’il est coûteux

Le redoublement coûte évidemment à l’Education : autour de 369 millions d’euros par an, 51 millions d’euros au primaire, 318 millions au secondaire. C’est-à-dire 6 % du budget que la Communauté française consacre à l’école. Certains spécialistes proposent une « contractualisation » : les établissements s’engageraient à réduire les redoublements, en contrepartie de quoi l’Enseignement maintiendrait les moyens économisés. Ceux-ci pourraient alors être consacrés à la mise en place d’un vrai soutien individualisé.

Il y a aussi d’autres coûts à pointer, d’ordre psychologique. Les redoublants portent le signe infamant d’être « en retard », sans jamais pouvoir rattraper le niveau de leurs camarades. Un coût pour les professeurs aussi, qui doivent tenter de gérer l’ennui qui s’empare des redoublants lorsqu’ils recommencent les mêmes programmes, les mêmes devoirs.

On a cherché en vain un établissement où le redoublement a été volontairement éradiqué au profit d’autres méthodes

Pourtant, partout en Communauté française, des écoles multiplient spontanément des expériences originales pour permettre à leurs élèves d’échapper à la démotivation et au redoublement. En 2003, le collège Saint-Louis, à Liège a décidé d’appliquer « sa » recette, pour « humaniser » la transition entre l’école primaire et secondaire. L’ensemble de ses élèves de 1re et 2e secondaires ont des horaires aménagés : les cours se terminent à 14 h 15 ou à 15 h 55 selon les jours. Les après-midi sont ainsi libérés pour d’autres activités : étude encadrée (gratuite et en petits groupes), pratiques sportives et culturelles payantes, ou retour au domicile. « Nous nous sommes inspirés des trouvailles qui ont fait leurs preuves dans les pays scandinaves, et permettent aux élèves d’évoluer à leur rythme », explique son directeur, Bernard Renson. Mais cela ne s’est pas fait sans tâtonnements ni efforts.
Aucun cours obligatoire n’ayant été supprimé – 32 heures par semaine-, les cours sont concentrés sur la matinée et commencent à 8 h 10, avec une pause-déjeuner écourtée.

Conclusion : pour Bernard Renson, le gain est certain, quoique difficilement mesurable. Mais sans cette structure, l’échec serait sans aucun doute plus élevé.

Autre établissement, autre profil : l’athénée royal Serge Creuz, un grand bâtiment comme un paquebot qui aurait échoué à Molenbeek. Classé en « discrimination positive prioritaire », bénéficiant ainsi de moyens financiers accrus, il accueille 1 300 élèves en secondaire, répartis sur trois sites. Caractéristique : une très grande diversité socio-économique et ethnique. Quand Bernard Andries en prend la direction, en 1996, le climat s’est dégradé. L’établissement avait fini par devenir une adresse contournée. « Alors, on a établi un plan de bataille », raconte son préfet durant treize ans. Il a su « entraîner tout le monde avec lui ». Sur tous les fronts. Sur celui du cadre scolaire : une solide rénovation des bâtiments, jusque-là ouverts aux quatre vents. « Il fallait couper l’école de la rue, car on y entrait sans encombre. » Résultat : de bonnes conditions d’étude aujourd’hui. « Les élèves ne peuvent plus se plaindre de vivre dans des locaux à l’abandon ni justifier qu’ils les dégradent. » La discipline s’est durcie. Les profs ne laissent rien passer : tu casses, tu paies. Tolérance zéro ? Ici, ils préfèrent parler de responsabilités, acceptées de tous. Pour agir contre l’absentéisme, l’actuel préfet, Faysal Chahid, vient d’engager un conseiller en éducation, qui se consacre à plein temps aux élèves absents trop souvent et en passe de décrocher.
Le préfet récite aussi la liste des activités de l’école : ateliers du soir en groupes réduits, dispensés au sein de l’école par ses enseignants et entièrement gratuits – la demande est énorme ! -, recours à des étudiants tuteurs, rencontres avec des « peoples » au destin exceptionnel… Catalogue d’une maison de jeunes ? « Pas du tout. L’idée, c’est de donner aux élèves l’envie d’être là et de les rendre fiers de leur école. » En tout cas, le préfet s’arrange pour le faire savoir. La « vitrine médiatique » l’aide à rassurer les élus locaux et les entreprises qui y recrutent des stagiaires. Grâce à ce savant échafaudage, l’école peut annoncer qu’elle voit les familles revenir. Le préfet se félicite même de son secteur de recrutement, qui ne comprend pas seulement Molenbeek, mais englobe aussi Ganshoren et Berchem-Sainte-Agathe, « évitant l’enfermement dans la commune ». Mais, à ses yeux, inutile de dupliquer ailleurs ce système qui marche ici. « On a créé un tissu relationnel solide durant des années. »

Parce qu’il reste le seul remède, faute de mesures alternatives

« Notre système est trop binaire : doubler ou réussir. Et ça ne marche pas très bien », reconnaît elle-même la ministre pour qui le redoublement ne fonctionne pas. Tuer le redoublement ? Elle refuse de le bannir, mais pointe – comme ses prédécesseurs – les outils mis en place pour le réduire : encadrement différencié (un soutien plus appuyé aux écoles en difficulté), pilotage, travail sur le décrochage, évaluations externes… Sont-ils suffisants ?
Sans l’interdire, les ministres s’emploient, depuis vingt ans, à favoriser « la fluidité des parcours ». Au primaire comme au secondaire, ils ont ainsi tenté de casser les rythmes annuels en instaurant des « cycles » de deux ans. Problème ? Les enseignants voient parfois dans cette politique une simple mesure d’économie budgétaire, et trouvent des échappatoires. Car, sur le terrain, les enseignants sont divisés sur la question. Surtout, ils sont démunis face aux élèves fragiles et n’ont pas été formés à les prendre en charge. Et faute de disposer de solutions d’accompagnement pour ces élèves, ils continuent à opter pour le redoublement. « C’est une des grandes faiblesses de notre système scolaire : il ne sait pas suffisamment aider les élèves en difficulté. En primaire, la remédiation est clairement insuffisante. En secondaire, on se contente de proposer des cours de rattrapage, certes par petits groupes, mais tous les élèves n’affichent pas les mêmes difficultés. En clair, l’école n’offre pas une remédiation car, pour être efficace, elle doit intervenir rapidement et cibler des difficultés précises », reconnaît la chercheuse Ariane Baye.

Récapitulons. Le redoublement ne serait donc pas une mesure qui valorise l’élève. Son inefficacité serait prouvée. Résultat : en resservant le même plat au redoublant, ce serait une remédiation ratée. Triste bilan.

SORAYA GHALI

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