Carte blanche

Redoublement et tronc commun : mise au point

Qu’il me soit permis de revenir, bien légitimement, sur l’opinion de J. Cornet, publiée sur le site du Vif/L’Express, à la suite d’un article paru dans la Dernière Heure (DH).

Mais, avant tout, je voudrais déplorer le titre choisi par la journaliste de la DH qui a résumé notre entretien d’une heure, en une formule lapidaire mentionnant le terme « Gugusse ». Je l’ai utilisé comme je le fais avec mes petits enfants en leur disant d’un ton hautement affectueux et respectueux : « Arrêtez de faire les Gugusses ». Il ne faut donc y voir aucune péjoration, ce que n’a manifestement pas perçu (volontairement ?) Monsieur Cornet.

Je voudrais néanmoins le remercier d’avoir pris le temps de longuement développer sa pensée et ses arguments tout en regrettant qu’il n’ait pas eu le même esprit critique par rapport à mes prises de position. Mais, peut-être, fallait-il les connaître avant de se lancer dans une « sinistre » (au sens étymologique) diatribe très orientée politiquement ? C’est, en effet, sans doute la caractéristique majeure d’une bonne critique : d’abord s’informer puis analyser. Passons.

Entre méconnaissance, condescendance et mépris !

Au-delà de l’analyse doublement caricaturale de Mr Cornet (mes propos conservateurs, désuets et délétères versus les siens modernes, épanouissants et salvateurs), je voudrais redire ici ma conception de l’Education avant de reprendre globalement les arguments qui fondent mes convictions tout en indiquant d’emblée que les sujets (Tronc commun allongé ou non, redoublement, ..) divisent la communauté scientifique qu’il prétend, pourtant, univoque. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire les éditions de LLB de la semaine passée ou de réécouter débat première à la RTBF, sur le même sujet. Les avis divergent effectivement.

Lorsqu’on s’engage à 18 ans dans des études pour devenir enseignant, on sait pertinemment bien que l’on va évoluer dans le secteur non marchand et que donc, on est là pour TOUS les élèves quelles que soient leurs origines sociales, leurs motivations, leurs compétences, leurs forces et leurs faiblesses. Nous, Professeurs, Educateurs, Directions, nous savons que nous sommes là non seulement pour leur transmettre un savoir mais aussi pour les Eduquer avec un grand « E » sur la base des valeurs du décret Missions. Nous sommes là pour les encadrer, les écouter, les faire grandir, les ouvrir au monde, les encourager, les admonester lorsqu’il le faut, mais aussi leur dire qu’ils sont les premiers artisans de leur réussite ou de leur échec. Il leur revient donc la tâche de s’investir et de s’approprier les « matières » et compétences quelles qu’elles soient et quelle que soit la filière fréquentée.

Et pour arriver à ce bel objectif, même si tout n’est pas parfait, nous pouvons compter sur un corps professoral et éducatif convaincu et convaincant qui constitue la pierre angulaire de notre système scolaire parce que c’est lui qui marque nos élèves dans la construction de leur personnalité. Monsieur Cornet ne voit, malheureusement, dans le monde enseignant, que « … des gens de terrain aveuglés par leur réalité quotidienne et … qui ne savent faire travailler que par les points ». Sans capacité réflexive sur leurs propres modes de fonctionnement, je suppose ? Je déplore bien sûr son analyse.

Venons-en aux différentes thématiques. Tout de même, quelle malhonnêteté intellectuelle que de transformer à dessein mes propos et mes convictions !

Je n’ai, tout d’abord, jamais fait l’apologie du redoublement. Dans toutes mes interventions sur le pacte, je commence toujours par : « Le redoublement : ni apologie, ni diabolisation ». La DH l’a bien rapporté.

Dois-je rappeler à Mr Cornet que personne ne se satisfait d’enregistrer des redoublements ? Combien d’instituteurs, de professeurs ne sont-ils pas dans leurs classes le matin avant le début des cours, sur le temps de midi, après 4h, pendant leurs heures de fourche à disposition des élèves ? Je ne connais pas un seul enseignant qui refuse une explication à un élève qui la lui demande. Qu’il me soit donc ici permis de rappeler à ceux qui ne le sauraient pas que, quelle que soit la raison de l’échec, le redoublement est toujours la décision finale d’un long processus pédagogique mis en place durant l’année en concertation avec les parents et avec l’élève. On essaie de voir ensemble en quoi il y a difficulté et ce qu’on peut faire, avec les moyens qui sont les nôtres, pour résorber l’échec que ce soit de la méthodologie, des 1/2 groupes, des rattrapages, des remédiations diverses, durant et après les cours. Et si, un enfant, un élève, en juin, n’a pas le bagage ni en compétences, ni en connaissances pour accéder à l’année ultérieure, la MOINS mauvaise des solutions, c’est de le faire recommencer. Parce que le laisser passer ne ferait qu’accroître ses lacunes et finalement postposer le problème. Alors, oui, le redoublement coûte: 400 millions, soit +/- 5% du budget consacré à l’éducation en FWB (et non 11 %!). Mais, sur le long terme, cela coûte bien moins à la société que de laisser nos élèves sortir en leur délivrant des diplômes sans aucun contenu, sans aucune valeur, élèves qui soit débarqueront dans l’enseignement supérieur où là, ils seront pratiquement tous recalés (+/- 30 % de réussite en bac 1) ou soit qui débarqueront sur le marché du travail avec très peu de chance de décrocher un emploi car, ne l’oublions pas, il y a un lien direct entre la qualité de la formation et l’employabilité d’un jeune.

Ajoutons à cela que chaque élève doit pouvoir apprendre à son rythme. Nos enfants de primaire et du début du secondaire ont de nombreuses compétences à acquérir, qu’elles soient relationnelles, méthodologiques, personnelles, organisationnelles, de créativité, … Il est illusoire de croire qu’ils le feront tous au même rythme et au même niveau. Il faudra bien à un moment donné faire le constat et l’acceptation de l’hétérogénéité. Ces différences sont, pour moi, une véritable richesse. Pour certains enfants, donc, « prendre » une année de plus, n’est pas nécessairement « perdre » un an.

Autre point d’achoppement, l’allongement du tronc commun (TC). Il est vrai que c’est un élément du pacte qui m’exaspère. Pour rappel, la question du TC, c’est de savoir jusqu’à quand TOUS les enfants doivent avoir le même parcours avant de pouvoir s’orienter vers la voie qui correspond le mieux à leurs aspirations. Avant, c’était jusqu’en fin de 6° primaire ; aujourd’hui jusqu’en fin de 2° sec ; demain, jusqu’en fin de 3° sec (avant fin de 4° sec, peut-être ?) avec ses conséquences néfastes, voire nuisibles.

Car ce faisant, c’est retarder d’un an, entendez diminuer d’un an, la formation pratique de nos élèves inscrits dans l’enseignement qualifiant. Aujourd’hui, ils suivent les cours de la 3° à la 6° ou 7° ; demain ce sera de la 4° à la 6° ou 7°, donc un an en moins. Comment, dans de telles conditions, garantir la même qualité de formation ? Impossible pour nos enseignants !!! Bien sûr, on me dira que demain, grâce à l’allongement du TC, le choix sera positif, qu’il ne sera plus la conséquence d’une relégation et que les élèves en seront plus performants. Rien n’est moins sûr, tant les conditions envisagées de la mise en place de ces cours polytechniques relèvent du « saupoudrage » et ne permettront donc pas une réelle confrontation avec la matière en question (pas de locaux, pas d’outillage, pas de personnel spécialisé).

Ce faisant, c’est aussi nier l’existence d’une intelligence plurielle. On récuse le fait que l’intelligence puisse se traduire de différentes manières sans qu’il ne faille la hiérarchiser, qu’elle soit pratique, sportive, sociale, théorique ou encore artistique. Or, la société, pour pouvoir fonctionner, a besoin de toutes ces compétences. Alors, que cette intelligence ait une part d’inné et une part d’acquis, personne ne le nie et là n’est pas l’enjeu. Mais chaque enfant a des préférences, des talents, des envies, des besoins que l’école SE DOIT de déceler le plus tôt possible pour lui permettre de s’épanouir au maximum (e.a., par des visites d’écoles techniques et professionnelles bien équipées, des Centres de Compétences, des Centres de Technologies Avancées, des entreprises, …) tout en DEVELOPPANT conjointement les connaissances de base indispensables à son insertion dans la société.

Car, sur le terrain, la difficulté réside dans le fait qu’un nombre certain d’élèves ne veulent plus faire de math, de langues modernes, de français à un rythme aussi important que ce qu’on veut leur imposer dans le TC général actuel, à savoir 4 à 5 h /sem. Alors, concrètement, ces élèves qui s’ennuient aux cours théoriques, très vite, par delà, y ennuient les autres, donc se font sanctionner. Les sanctions tombent de plus en plus lourdes. Le gâchis est triple : à l’échec scolaire viennent s’adjoindre deux autres problèmes, l’exclusion scolaire puis l’absentéisme scolaire. Trois fléaux amplifiés par ceux qui les dénoncent dont Monsieur Cornet ! Aberrant. Pourtant, – et, il le sait -, les neurosciences ont montré que le plaisir est l’une des raisons essentielles qui motive l’adhésion à une activité. Comment apprendre lorsque le jeune ne se plaît pas à étudier malgré toute la bienveillance et les encouragements du professeur ?

Enfin, ce faisant, c’est confondre, – ce n’est pas anodin -, le concept d’égalité (faire faire à chacun la même chose alors que nos enfants sont tous différents) que la majorité PS et cdH défend et celui d’équité (donner les mêmes chances à tous mais demander en fonction des potentialités de chacun) que nous prônons!

En allongeant le TC, nos élèves connaîtront demain à 15 ans ce qu’ils maîtrisent aujourd’hui à 14 ans. Aux derniers tests Pisa, nous avons à chaque fois obtenu des scores de +/- 490 points tandis que les Néerlandophones, qui n’ont pas opté pour l’allongement du tronc commun, sont à +/- 530 points, soit plus d’une année de connaissance et de compétence en plus que nos élèves, au même âge. Avec cette mesure du pacte, nos élèves obtiendront, dans 10 ans, une note moyenne de +/- 470 points, soit un score lamentable qui fera dire aux amis de Monsieur Cornet qu’une nouvelle réforme devra être mise en place ….. Bis, ter, quater, ….. repetita !

L’Allemagne permet, de son côté, une orientation plus précoce également. Ses résultats sont-ils vraiment plus mauvais que les nôtres ?

Caricature affligeante et abusive également sur l’usage des notes. Bien sûr, un certain danger de découragement existe lorsque les notes sont continuellement négatives mais les présenter d’abord et presque uniquement comme un danger, relève de la mauvaise foi ou de l’ignorance.

Quant à parler de « justifier les inégalités de pouvoir et de revenus » ou encore oser prétendre, parce qu’on n’est pas d’accord avec son idéologie gauchisante, que l’on veut pratiquer de la ségrégation sociale et préserver les privilèges, tout cela relève d’un mépris inqualifiable ! L’objectif de ce Monsieur devient différent : quitter la sphère pédagogique (qu’il instrumentalise toutefois), pour entrer dans les principes politiques d’une gauche dogmatique et outrancière. Je le laisse à sa médiocrité.

Enfin, que de portes ouvertes enfoncées : dire croire dans les vertus de la reconnaissance encourageante et de l’exigence bienveillante et confiante……Sans doute, pense-t-il en être le seul détenteur ? Je l’informe : c’est la conviction de chaque enseignant, et cela n’empêche d’ailleurs pas, n’en déplaise encore une fois à Mr Cornet, que l’on puisse croire, dans certains cas, à l’utilité de la sanction !

Monsieur Cornet me taxe de conservateur mais vient avec des idées déjà expérimentées dans les années 1980. Un tronc commun élargi ? Déjà mis en place ! Cela s’appelait l’enseignement rénové. Les points remplacés par de la docimologie ? C’était toujours l’enseignement rénové …. qui fut très vite abandonné pour deux raisons majeures : une baisse généralisée du niveau d’enseignement et un coût exorbitant. Aujourd’hui, on propose de remettre le couvert ! Allez comprendre ! Quant au redoublement, il fut supprimé entre la 1° et la 2° sec en 1993 par les amis de J. Cornet, puis remis en vigueur, pour redisparaître en 2015 et être bientôt, à nouveau, autorisé. Comme quoi, l’unanimité est loin d’être acquise.

On peut critiquer l’état de notre enseignement et vouloir le modifier de fond en comble mais je rappellerais à J. Cornet que notre école a été presque exclusivement aux mains des partis de gauche depuis la communautarisation en 89. Voilà où ils nous ont menés. Et il voudrait qu’on le suive encore ? Par respect pour les enfants, je dirai non, non et encore non !

Pour terminer, je rappellerai que, pour moi, l’école est le lieu par excellence de l’instruction, de l’épanouissement et de l’éducation des enfants, de TOUS les enfants. Mon engagement d’enseignant, de directeur et de député a toujours reposé sur des principes de respect de chaque élève, de croyance en l’éducabilité de chacun, de conviction en l’importance de l’école comme ascenseur social, ayant eu la chance de pouvoir le prendre moi-même grâce à l’exigence et à la bienveillance de mes professeurs !

Dommage, dans le chef de Mr Cornet, toutes ces caricatures, ces exagérations, ces simplismes, ce manque de sérieux et d’honnêteté dans certains propos !

Je l’invite à relire le mythe de Narcisse, tout en espérant qu’il sait …. nager !

Laurent Henquet

Professeur durant 20 ans.

Directeur pendant 13 ans.

Député wallon et communautaire depuis 2014.

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