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Redevance sur les citernes d’eau de pluie : « Le tarif doit donner le bon signal »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

La proposition du ministre wallon de l’Environnement Carlo Di Antonio de faire contribuer davantage les propriétaires de citernes d’eau de pluie aux coûts d’assainissement des eaux usées a fait réagir de nombreux citoyens. Axel Gautier, professeur en économie des réseaux à HEC Liège, nous explique la logique à l’oeuvre derrière cette idée.

Quelle est la logique derrière cette proposition ?

L’idée que met en avant le ministre Di Antonio est que les propriétaires de citernes rejettent de l’eau dans les égouts et ne contribuent pas à l’assainissement de ces eaux usées. Le « coût-vérité » de l’eau implique que l’on doit répercuter sur tous les utilisateurs l’intégralité des coûts. Le coût de l’eau est un coût associé à deux flux: le flux entrant, l’eau que l’on prélève du réseau de distribution et le flux sortant, l’eau que l’on rejette et qui doit être traitée. Chez les personnes qui possèdent une citerne d’eau de pluie, il n’y a une diminution du flux entrant vu qu’une partie de l’eau consommée vient directement de la citerne, mais l’eau de pluie alimente le flux sortant. La logique est donc que si l’on veut répercuter correctement les coûts, il faudrait imputer un coût sortant pour l’eau de pluie qui est utilisée, qui sort de la maison et qui doit être traitée. Le ministre émet donc l’idée d’une redevance liée au service d’assainissement de ces eaux usées.

Est-ce techniquement possible à mettre en place ?

La logique du coût-vérité est d’avoir des prix qui reflètent la vraie valeur d’un produit. Cependant, il est difficile de déterminer si l’eau de citerne a le même usage que l’eau du circuit traditionnel. Dans le système actuel de tarification d’eau, on mesure l’eau prélevée et pas celle rejetée. Cette redevance éventuelle sur les citernes est, selon moi, difficile à mettre en oeuvre, car elle se heurte à un problème pratique très simple: on ne sait pas comment est utilisée l’eau de la citerne. De manière occasionnelle ou de manière intensive? Ni l’usage qui en est fait. Il est impossible de mesurer les deux flux : l’eau qui rentre et l’eau qui sort. On peut, au mieux, l’estimer. On ne peut pas installer un compteur qui mesurerait l’eau rejetée dans l’égout. De plus, si on lave sa voiture, l’eau est au final aussi rejetée dans l’égout de la rue, si on arrose son jardin, l’eau se retrouve quand même tôt ou tard dans le système. Techniquement, c’est donc impossible à faire.

Si la citerne est rentable pour l’environnement, elle doit l’être aussi pour l’utilisateur.

Du fait de l' »inobservabilité » de l’usage de l’eau de pluie, le seul moyen envisageable est de demander une contribution forfaitaire pour son assainissement. Cette redevance serait liée au volume de la citerne installée. Cette logique a du sens. Si l’on veut encourager l’utilisation de l’eau de pluie, il faut que la personne qui installe un tel système de récupération d’eau – de façon volontaire ou obligatoire – s’y retrouve financièrement et que son investissement soit rentable. Il ne faut donc pas imposer des redevances trop importantes, au risque de louper sa cible. Le tarif d’une telle redevance doit donner le bon signal. Car si la citerne est rentable pour l’environnement, elle doit l’être aussi pour l’utilisateur.

Pourrait-on comparer cette redevance sur les citernes d’eau de pluie au tarif « prosumer » appliqué aux panneaux photovoltaïques ?

Oui, c’est un peu la même logique qui est à l’oeuvre chez les prosumers (NDLR : un consommateur d’électricité qui est aussi producteur). Le tarif prosumer vise à faire contribuer ceux-ci pour leur utilisation du réseau. Il est calculé en fonction de la puissance des panneaux solaires. On applique de manière forfaitaire un tarif qui est lié à une estimation de ce qui est prélevé sur le réseau. On estime dans ce cas que 35% de l’électricité produite est consommée dans le domicile, le reste, 65%, est injecté dans le réseau. Le problème actuel avec les compteurs qui tournent à l’envers, c’est que l’on n’arrive pas à calculer l’électricité injectée et prélevée de manière séparée.

Petite précision: si un ménage consomme 50% de ce qu’il produit, il pourrait demander qu’au lieu d’appliquer le forfait, le coût réel soit appliqué. Cela est possible grâce à un compteur double flux. S’il consomme tout ce qu’il produit au moment où il le produit, il peut ainsi demander à ce que soit mesuré le flux réel afin de payer moins. Le ménage qui consomme relativement peu de ce qu’il produit au moment où il le produit devrait se contenter du forfait.

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