Carte blanche

Quand la Justice fait respecter les droits de personnes appauvries

Un juge de paix de Namur annule une dette scolaire et remet au-devant de la scène l’importance d’évoluer au plus vite vers la gratuité de l’enseignement obligatoire.

Le 29 octobre, la justice de paix de Namur a rendu une décision importante. Une mère famille avait été attaquée en justice par une école secondaire qui lui réclamait des dettes scolaires. L’école était défendue par un avocat, et la mère de famille n’est pas venue au tribunal pour se défendre. Pourtant, le juge de paix a donné raison à la mère de famille, a annulé les dettes scolaires qui étaient réclamées et a demandé à l’école de payer les frais de justice… Que s’est-il passé?

L’école a adressé 13 factures à une mère de famille pour payer différents frais pour la fréquentation de l’école secondaire. En tout, la famille devait à l’école la somme de 776,50 euros. La mère de famille ne payant pas, l’école est alors passée par une société de recouvrement, qui l’a mise en demeure. La famille n’a pas payé malgré cette mise en demeure, et l’école a alors saisi la justice et demandé au juge de paix de forcer la mère à payer. La suite est connue.

Que dit la décision du juge de paix?

1. En Belgique, en principe, l’enseignement obligatoire est gratuit. La Constitution, des traités internationaux et un décret de la Fédération Wallonie-Bruxelles l’expliquent. Le décret de la Fédération Wallonie-Bruxelles explique que le principe est que l’enseignement secondaire est gratuit, mais qu’il y a des exceptions et qu’on peut demander certains frais scolaires (par exemple, des photocopies, certains voyages, l’accès à la piscine, certains déplacements, le prêt de livres et d’outils…) à certaines conditions.

2. Il y a deux conditions importantes : d’abord, l’établissement doit prévenir à l’avance par écrit les parents, et leur envoyer une estimation des montants qui seront demandés. Et ensuite, l’établissement doit prendre en compte les origines sociales et culturelles des élèves, et assurer des chances égales d’insertion sociale. En clair, il faut donner une indication des frais à l’avance ; et si on demande des frais, le prix doit être adapté à la situation financière de la famille. Or ici, l’école n’a pas fait ça du tout. La dette de la famille a donc été annulée, et l’école a donc été condamnée à payer les frais de procédure en justice.

Pour le RWLP, ce jugement est très important, pour trois raisons.

1. Le jugement rappelle l’importance du combat pour une réelle gratuité scolaire dans l’enseignement obligatoire.

Dans ce jugement, le juge de paix dit que les frais étaient illégaux parce que les conditions de prévenir à l’avance et de tenir compte du portefeuille des familles n’étaient pas respectées. Le RWLP apprécie la motivation sur base de ces 2 règles cumulatives.

Ce jugement va dans le sens du combat mené par le RWLP : évoluer rapidement vers la gratuité scolaire totale dans l’enseignement obligatoire. La non-gratuité scolaire pèse non seulement sur le portefeuille des familles, mais pollue la relation entre les parents, l’établissement scolaire et les enfants/jeunes. Sans oublier que c’est une manière de sélectionner les élèves. De plus, notre pays a pris des engagements pour évoluer vers la gratuité scolaire en signant des textes internationaux qui le disent. Le RWLP considère que la FWB évolue dans cette direction au rythme du paresseux ! Outre le respect des textes, la pauvreté et l’appauvrissement des ménages imposent de passer à la vitesse supérieure. Le RWLP ne laissera aucun répit au gouvernement de la FWB en cette matière.

2. Le RWLP dénonce le recours à des sociétés de recouvrement par des établissements scolaires mis en exergue par le jugement.

Pour le RWLP, il est inacceptable qu’une famille soit considérée comme endettée parce que les frais scolaires des enfants sont trop lourds à supporter. Il est tout aussi inacceptable que ces familles soient soumises à des sociétés de recouvrement et des huissiers pour des frais scolaires qui ne devraient pas exister. Le RWLP dénonce ce recours à ces sociétés de recouvrement qui se répand dans le cadre de l’enseignement. Une toute fausse bonne idée, comme l’est aussi par exemple la pratique de proposer 3 voyages scolaires dans une même classe allant de la famille qui sait le moins payer à la famille qui peut le plus payer en passant par la famille qui s’endettera pour que son enfant ne vive pas cette discrimination.

Le juge de paix a écrit dans son jugement que « la violence de la mise en demeure [par la société de recouvrement mandatée par l’école] surprend ». C’est important qu’il soit reconnu par la justice que des pratiques de sociétés de recouvrement sont des violences. Le business sur le dos de l’endettement des ménages doit cesser, et tout particulièrement lorsqu’il s’agit de la scolarité des enfants et des jeunes.

Le RWLP dénonce la violence que représente le recours à des sociétés de recouvrement par des établissements scolaires, ainsi que la violence de ces voyages scolaires discriminants ou qui provoquent de l’endettement. Le RWLP demande que ces pratiques soient interdites.

3. Ce jugement montre que la justice peut fonctionner.

Aller en justice peut être vécu comme une violence, et encore plus quand on ne connaît pas les codes, les termes juridiques ou le langage, quand les délais trainent, quand on n’a pas la possibilité d’avoir un avocat gratuitement (le pro-deo), parce que les frais s’accumulent ou quand on n’est pas en capacité de choisir un·e bon·ne avocat·e. D’ailleurs ce sont très rarement des personnes en situation de pauvreté qui saisissent la justice pour défendre leurs droits. Trop rarement. Ici, la famille était dans ses droits et c’est l’école qui était dans l’illégalité. Pourtant, la famille n’a pas saisi la justice, c’est l’école qui a attaqué la mère en justice. Et la maman qui n’avait pas payé les frais n’a pas pris d’avocat·e, et elle n’est pas non plus venue à l’audience. La famille ne s’est pas défendue, et pourtant, le juge lui a donné raison.

La justice a ses imperfections, mais parfois, elle fonctionne et permet de contrecarrer les pressions qui broient les plus vulnérables. Et ici, elle a pu faire reconnaitre les droits de la famille, alors même que c’était (comme la plupart du temps) la partie « forte » qui allait en justice, et la partie « faible » qui y était trainée. Et ça, c’est un signal encourageant qui nous incite à investir davantage le terrain de la justice pour faire reconnaître et respecter les droits des personnes en situation de pauvreté en les y soutenant et les accompagnant dans ce combat et la reconnaissance de leurs droits.

Nul doute que ce jugement fera date en matière de droit à l’enseignement et au respect des familles.

Julie Mawet, Animatrice socioculturelle en matière de réduction des inégalités et lutte contre la pauvreté

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