Olivier Mouton

Qu’attendons-nous, francophones, de la N-VA !?

Olivier Mouton Journaliste

Les réactions à la naissance de la Suédoise en Flandre montrent, une nouvelle fois, qu’au sud du pays, on n’a rien compris ni appris du passé. Ou que l’on n’ose pas assumer ses propres choix.

Il y a quelque chose de répétitif, de lassant et d’exaspérant dans les réactions francophones, à la limite de l’hystérie, à l’actualité politique flamande. Bart De Wever, président de la N-VA, vient à peine de présenter son choix de coalition – une Suédoise avec l’Open VLD et le CD&V – et la feuille de route du formateur, Jan Jambon, que des cris d’orfraie s’élèvent, tant dans le chef de nos plus hauts responsables politiques que dans certaines expressions médiatiques. Et si l’on essayait de se calmer. Tout en se demandant courageusement ce que l’on veut vraiment, nous, francophones.

Ce choix de la N-VA pour la Suédoise, qui s’inscrit dans la continuité de la législature passée, compliquerait singulièrement la formation d’une majorité fédérale, affirme Elio Di Rupo, président du PS, qui ne veut pas « dépanner » et réclame des politiques plus « sociales ». Certes, c’est objectivement exact… Mais si le SP.A, parti frère du PS, est rejeté, dans l’opposition régionale, cela s’explique avant tout parce que la Bourguignonne (N-VA, Open VLD et SP.A) ne disposait que d’une courte majorité au parlement flamand et que le SP.A était fortement divisé sur cette participation. Pour tout dire, De Wever était lui-même tenté par cette formule, qu’il a lui-même mise en place à Anvers, parce que les accents sociaux de la N-VA auraient permis de répondre à des aspirations exprimées dans le vote en faveur du Vlaams Belang, grand vainqueur du 26 mai dernier au Nord. Mais elle était excessivement fragile et instable.

On ne peut, par ailleurs, pas reprocher à Bart De Wever de ne pas avoir attendu que la situation se décante au fédéral : en retour, il n’a reçu, depuis le 26 mai, que des expressions courroucées des socialistes et écologistes francophones sur le mode de « nous ne partageons rien avec ce parti ». Faut-il s’étonner, aujourd’hui, que la N-VA opte pour la prolongation régionale d’une politique de centre-droit prolongeant celle de la législature passée ? Précisons encore que Bart De Wever prend un fameux risque politique dans sa propre Région. Les analystes, au Nord, parlent déjà d’une « ligue des perdants » parce que les trois partis qui se préparent à gouverner ensemble ont perdu, ensemble, pas moins de seize sièges au parlement flamand par rapport à 2014. Il est proprement sidérant, souvent, de voir combien les regards médiatiques divergent, au Nord et au Sud…

La note de formation proposée par Bart De Wever, dit-on encore du côté francophone, « exalte l’identité flamande ». Elle reviendrait à des notions du nationalisme romantique, en appellerait à soutenir les canons culturels flamands (Van Eyck, Breughel, Rubens…) pour soutenir la créativité régionale, annoncerait la création d’un musée de l’Histoire de la Flandre, renforcerait les conditions d’intégration à la communauté et, crime suprême, se déclarerait favorable à un « changement de paradigme institutionnel ». On peut critiquer tout cela, bien sûr, et certains historiens flamands – dont le frère de Bart, Bruno De Wever – expliquent leur réticence à voir l’histoire instrumentalisée à des fins politiques. Mais à contrario, ne serions-nous pas, nous, francophones, bien inspirés de nous enorgueillir davantage de notre patrimoine historique, culturel, et de mettre en valeur nos héros, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui !?

Au lieu de fustiger l’identité flamande en marche, mobilisons nos énergies pour nous redresser et regarder fièrement l’avenir.

Il n’y a pas de quoi hurler en lisant ce message identitaire désireux de s’inspirer des ‘success stories’ scandinaves et néerlandaise. Cette politique s’inscrit dans la continuité de celles menées par le gouvernement flamand depuis… 1999 et le CD&V de Luc Van Den Brande. Elle est légitime et démocratique dans une Région qui, rappelons-le, vote plutôt à droite, oui, et a privilégié l’option identitaire en mai dernier. Qu’attendons-nous de la N-VA ? Qu’elle mène une politique à gauche toute et qu’elle laisse tomber la Flandre ? N’est-ce pas une manière de rêver tout haut et de faire l’autruche face à l’évolution politique dans cette partie du pays ? Ne voit-on pas que la globalisation est perçue comme une menace par les citoyens et qu’il convient d’y apporter des réponses plutôt que de critiquer leurs expressions, fussent-elles de protestation ?

Nous aurions pu hurler, c’est vrai, si Bart De Wever avait mené au bout son aventure dangereuse avec le Vlaams Belang. Et s’il avait constitué un front flamand pour réclamer incessamment une réforme de l’État ou déclarer l’indépendance de la nation flamande. Ou encore s’il avait pris des mesures anti-migratoires radicales, en faisant fi des compétences fédérales. Rien de tout cela, ici. On ne doit pas applaudir des deux mains, mais bien tenter de comprendre le contexte politique flamand et percevoir que l’option de la Suédoise est, somme toute, empreinte de modération.

Ces réactions excessives risquent une nouvelle fois de nourrir les appétits nationalistes, plutôt que de les décourager. En 1999, on hurlait contre le CD&V Van Den Brande et on a reçu en retour le CD&V Yves Leterme, réclamant cinq minutes de courage pour scinder BHV en s’alliant avec la toute petite N-VA, particule radicale issue de l’éclatement de la Volksunie. Quelques années plus tard, à force de dire « non » aux réformes institutionnelles, on a obtenu une N-VA, détachée du CD&V, ultra-puissante, porteuse de velléités autonomistes renforcées. Va-t-on aujourd’hui reproduire le schéma pour obtenir, en 2024 ou avant, un gouvernement pro-indépendantiste flamand N-VA – Belang ? En criant, c’est comme si on appelait paradoxalement de ses voeux ce que l’on redoute.

Mais le plus exaspérant dans tout cela, c’est que ces critiques francophones cachent notre propre inconsistance. Où reste le projet francophone que l’on serait en droit d’attendre, où reste la solidarité renforcée entre Wallonie et Bruxelles, qui est là pour s’enthousiasmer de la perspective de voir un arc-en-ciel gouverner la Wallonie ? Et, surtout, si nous sommes à ce point en désaccord avec ce que la Flandre version N-VA nous propose, pourquoi ne nous levons pas nous-mêmes en disant ce que nous voulons, en affirmant nous-mêmes que le résultat des urnes appelle des politiques différenciées en matière de migrations, de climat, de social… ? Pourquoi ne sommes-nous pas, nous, les confédéralistes de ce pays ? Au lieu de fustiger l’identité flamande en marche, mobilisons nos énergies pour nous redresser et regarder fièrement l’avenir. Étant entendu une chose, cruciale : si nous n’osons pas le faire, c’est sans doute parce que nous dépendons encore financièrement de la locomotive flamande, qu’un projet wallon autonome sans la Flandre serait un projet de pauvreté.

Notre indignation, excessive, est aussi foncièrement hypocrite.

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