« Poutine se fiche comme une guigne de ce que pense l’Occident »

Plus de 150 ans après la première guerre de Crimée, le nouveau tsar du Kremlin, Vladimir Poutine, désire contrôler la Crimée. Et selon les experts, il se fiche comme une guigne de ce que pense l’Occident.

La Crimée occupe une position particulière sur la longue liste de champs de bataille européens. En 1853, les Turcs, les Britanniques et les Français y entamaient une guerre contre la Russie. Ils voulaient empêcher le tsar d’utiliser la péninsule stratégique de la Mer Noire comme base d’opérations pour forcer un passage vers la Méditerranée. La guerre de Crimée a été la première guerre immortalisée sur pellicule. C’était également la première guerre dans laquelle les journaux ont joué un rôle significatif. Sans eux, nous n’aurions jamais su qui était Florence Nightingale, l’infirmière qui s’est fait connaître grâce à ses critiques contre les circonstances avilissantes dans lesquelles étaient soignés les blessés.

Plus d’un siècle et demi plus tard, la Crimée est restée tout aussi importante pour le nouveau tsar du Kremlin, Vladimir Poutine. Lors de l’indépendance de l’Ukraine, Moscou a conclu un accord avantageux avec Kiev, qui permettait à la flotte russe de la mer Noire de continuer à utiliser sa base dans le port de Sébastopol. Une majorité de la population de Crimée parle russe et se sent russe. Les installations russes sont les plus grands employeurs de la péninsule. Moscou dispose donc d’un nombre suffisant de raisons pour considérer la Crimée comme un endroit d’importance vitale pour la Russie.

Il est tentant de comparer la situation actuelle à l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, les régions qui ont déclaré leur indépendance à la Géorgie en bénéficiant de l’aide militaire de la Russie. Pour l’instant, elles font fonction d’états satellites de Moscou et servent de monnaie d’échange dans la politique régionale. D’après Dmitri Trenin de l’office moscovite du think tank américain Carnegie Endowment for International Peace, Poutine souhaite exercer le même contrôle sur la Crimée. Trenin est convaincu que Poutine se fiche comme une guigne de ce que pense l’Occident. L’Europe dépend du gaz russe, alors que Barack Obama ne peut se passer de la Russie pour maintenir sa politique en Moyen-Orient.

Mais alors que la crise pour la Géorgie, plus petite, se déroulait en marge du continent, la partie de bras de fer pour la Crimée risque de transformer la région frontière de l’Union européenne en chaos militaire et politique. En outre, l’Ukraine est pratiquement en faillite, et malheureusement ce n’est pas uniquement de la faute du clan du président destitué Viktor Ianoukovitch. Non sans raison, Londres et Berlin nourrissent des doutes quant à un éventuel retour de l’ancien premier ministre Ioulia Timochenko.

Après les événements à Kiev, l’Ukraine connaît également un grand vide sur le plan politique. Les partis ne sont pas fiables et la diplomatie européenne a été prise de court par « la rue ». Dans cette rue, les nationalistes radicaux, avec qui aucun politique européen convenable ne voudrait se voir prendre en photo, faisaient la pluie et le beau temps. Et la question se pose qui recevra l’argent dont l’Ukraine a besoin si urgemment. Et l’UE peut-elle se permettre cet effort tant qu’elle traînera le fardeau de la Grèce et de la Chypre ? Faire miroiter l’adhésion à l’Union est la meilleure façon d’encore renforcer les voix euro-critiques qui s’élèvent dans le Parlement européen.

La Géorgie s’est laissée provoquer en 2008 et a attaqué elle-même l’Ossétie du Sud occupée par les Russes. Si l’Ukraine fait preuve de plus de sang-froid, il y a des chances que la situation n’empire pas. Pour Poutine, l’Ukraine joue un rôle plus important que la Géorgie. Peut-être que ce facteur le poussera à agir plus prudemment. Cependant, le fait qu’à l’époque la diplomatie européenne n’ait pas réalisé à temps que Moscou ne renoncerait pas à l’Ukraine et n’ait pas agi dans ce sens fait réfléchir. Pour reprendre les paroles du chef de police de Napoléon, Fouché, c’est pire qu’un crime – c’est une erreur.

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