Claude Demelenne

Pourquoi nous adorons (presque) tous détester Stéphane Moreau (carte blanche)

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Il est présumé innocent. Il n’a tué, ni tabassé, personne. Pourtant, Stéphane Moreau suscite rejet, sinon dégoût. Comment en est-on arrivé là ?

L’incarcération de Stéphane Moreau a réjoui dans les chaumières. Quelques bouchons de champagne ont sauté. Réaction la plus fréquemment entendue : « Enfin, une bonne nouvelle ! ». Peuple de gauche et peuple de droite ont communié dans une même allégresse. Pour l’opinion publique, c’est sûr, l’ex-patron de Nethys mérite le goudron et les plumes.

Le casse du siècle

Stéphane Moreau est un parfait repoussoir. S’il cristallise la détestation des Belges, c’est sans doute parce qu’il est la caricature du double visage de la fausse gauche : ouvriériste, côté pile. Hyper-capitaliste, côté face. « L’affaire Moreau » braque les projecteurs sur une période sombre du PS liégeois. Celui-ci a confié les clés de la Maison du Peuple à un un bonimenteur que le citoyen moyen considère comme un margoulin. Un surdoué certes, mais surtout pour faire fructifier ses petites affaires personnelles.

A l’échelle liégeoise, l’affaire Moreau est le casse du siècle. Ses auteurs présumés sont tout sauf des Robin des Bois, qui volent les riches pour donner aux pauvres. Moreau et ses amis sont des rapaces. Ils ont une seule et unique devise : toujours plus !

Valse des millions

L’ex-patron de Nethys cumule tous les défauts du capitaliste rouge. Issu d’un milieu modeste, il trahit ses origines. Il se vautre sans gêne sur un matelas de grosses coupures. Son salaire, ses primes, ses indemnités annexes, tout est classé « top secret ». Jusqu’à ce que les chiffres, obscènes, soient révélés. Moreau gagne, au bas mot, 50 fois plus qu’un travailleur de base de « la plus grande intercommunale du monde ». Il ne voit pas où est le problème.

La valse des millions donne le tournis. Moreau accumule les casseroles judiciaires. Il collectionne les transactions pénales, ce dispositif légal permettant aux fraudeurs – surtout les plus aisés – d’échapper à un procès, moyennant le versement d’une pénalité financière. Il ne voit toujours pas où est le problème.

Le loup dans la bergerie

Moreau n’était pas le sauveur de l’économie liégeoise. Il était le loup dans la bergerie. Le loup a fait beaucoup de dégâts. Stéphane Moreau a alimenté le discours anti-politique. Il a sali l’image de Liège, plongée dans une ambiance de scandalite rappelant les dérives politico-financières des années 1980-1990. Il a suscité chez beaucoup de citoyens une colère froide contre sa personne. Par ses outrances, il a fini par incarner le diable.

Bras d’honneur

La haine est toujours mauvaise conseillère. Elle ne l’est pas moins lorsqu’elle cible Stéphane Moreau, ancien prestidigitateur du PS liégeois qui a réussi à faire l’unanimité contre lui. Au delà des procédures judiciaires en cours, il ne s’agit pas de s’acharner sur l’affairiste déchu, dans une ambiance de chasse à courre. Mais Stéphane Moreau n’est pas à plaindre. Lorsqu’il était au sommet de sa gloire, il a multiplié les bras d’honneur, aux journalistes qu’il méprisait, aux syndicalistes qu’il menaçait, aux trop rares socialistes liégeois qui tentaient de modérer sa mégalomanie. Il paie aujourd’hui l’addition et elle est salée.

« Salaud magnifique »

L’annonce de l’arrestation de Stéphane Moreau a été accueillie par un ricanement généralisé. Guère étonnant, tant l’ex diva socialiste a tendu des bâtons pour se faire battre. Aujourd’hui, il est urgent de sortir du ricanement. Julie Fernandez Fernandez, échevine socialiste de Liège et présidente d’Enodia – le nouveau nom de Publifin – a qualifié l’affaire Moreau d’ « immense gâchis ». On ne saurait mieux dire. Comment en finir avec le gâchis ? Ce sera un travail de longue haleine. Surtout pour le PS liégeois et son futur président (il devrait ête élu début mars), Frédéric Daerden. Fragilisés par la saga Moreau, bousculés par le PTB, les socialistes n’ont plus droit à l’erreur.

L’homme que les Belges adorent détester n’a sans doute pas fini de nous surprendre. Stéphane pourrait fendre l’armure, faire son mea culpa, reconnaître ses fautes. Il pourrait aussi pratiquer la politique de la terre brûlée, en tentant de « mouiller » d’autres dirigeants politiques liégeois. S’il choisit cette voie, potentiellement explosive, il méritera vraiment son titre de « salaud magnifique ».

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