Catherine Moureaux (PS), triomphante après sa victoire à Molenbeek, au soir du 14 octobre. Elle a décidé de former une majorité avec le MR après avoir essayé durant dix jours de négocier avec le PTB. © HATIM KAGHAT/BELGAIMAGE

Pourquoi les partis traditionnels ont besoin d’un sursaut avant les élections de 2019

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les partis traditionnels, grands perdants du scrutin communal, utilisent les vieilles recettes pour sortir la tête de l’eau, entre anathèmes, dénis de la défaite et compromis. Un sursaut s’impose. Car le vieux clivage gauche-droite pourrait exploser en mai 2019, chez nous comme partout dans le monde.

Les partis traditionnels semblent ne pas avoir compris le coup de semonce des électeurs, le 14 octobre dernier. Ils usent toujours de mêmes grosses ficelles. Au lendemain des communales, il y a tout d’abord eu ce  » nous avons tous gagné  » si peu audible alors que PS, MR et CDH étaient les grands perdants de cette répétition générale, sept mois avant les législatives et régionales du 26 mai 2019. Une fois la défaite reconnue du bout des lèvres, est venu le temps de la riposte. Grossière, là aussi. Alors que c’est un changement total de paradigme politique qui se profile à l’horizon.

« Jeu de dupes et football panique »

Le MR attaque frontalement les écologistes : ils pencheraient dangereusement à gauche en acceptant de parler avec le PTB, dixit le président Olivier Chastel. Et ils ont été favorisés par un électorat jeune, peu mature – les 18-35 ans ont massivement voté Ecolo. Même discours de la part du président du CDH, Benoît Lutgen. Le Premier ministre, Charles Michel, annonce que son parti se préoccupera davantage des  » aspirations de qualité de la vie « . Mieux vaut tard que jamais.

Le MR semble sous le choc de son recul prononcé, particulièrement à Bruxelles.  » Les libéraux n’avaient pas vu venir leur défaite, singulièrement au détriment d’Ecolo, déclare au Vif/L’Express Jérémy Dodeigne, politologue à l’UNamur. Dans le cercle autour de Charles Michel, tous étaient convaincus du bien-fondé d’une stratégie misant sur la sécurité. Le plus inquiétant, c’est qu’ils ne remettent pas leurs certitudes en question. Quand Boris Dilliès et Vincent De Wolf, qui ont la légitimité d’être leurs deux seuls bourgmestres réélus à Bruxelles, soulignent qu’il faut mettre davantage l’accent sur l’environnement et le social, leur président dit qu’ils se trompent. Visiblement, c’est une forme de football panique.  »

Et le PS ? Grosses ficelles, là aussi. Il écoute le signal de l’électeur et ouvre des négociations avec le PTB, pour les refermer rapidement. Campagne de com à l’appui :  » Après les élections, le PTB se dégonfle « , un slogan soutenu par un ballon de baudruche en guise de visuel.  » Un mauvais film dont la bande-annonce était déjà écrite « , raille Alain Raviart, spécialiste en communication politique et chroniqueur sur RTL-TVI.  » J’ai passé dix jours de ma vie à négocier avec le PTB pour faire aboutir la volonté de changement des Molenbeekois, dément la socialiste Catherine Moureaux. Mais il m’a claqué la porte à la figure.  » Lundi 29 octobre, elle opte pour une  » coalition de la stabilité  » avec le MR, sous les quolibets du PTB qui dénonce une  » mascarade organisée « . Même scénario de rupture à Liège. Et à Charleroi où le toujours bourgmestre Paul Magnette affirme que  » le PTB a trompé l’électeur « . Après avoir rompu avec le parti de Raoul Hedebouw, Magnette privilégie un olivier mariant PS avec écologistes et humanistes.

 » Entre le PS et le PTB, c’est un jeu de dupes partagé « , souligne Jérémy Dodeigne. Le PS a tout intérêt à démontrer que le PTB ne veut pas prendre ses responsabilités, pour le décrédibiliser en vue de mai prochain, tandis que le PTB veut pointer du doigt l’incapacité socialiste à se réformer.  » Cela dit, tous les sondages prédisaient ce scénario catastrophe, poursuit le politologue. Les deux partis ont pu s’y préparer, même si je suis stupéfait par l’amateurisme du PTB, qui ne fournit aucune note détaillée pour soutenir ses argumentations. Je ne suis, par contre, pas trop inquiet sur la capacité du PS à se remettre en ordre de marche pour mai 2019. On voit sa capacité à rebondir, notamment en mettant en avant l’écosocialisme.  » Même si, précise-t-il, le PS a perdu à jamais sa situation ultradominante en Wallonie.

Le Premier ministre, Charles Michel, salué par les siens à la Chambre, n'avait pas vu venir la vague verte.
Le Premier ministre, Charles Michel, salué par les siens à la Chambre, n’avait pas vu venir la vague verte.© DANNY GYS/REPORTERS

« Un sursaut est nécessaire »

Un nouveau monde va-t-il advenir ? Baudouin Meunier, l’un des initiateurs du mouvement politique pluraliste E-Change, regarde avec inquiétude cet après-scrutin aux relents du passé. Il cite, en guise de préambule à son analyse, un discours marquant d’Elizabeth Keane, présidente des Etats-Unis dans la… septième saison de Homeland, la série américaine à succès :  » Notre démocratie est en danger. C’est notre faute : c’est nous qui la tuons. Lorsque nous imaginons la mort d’une démocratie, nous pensons à une révolution, à un coup d’Etat militaire, à des hommes en armes dans les rues… Mais c’est de moins en moins comme cela que cela se passe : regardez la Turquie, la Pologne, la Hongrie… Les démocraties meurent maintenant sans que nous n’y prenons garde. Et la fin arrive rarement d’un seul coup, mais lentement, comme un crépuscule. Et au début, nos yeux ne remarquent rien. Mais les signaux sont pourtant au rouge…  »

C’est-à-dire ?  » Ces élections ont débouché sur une nouvelle érosion des trois partis traditionnels et une victoire des extrêmes, ramasse Baudouin Meunier. Elles ont aussi révélé une forte demande de nouvelles solutions en matière de transition énergétique, de mobilité et de participation citoyenne – c’est du moins comme cela qu’il est plausible de comprendre la forte poussée d’Ecolo. Jusqu’ici, malheureusement, les réponses les plus audibles sont les dénis de la défaite et les anathèmes entre partis. Les citoyens, médusés, désabusés, ou en colère, selon le cas, ne constatent toujours aucun sursaut de la classe politique. Le même théâtre se joue sous leurs yeux, les mêmes comportements se répètent. Au lieu de développer ensemble des projets qui rencontrent les problèmes prioritaires des gens, les politiques semblent trop souvent préférer le jeu partisan…  » Le summum du ridicule, relève-t-il, a été atteint lorsque le Premier ministre, Charles Michel, a attribué la progression écologiste à la diffusion, la veille des élections, d’un sujet sur le réchauffement climatique en ouverture du JT de la RTBF.

Ecolo, le parti de Zakia Khattabi, a le vent en poupe pour les élections législatives et régionales de mai prochain. Une campagne qu'elle mènera sans Patrick Dupriez, qui a démissionné.
Ecolo, le parti de Zakia Khattabi, a le vent en poupe pour les élections législatives et régionales de mai prochain. Une campagne qu’elle mènera sans Patrick Dupriez, qui a démissionné.© PHILIP REYNAERS/PHOTO NEWS

Changer l’image de la politique

 » Un sursaut est nécessaire… et il est possible « , prolonge Baudouin Meunier. E-Change a en effet proposé aux candidats de tous les partis aux élections communales dix engagements pour faire de la politique autrement.  » 385 candidats les ont signés, ce qui n’est pas anodin, précise-t-il. Parmi eux, 162 ont été élus, soit un beau score de 41 %. Ces dix engagements peuvent paraître aller de soi pour quelqu’un qui s’engage dans la vie publique, mais s’ils étaient respectés, ils changeraient drastiquement l’image de la politique – et en augmenteraient considérablement l’efficacité.  » A titre d’exemple, l’un d’eux dit :  » Je cherche les points de convergence avec les autres sur des projets de long terme.  » Un autre :  » Je reconnais ce qui est positif dans l’action et les propositions des autres.  » Cerise sur le gâteau :  » J’accepte de rendre des comptes et j’assume mes erreurs.  » Un changement de culture.

 » Nous avons, chacun de nous, notre rôle à jouer, conclut Baudouin Meunier. Notre insistance devrait finir par payer. Cela demande effort et insistance, mais nous devons entendre l’avertissement d’Elizabeth Keane et agir en conséquence.  » Il reste de l’espoir, malgré les nuages qui menacent.

Nous assistons à un moment charnière, estime le politologue Jérémy Dodeigne. Le vieux clivage gauche-droite pourrait exploser sous le poids du changement, dès mai prochain.  » La montée du PTB exprime le renforcement de cet axe, comme un dernier sursaut avant une mort annoncée. Celle d’Ecolo, par contre, témoigne de l’émergence nette d’un clivage qui avait déjà été identifié, entre matérialistes et postmatérialistes. C’est une réalité qui prévaut désormais dans la plupart des pays dans le monde !  » Telle est en effet la nouvelle réalité qui s’esquisse en Allemagne, où la chancelière Angela Merkel vient d’annoncer son départ en 2021, sur fond de marée verte et noire. Tandis que l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite au Brésil symbolise un repli sur soi qui se généralise dans le monde.

Faut-il, dans ce contexte, rester au- dessus de la mêlée ? Le vainqueur écologiste refuse, selon les termes de sa coprésidente, Zakia Khattabi, de  » tomber dans la boue dans laquelle MR et CDH veulent nous entraîner « .  » Ecolo n’a pas intérêt à s’exprimer trop, dès lors que les partis traditionnels s’enfoncent eux-mêmes, souligne le politologue namurois. Mais au-delà, sa nouvelle position demandera de sa part un discours très mesuré. Il doit démontrer sa capacité à comprendre que l’on doit abandonner les recettes du passé, pour basculer dans ce nouveau clivage, et à prendre le leadership de la nécessaire transition de société que semblent appeler les électeurs, surtout les jeunes. Cela vaut pour l’environnement, mais pas uniquement : le rapport au travail, par exemple, change profondément.  »

Rapport alarmiste

Le 30 octobre dernier, le WWF a présenté un rapport alarmiste, qui donne tout son sens à la victoire écologiste : la terre a perdu 60 % de ses animaux en quarante-quatre ans et cette extinction de masse risque de menacer l’homme.  » J’en connais un qui doit s’étouffer « , a ironisé Zakia Khattabi sur son compte Twitter, en référence à Charles Michel. En marge de cette présentation, Antoine Lebrun, directeur général du WWF Belgique, a manifesté au Vif/L’Express son aspiration à un renouveau politique.

 » Ce n’est pas la victoire d’un parti qui nous importe, nous affirme-t-il (lire aussi sa carte blanche  » Une planète vivante, fondement de notre prospérité  » sur levif.be). Pour faire basculer les comportements de la masse, au-delà des convaincus et des pionniers très engagés, il nous faut désormais une vision politique claire et partagée par tous. C’est cela qui manque ! Au-delà des clivages, nous voulons que toutes les formations reconnaissent que le réchauffement climatique et la protection de la nature sont des éléments constitutifs de toutes les politiques. Tant les entreprises que les citoyens doivent avoir une vision claire de là où on veut aller, pour agir de concert. C’est totalement inexistant. Dans sa déclaration de politique générale, Charles Michel a prononcé une phrase sur le sujet, pour appeler la société civile à agir. Cela démontre une totale incompréhension de ce qui est en train de se jouer.  »

Et si cette urgence mondiale était, au fond, la déferlante susceptible de révolutionner la politique belge…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire