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Pourquoi la Belgique n’éclatera pas

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La sixième réforme de l’Etat n’est pas encore finalisée que de nouvelles revendications flamandes s’annoncent. La N-VA veut instaurer un modèle confédéral. L’unité du pays est-elle menacée par les nationalistes ? Non, il n’y a pas péril en la demeure, tempèrent les experts.

La Belgique n’est plus au bord de la rupture. Plus dans l’immédiat. Le 21 juillet, elle fêtera son 183e anniversaire et l’accession sur le trône de son nouveau Roi loin des angoisses récentes, quand la plus longue crise politique de l’histoire du pays laissait planer le doute d’une séparation imminente. La pacification communautaire est à l’ordre du jour. Huit partis (PS, SP.A, MR, CD&V, CDH, MR, Open VLD, Ecolo et Groen) finalisent la sixième réforme de l’Etat, importante, qui transfère des compétences aux Régions et Communautés pour plus de 17 milliards d’euros et refonde – certes dans la douleur – la loi spéciale de financement régissant les flux d’argent entre l’Etat fédéral, les Régions et les Communautés.

La Belgique est-elle sauvée pour autant? Non. Car la Flandre n’en finira jamais de revendiquer de nouvelles réformes de l’Etat. La N-VA, dont le programme prône l’indépendance de la Flandre, caracole en tête des sondages au nord du pays et réclame la mise en place d’un modèle confédéral. Le score des nationalistes flamands sera la clé des élections du 25 mai 2014.
Mais cinq verrous empêchent l’éclatement du pays, sans compter bien sûr la famille royale.

1. Bruxelles

« C’est le dilemme fondamental pour l’avenir du pays, affirme Philippe Van Parijs, philosophe à l’UCL et à Oxford, coauteur de Good Morning Belgium (éd. Mols). Ce n’est pas une Région comme les autres, on lui a donné l’autonomie parce qu’aucune des deux autres Régions ne voulait l’abandonner à l’autre. C’est notre Jérusalem, chargée d’une symbolique énorme. Et c’est la source de la richesse du pays, de son image de marque… Si l’on prend la Région et quelques tentacules jusqu’à Louvain, l’aéroport et Louvain-La-Neuve, on dépasse les 30% du PIB du pays sans atteindre les 2% du territoire ! Voilà pourquoi la Belgique ne disparaîtra pas dans un avenir prévisible. »

2. La dette

« La dette publique est l’autre noeud majeur, souligne Philippe Van Parijs. Si on commençait à débattre de sa régionalisation, il y aurait immédiatement une spéculation sur la dette belge dans son ensemble, préjudiciable pour la Flandre. Ce ne serait praticable que si on scindait la dette en 24 heures, sans laisser le temps aux marchés de réagir. En outre, on ne peut pas parler de la dette sans évoquer les transferts financiers de la sécurité sociale. Il y a quinze ans déjà, l’économiste Jacques Drèze expliquait que ce ne serait gérable qui si la Flandre reprenait à son compte plus que 100% de la dette belge. »

3. L’économie

« On ne peut pas scinder le pays du jour au lendemain sans se retrouver dans un flou juridique préjudiciable, souligne Christian Behrendt, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Liège. La principale inquiétude concernerait le libre-échange des personnes, des marchandises et des services. Sans assurance de la part de l’Union européenne, on rétablirait des barrières douanières. Or, il ne faut pas oublier que nous sommes dans un pays hautement dépendant de ses exportations et de ses importations. La Flandre irait dans le mur! Voilà pourquoi une déclaration d’indépendance unilatérale est un scénario hautement improbable. Il pourrait certes y avoir un jour une majorité de parlementaires disposée à soutenir ce genre de résolution. Mais le jour-même, il y aurait une réaction très vive des milieux économiques. »

4. L’Europe

« L’Union européenne n’est pas favorable aux séparations en son sein parce que cela constituerait de dangereux précédents, résume Vincent Laborderie, politologue à l’UCL et spécialiste de la séparation des Etats. Les autres cas le plus souvent cités, ce sont la Catalogne, le Pays basque, l’Ecosse. Mais il y a aussi tous les pays d’Europe centrale et orientale. En Europe occidentale, nous avons évacué l’idée de la guerre mais pas dans cette partie de l’Europe-là. C’est dire l’enjeu. Enfin, ne pas être reconnu au niveau international, c’est suicidaire pour un Etat développé. Le Kosovo n’est pas reconnu par la moitié des Etats dans le monde. On ne peut pas y envoyer un colis postal, le réseau de GSM doit passer par l’Albanie… ce serait inconcevable chez nous. »

5. La non-volonté… de la Flandre

« Je suis toujours frappé de voir que quand je parle à des auditoires, c’est toujours en Wallonie que l’on considère l’imminence de la fin de la Belgique, en Flandre, on n’en parle pas, termine Philippe Van Parijs. La frayeur est alimentée par des informations sensationnalistes ou des déclarations montées en épingle. Mais une enquête interne à la N-VA montre que deux tiers de ses membres ne croient pas à la fin de la Belgique. Il faut réexpliquer sans cesse l’impossibilité de la séparation, même si cela ne suffira pas à supprimer ce fantasme. Avant que l’Europe ne puisse prendre le relais de la Belgique, notre siècle sera depuis longtemps terminé. »

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine, avec aussi : « Les bombes à retardement » et « Pourquoi les francophones n’évoquent plus le plan B »

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