Jules Gheude

Pourquoi l’option d’une Belgique à 4 Régions est une chimère (carte blanche)

Jules Gheude Essayiste politique

Le programme de la coalition Vivaldi prévoit la préparation d’une 7ème réforme de l’Etat pour 2024.

Du côté wallon, l’option d’une Belgique à 4 Régions (Wallonie, Flandre, Bruxelles et Ostbelgien) se dégage tant au PS qu’au MR. Elle est également défendue par Re-Bel (Rethinking Belgium’s institutions in the European Context), dont l’une des figures de proue est le philosophe-économiste Philippe Van Parys.

Chantre du belgicanisme, celui-ci a publié, il y a trois ans, un essai intitulé « Belgium. Une utopie pour notre temps », dans lequel il explique pourquoi la vision d’une Belgique à 4 Régions peut représenter un destin possible bien plus enthousiasmant que la dystopie de la dislocation.

On remarquera d’emblée l’usage du mot « Belgium ». Pour l’intéressé, en effet, il serait souhaitable que l’anglais devienne le trait d’union de cette nouvelle configuration.

Ceci est loin d’être innocent, comme nous allons le voir. Car Philippe Van Parijs, ne l’oublions pas, est avant tout flamand…

Il était présent au colloque « L’Après-Belgique », organisé en 2011 par le Cercle Condorcet de Liège et au cours duquel, en public, il a répondu par « oui » à la question que je lui avais posée : La Flandre est-elle, selon vous, une Nation ?

Premier paradoxe de sa part. Car il est évident qu’un Etat fédéral ne peut se concevoir avec l’une de ses entités érigée en Nation. Pour le formuler autrement : l’existence d’une Nation flamande compromet de facto la survie de la Belgique. Un dicton africain n’affirme-t-il pas qu’ il ne peut y avoir deux places sur la peau d’un léopard ?

Deuxième élément, qui démontre la côté illusoire de la stratégie Re-Bel : l’aversion que la Flandre a toujours nourrie envers Bruxelles, Région à part entière.

Lorsque l’article 107 quater de la Constitution, reconnaissant l’existence des Régions flamande, wallonne et bruxelloise, a été adopté en 1970, chacun était bien conscient que la Flandre ferait tout pour en empêcher sa concrétisation au niveau de Bruxelles. François Perin, lui-même, avait affirmé que la Région bruxelloise ne verrait jamais le jour. Ce fut sa seule erreur de jugement. La crise fouronnaise des années 80 allait, en effet, permettre à la Région bruxelloise de sortir des limbes fin 1988. Les francophones durent, pour cela, sacrifier José Happart et sa cause. Le marchandage déboucha également sur une extension importante des matières communautaires (enseignement) et régionales (transports, travaux publics, commerce extérieur,…). On sait comment Jean-Luc Dehaene s’arrangea ensuite pour asphyxier financièrement l’enseignement francophone…

Mais la Flandre n’a pas pour autant renoncé à ses ambitions concernant ce territoire bruxelloise qui, à ses yeux, lui appartient historiquement.

Dès 1980, elle a usé de la faculté que lui donnait le législateur de fusionner ses institutions. La Région fut ainsi absorbée par la Communauté. Efficacité et économie des moyens : un gouvernement unique, un Parlement unique, le tout établi à Bruxelles, capitale de la Flandre.

La Belgique à 4 Régions sous-entend la suppression de la notion de Communauté. En tant que Flamand, Philippe Van Parijs ne peut que se réjouir de l’élimination de la Communauté française, ce lien organique entre la Wallonie et Bruxelles. Et avec sa proposition visant à faire de l’anglais la langue de la Belgique, il mise sur l’affaiblissement progressif de la langue française à Bruxelles.

Mais il est confronté ici à une donnée essentielle. Jamais la Flandre ne consentira à supprimer « sa » Communauté, qui lui permet, via l’exercice des matières dites « personnalisables », d’encadrer sa minorité bruxelloise du berceau jusqu’à la tombe.

Philippe Van Parijs n’ignore pas que l’option confédéraliste qui fut lancée au début des années 90 par le ministre-président flamand CVP Luc Van den Brande et avalisée par le Parlement flamand en 1999, repose sur deux piliers, la Flandre et la Wallonie, assurant la cogestion de Bruxelles.

C’est exactement cela que la N-VA propose aujourd’hui. Selon Bart De Wever, chaque Bruxellois, indépendamment de sa langue et de son origine, devrait choisir entre le paquet flamand et le paquet wallon pour ce qui concerne les matières dites personnalisables : impôt des personnes, soins de santé, immigration/intégration,…

Sur ce point, N-VA et CD&V restent soudés.

On a ainsi vu récemment la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V), faire état d’un « modèle 2+ 2 », entendez deux entités fédérées (deelstaten) – Flandre et Wallonie – et deux sous-entités (deelgebienden) – Bruxelles et Ostbelgien.

En fait, il suffirait que la Flandre, suivant en cela l’exemple francophone, rebaptise sa Communauté « Federatie Vlaanderen-Brussel » pour que le chemin de ce confédéralisme à deux soit tracé.

C’est d’ailleurs ce qu’avait déclaré feu Jan Verroken – le tombeur du gouvernement Vanden Boeynants sur l’affaire de Louvain en 1968 – dans sa dernière interview, accordée à « Doorbraak » en 2017 :

Si j’étais encore au CVP, je me battrais pour faire la même chose que les Wallons. Les Wallons font le Fédération Wallobrux. J’aurais fait depuis longtemps une Fédération Flandre-Bruxelles. Il faut toujours faire la même chose que son adversaire. Ils ne peuvent tout de même pas nous reprocher de vouloir faire la même chose qu’eux. Et c’est ainsi qu’on est encore à mille lieues du confédéralisme.

Une Fédération Wallonie-Bruxelles vs een Federatie Vlaanderen-Brussel : Bruxelles se retrouvant dans les deux équations, est de facto cogérée… CQFD.

Une chose est sûre : on peut encore s’attendre à de belles escarmouches, le jour où l’on entrera vraiment dans le vif du sujet de cette 7ème réforme de l’Etat.

Philippe Van Parijs, nous l’avons dit, considère que le Flandre est une Nation. Il devrait aussi savoir que l’évolution normale, logique, d’une Nation est de devenir un Etat souverain.

Qui vivra verra…

En attendant, la Flandre n’a nulle envie de continuer à se montrer solidaire d’une Wallonie qui, à ses yeux, n’adopte pas la gestion politique appropriée pour se redresser. Une Wallonie dont, aux dires de son ministre-président Elio Di Rupo, la situation budgétaire est abyssale et se verra encore aggravée par l’extinction programmée des transferts financiers en provenance de Flandre (quelque 7 milliards d’euros par an !).

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