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Pourquoi l’opération Calice ?

Neuf mois de péripéties autour de l’opération Calice et toujours pas de réponse sur le comportement irrédentiste de deux magistrats bruxellois.

La justice reprend son cours lent et tranquille dans le dossierdes abus sexuels commis par des clercs catholiques. Neuf mois après le déclenchement de l’opération Calice (24 juin 2010) par le juge d’instruction bruxellois Wim De Troy. On se souvient que ce dernier avait été saisi par le procureur du roi de Bruxelles, Bruno Bulthé, sur la base d’une enquête très embryonnaire menée par la police judiciaire fédérale de Bruxelles. Ces magistrats avaient pris au sérieux les déclarations de l’abbé Rik Devillé et de Godelieve Halsberghe, ancienne présidente de la commission chargée du recueil des plaintes pour abus sexuel au sein de l’Eglise, accusant celle-ci d’étouffer les affaires. Quatre mois plus tard, le 21 octobre, le même procureur Bulthé demandait au parquet fédéral de reprendre le dossier embrouillé de l’opération Calice. C’est chose faite depuis le 8 mars dernier.

Les 475 dossiers de la commission Adriaenssens vont donc être remis à leur propriétaire. La chambre des mises en accusation a, en effet, considéré à deux reprises qu’ils avaient été emportés illégalement. Le parquet fédéral prendra contact avec chaque victime pour lui demander quelle suite y donner. L’Eglise, de son côté, s’est déclarée à l’écoute de tous. Elle attend les recommandations de la commission « abus sexuels » de la Chambre, présidée par Karine Lalieux (PS), pour présenter son plan d’indemnisation. C’est presque un retour à la case départ. Une normalisation.

Car la note du 7 juin 2010 du collège des procureurs généraux, qui organisait le transfert des dossiers Adriaenssens vers la justice, devient soudain opérationnelle. Cette note honnie, qualifiée aussi de « protocole » entre le collège des procureurs généraux et la commission Adriaenssens, avait mis le feu aux poudres. A cette époque, personne ne l’avait vraiment lue mais les soupçons avaient explosé. Beaucoup, et non des moindres, y voyaient une immixtion intolérable de l’Eglise dans les affaires de la justice.
Entendus par la commission Lalieux, les plus hauts magistrats du parquet et le ministre de la justice sont venus redire que cette note du 7 juin ne visait nullement à confier à une commission créée par l’Eglise le soin de trier à la place de la justice les plaintes de victimes de prêtres et religieux catholiques. Elle organisait seulement leur transmission vers le parquet fédéral pour les faire atterrir au bon endroit. De plus, était-il écrit noir sur blanc, les dossiers non encore transmis restaient à la disposition du ministère public qui, à tout moment, pouvait en demander la saisie. Le rôle de « gare de triage » attribué au parquet fédéral n’avait rien d’anormal : celui-ci a été « inventé » en 2002, précisément pour coordonner l’action d’arrondissements judiciaires concernés par une même affaire.

Quand Johan Delmulle tombe des nues

La seconde audition du procureur fédéral Johan Delmulle par les députés de la commission « abus sexuels » (9 février) a démontré l’étendue de cette incompréhension entre la haute magistrature et certains magistrats. Avec une « anecdote » inédite. Le 23 juin 2010, veille de l’opération Calice, Delmulle se rend chez le procureur du roi de Bruxelles, Bruno Bulthé. Il a appris fortuitement (des conversations entre magistrats…) que Bulthé s’apprêtait à traiter les déclarations de l’abbé Rik Devillé et de Godelieve Halsberghe, dénonçant l’omerta de la hiérarchie catholique à propos des crimes sexuels commis par des prêtres ou religieux.

Delmulle veut prévenir d’éventuelles erreurs de procédure. « Je n’ai pas eu l’impression que la note du collège des procureurs généraux [NDLR : du 7 juin] lui disait quelque chose », se souvient Delmulle. Bulthé lui annonce qu’un juge d’instruction est saisi, que des perquisitions vont avoir lieu, sans autres précisions. « Il ne m’a pas parlé de perquisitions à la commission Adriaenssens », relate Delmulle. Le procureur fédéral ne pousse pas plus loin ses questions, « par respect pour le secret professionnel » de Bulthé et il lui promet l’embargo. On imagine sa stupeur, le lendemain.
Certes, à la différence des quatre autres procureurs généraux du pays, le procureur général de Bruxelles, Marc de le Court, supérieur hiérarchique de Bulthé, n’avait pas encore fait suivre la note du 7 juin à ses magistrats. Mais, le 10 juin, le ministre de la Justice avait publié un communiqué de presse expliquant le contenu de celle-ci. Pourquoi le procureur du roi de Bruxelles l’a-t-il négligée ? Etait-il convaincu par les déclarations fluctuantes de Godelieve Halsberghe, qui prétendait que des documents étaient cachés dans la crypte de la cathédrale de Malines, ce qui a donné lieu à la première saisine du juge De Troy ? De Troy cherchait-il à s’emparer des dossiers Adriaenssens avant le parquet fédéral ? Les députés de la commission Lalieux ont encaissé les révélations de Johan Delmulle sans poser de questions. Elles figureront peut-être dans leur rapport.

MARIE-CÉCILE ROYEN

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