Jeroen Bergers © DR

Pourquoi Bart De Wever n’a pas intérêt à ce que le Vlaams Belang remporte les élections de 2024

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Jeroen Bergers, ancien membre du groupe extrémiste Schild&Vrienden, vient d’être élu président des jeunes N-VA. Or si Bart De Wever veut, avec le PS, conclure un accord historique en 2024 qui mettra fin au système belge actuel, il devra être capable de tenir en respect « ses » partisans de la N-VA, loin surtout du Vlaams Belang.

Il était prévisible que l’élection de Jeroen Bergers à la présidence des Jeunes N-VA susciterait l’attention médiatique. En 2018, Bergers apparaissait dans le tristement célèbre documentaire de Pano sur Schild & Vrienden, même si depuis, il a présenté des excuses publiques. Il est resté le bienvenu à la N-VA, mais pas au Conseil flamand de la jeunesse.

Quatre ans plus tard, les Jeunes N-VA ont élu Bergers président. Il va sans dire que son passé S&V est revenu sur le tapis. Ses partisans soulignent qu’un jeune homme qui a commis une erreur il y a des années mérite une seconde chance. En même temps, des protestations ont eu lieu contre le déroulement irrégulier des élections : Bergers aurait permis à des membres d’autres partis (notamment l’Open VLD et le Vlaams Belang) de voter, ainsi qu’à un groupe d’étudiants amis de Louvain qui s’est avéré ne pas être intéressé par la N-VA. Après un conseil de section (l' »assemblée générale ») turbulent des Jeunes N-VA, Bergers a affirmé qu’il était le nouveau président. D’autres membres des Jeunes N-VA ont fait savoir à la presse qu’ils pensent que les choses ne peuvent pas continuer comme ça.

De telles querelles ne sont pas rares dans les sections de jeunes. La question est de savoir dans quelle mesure Bergers a perdu son radicalisme. Militant du Taal Aktie Komitee (Comité d’action linguistique, TAK), il ne cache pas son aversion pour la Belgique. De vieilles photos sur Internet montrent Bergers s’essuyant littéralement les pieds sur le tricolore belge. Les membres de TAK et certains membres de la N-VA n’y voient pas de problème. En 2019, la présidente du Parlement flamand Liesbeth Homans (N-VA) ne voulait pas non plus être photographiée « devant ce torchon belge ». C’est pourquoi personne n’a été surpris lorsque Bergers s’est décrit la semaine dernière comme « un activiste qui met le doigt sur la plaie belge ». Et d’ajouter : « Plus que jamais, la Jeune N-VA adoptera cette attitude militante dans les années à venir ».

Jeroen Bergers
Jeroen Bergers© Twitter

Vraiment ? Le mandat de Bergers s’étend jusqu’à l’année électorale 2024: en mai, il y aura les élections régionales, fédérales et européennes et le 13 octobre, le scrutin communal. Reste à savoir si la N-VA sera servie par un discours anti-belge flagrant à ce moment-là. En 2024, toutes ces élections vont interférer les unes avec les autres. Les gagnants en mai peuvent augmenter leur avance en octobre. À l’inverse, les perdants auront encore une chance de faire tomber les gagnants. Entre-temps, les gouvernements flamand et fédéral seront déjà en train de se former. En Flandre, c’est le plus grand parti mènera les premières négociations. D’après les sondages, il pourrait s’agir du Vlaams Belang.

Blancs et non musulmans

Ce sera donc une partie d’échecs simultanée pour le président de la N-VA, Bart De Wever. Il doit « marquer » aux élections, donc au moins rester dans le sillage du Vlaams Belang. Ensuite, il doit faire entrer son parti au gouvernement à un maximum de niveaux : en Flandre, bien sûr – où la N-VA a fourni le ministre-président depuis 2014 – mais aussi en Belgique fédérale. De Wever reproche toujours au président de l’Open VLD, Egbert Lachaert, d’avoir choisi en septembre 2020 de former un gouvernement fédéral avec les écologistes et sans la N-VA. En 2024, De Wever a encore une bonne occasion de frapper le coup qu’il préparait avant la « trahison » de Lachaert avec les socialistes, c’est-à-dire avec Paul Magnette et Conner Rousseau. En 2024 aussi, il doit s’agir d’un accord communautaire historique qui mette fin à l’actuelle Belgique fédérale avec ses chevauchements, ses conflits de compétences et ses blocages. Un tel accord est complexe et nécessite du temps pour être élaboré. Les négociateurs ne peuvent pas être prêts lorsque les Flamands voteront à nouveau en octobre. D’où le souci de faire en sorte que la formation ultérieure d’une coalition locale ne fasse pas obstacle à l’accord de la « grande » coalition. Et qu’un président des jeunes ayant un passé S&V connaisse sa place.

Concrètement : quid du Vlaams Belang ? Cela devient une obsession pour De Wever : les membres de la N-VA auront-ils encore des réticences à traiter avec le Vlaams Belang ? Car bien sûr, le Vlaams Belang les invitera à gouverner ensemble dans les communes où les deux partis ont la majorité. Si c’est mathématiquement possible, des voix s’élèveront à partir de mai pour gouverner la Flandre ensemble et, pourquoi pas, déclarer unilatéralement l’indépendance de la Flandre vis-à-vis du Parlement flamand. De Wever frémit à l’idée, pour deux raisons. Premièrement, si la N-VA s’allie quelque part au Vlaams Belang, il y a fort à parier que la direction du PS n’aura d’autre choix que d’annuler toute négociation avec les « complices du fascisme ». En deçà de la frontière linguistique, on n’hésitera pas à sortir une rhétorique de guerre, et De Wever pourra oublier son accord historique. Et, plus important encore : ce serait une trahison de son propre projet politique. De Wever ne veut certainement pas d’une Flandre « blanche » et sans musulmans, comme l’envisage le Vlaams Belang. Lorsque De Zondag lui a demandé si la ministre de l’Environnement et de l’Energie Zuhal Demir pouvait devenir ministre-présidente, la réponse a été la suivante : « Je ne vais pas nier que son profil incarne entièrement l’identité de la N-VA : la fille d’un mineur turco-kurde parfaitement intégrée et qui gagne le coeur des Flamands. Pour moi, l’idée qu’elle finisse tout en haut de l’échelle n’est pas farfelue « . Aucune mention n’a été faite de l’actuel ministre-président Jan Jambon.

Aujourd’hui, Demir est la carte maîtresse de De Wever. C’est une ministre « rebelle » qui conteste même « le système » au sein du système. A part De Wever, il n’y en a pas beaucoup qui peuvent le faire. En même temps, elle se présente rarement comme une furie anti-belge. Elle argumente son opposition aux usines à gaz non pas comme le combat d’une ministre flamande contre une ministre fédérale, mais comme son propre combat contre les combustibles fossiles, c’est-à-dire pour le climat, la sécurité d’approvisionnement et le caractère abordable de l’énergie. Ce combat pour le « Flamand ordinaire » coïncide même avec ce que dit Conner Rousseau, président de Vooruit.

Pourquoi Bart De Wever n'a pas intérêt à ce que le Vlaams Belang remporte les élections de 2024
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Zelzate et Borgerhout

En 2003, la sortie du nucléaire était un projet vert-rouge d’Ecolo/Agalev et du SP.A. Il l’est resté pendant près de vingt ans. Sous Rousseau, Vooruit est devenu un partisan moins ouvert de la sortie du nucléaire. Et comme la guerre d’Ukraine a fait admettre aux écologistes qu’ils ne veulent pas non plus rester dépendants du gaz (russe), Rousseau s’est lancé à fond de train. Dimanche matin, De Wever a déclaré que cinq centrales nucléaires pourraient rester ouvertes. Dimanche après-midi sur VTM, Rousseau a plaidé pour deux centrales. Il faut bien qu’il y ait une différence.

Un axe entre la N-VA et le Vooruit semble se dessiner. A Anvers, Vooruit est le sous-traitant idéal pour la N-VA. En 2024, on s’attend à un retour des socialistes au sein du gouvernement flamand, accompagné d’un retour fédéral de la N-VA, ce qui jette également une lumière différente sur l’action remarquable de Conner Rousseau. Peu après le début de la guerre en Ukraine, plusieurs sources confirment que les mandataires du Vooruit de Zelzate et Borgerhout ont été invités « d’en haut » à quitter leur coalition locale avec les « amis de Poutine » du PTB. Cela ne s’est pas produit, « mais la pression était là ». Rousseau a-t-il agi uniquement par solidarité avec l’Ukraine – et parce que, en tant que social-démocrate de naissance, il n’aime vraiment pas le PTB? Il connaît évidemment l’inquiétude de De Wever concernant l’attrait du Vlaams Belang. Ce parti invoque un argument auquel De Wever lui-même n’a pas de bonne réponse : « Pourquoi Groen et Vooruit sont-ils autorisés à gouverner localement avec le PTB, et les gens de la N-VA ne seraient-ils pas autorisés à le faire avec le Vlaams Belang ? En ce sens, la tentative de Rousseau de faire exploser les coalitions locales avec le PVDA a surtout été comprise comme un geste personnel envers Bart De Wever. Une bague de fiançailles semble excessive.

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