Jean Hindriks

« Pour une vraie réforme des pensions : les demi-solutions sont des problèmes au carré » (opinion)

Jean Hindriks Docteur en économie (UCL et Itinera)

« Si nous pouvons tirer une leçon des réformes passées de notre système de pension c’est qu’elles ont créé beaucoup de confusion, en proposant des solutions partielles sans véritable cohérence entre elles », écrivent Pierre Devolder (UCL) et Jean Hindriks (Itinera et UCL), tous deux membres du Conseil Académique des Pensions et anciens membres de la Commission de Réforme des Pensions.

Le coup de baguette magique

La Belgique est l’un des derniers pays d’Europe à n’avoir pas entamé une réforme structurelle de ses pensions. Les recommandations de la Commission de Réforme des pensions de juin 2014 sont restées en bonne partie lettre morte. L’objectif était de rompre avec la politique des pensions du passé qui se limitait principalement à chiffrer les coûts budgétaires du vieillissement sans se soucier de réformer nos pensions pour les adapter aux transformations économiques, sociales et démographiques.

Cet été comme chaque année, le Bureau fédéral du Plan publie son rapport du comité d’étude sur le vieillissement (CEV), comprenant des projections à l’horizon 2070 qui peuvent laisser dubitatifs tant le monde dans lequel nous vivons n’a jamais été aussi incertain. Pour 2020 on s’attend en effet à une baisse au minimum de 10% du PIB sans savoir vraiment ce que nous réservent les années suivantes. On s’attend en outre à une hausse des dépenses sociales au minimum de 10 %.

L’effet combiné de cette contraction de la production et de la hausse des dépenses se traduit par une hausse de 5 points de pourcentage de la part des dépenses sociales dans le PIB qui passerait de 25% à 30% en 2020. Le plus surprenant c’est que le CEV obtient un même niveau de dépenses sociales dans le PIB à l’horizon 2070. Mais où sont passés les coûts du vieillissement me direz-vous?

Après tout, le CEV estime qu’à l’horizon 2070 nous aurons en Belgique 1.130.400 personnes supplémentaires de plus de 67 ans, ce qui va inévitablement gonfler les dépenses de pension et de santé. Le coup de baguette magique consiste à financer ces dépenses supplémentaires par l’arrivée massive de migrants (plus de 1.200.000 personnes sur la période 2019-2070) pour compenser la baisse de la population active belge et simultanément de créer massivement des emplois nouveaux. À titre d’illustration sur la période 2020-2025, on suppose la création de 96.000 emplois nouveaux. Et à l’horizon 2070 c’est presque 500.000 emplois nouveaux qui seraient créés. On ne sait si ces emplois sont des emplois à temps plein ou à temps partiel, ou si ces emplois participent pleinement, partiellement ou pas du tout au financement de la sécurité sociale.

Évidemment, le CEV n’est pas naïf et il rappelle avec raison que sa mission est de faire des projections budgétaires et non des prévisions économiques ou démographiques. Et il est bon de le rappeler pour éviter de tomber dans des certitudes malvenues. En effet si la croissance annuelle de la productivité diminue de 1.2% à 0.9% (baisse d’un tiers de point de pourcentage) les coûts budgétaires du vieillissement explosent de 33%. On l’aura compris ce n’est pas (plus?) sur base de ces projections budgétaires que nous devons organiser une réforme de nos pensions, mais sur une urgence simple à comprendre. Le monde devant nous est imprévisible et nous devons adapter notre système de pension au monde de demain. Nous devons trouver un « nouveau normal » (the new normal), dont la nécessité va d’ailleurs bien au-delà de l’aspect purement budgétaire, tant nos systèmes actuels de pensions sont devenus injustes et inefficaces.

Des règles communes en lien avec les réalités du monde du travail

Le marché du travail d’aujourd’hui n’est plus celui qui existait au moment où nos régimes actuels de sécurité sociale ont été mis en place et il en sera encore plus éloigné demain. En particulier, de plus en plus de travailleurs ont des parcours variés, des carrières fragmentées et sous différents statuts (salarié, indépendant, fonctionnaire). La notion de carrière varie d’un régime à l’autre. Cette notion de carrière devient elle-même difficile à mesurer compte tenu des nouvelles formes de travail. Certains employeurs ont déjà décidé de basculer totalement au télétravail. Les règles spécifiques à différents secteurs d’activité ou différents régimes de pension sont des freins aux réorientations professionnelles parfois indispensables. Dans ce contexte, un rapprochement des règles des différents régimes s’impose et des différences ne devraient subsister que sur la base de réalités objectives et non pas d’héritages du passé.

Un véritable partage des risques

La répartition dans notre système de pension est basée sur une solidarité entre les générations et le partage des risques entre elles. Dans ce contexte, toute réforme juste doit simultanément veiller à la soutenabilité financière (niveau des cotisations et importance du financement alternatif) et à l’adéquation sociale (niveau des prestations). Cela suppose un partage équilibré des coûts du vieillissement entre générations, conduisant à des mécanismes d’adaptation progressifs basés sur des indicateurs objectifs. Il est interpellant de voir que le risque de pauvreté est moins élevé chez les pensionnés que dans le reste de la population, et qu’en cas de récession les pensions continuent à augmenter (6 % par an) tandis que l’emploi et les salaires sont à la baisse.

Le nouveau normal : Un système universel de compte pension

En vue de réformer nos systèmes de pension dans l’optique des principes énoncés ci-avant, avec un souci de restaurer la confiance et en tenant compte de la diversité croissante des relations de travail qui compliquent le calcul actuel des pensions légales sur base des fractions de carrières, nous pourrions envisager une transition de nos trois grands régimes de pension légale vers un système universel de compte pension (fonctionnant selon la même logique quel que soit le statut de l’affilié, mais pouvant être paramétré différemment selon le statut). Dans ce système, chacun disposerait d’un compte individuel pension, alimenté chaque année par de nouveaux droits de pension exprimés sur base de fractions de salaires (mesurables) plutôt que sur base d’une fraction de carrière (moins mesurable). La transparence du compte pension est un gage de l’adhésion de la population. Ce système permettrait aussi des départs progressifs à la pension rencontrant ainsi la diversité des aspirations à poursuivre son activité professionnelle après 60 ans. Cette souplesse des fins de carrière, en lien avec l’évolution du marché du travail, doit néanmoins s’accompagner d’une responsabilisation (partielle) des affiliés et ne peut, dans un souci d’équité, se concevoir que moyennant l’instauration de mécanismes de corrections actuarielles. Le système permettrait aussi de mieux corriger les effets des inégalités sociales sur l’espérance de vie, qui rendent nos systèmes actuels particulièrement injustes. Concrètement les moins qualifiés qui souvent commencent leur carrière plus tôt pourraient aussi partir plus tôt à la pension.

Si nous pouvons tirer une leçon des réformes passées de notre système de pension, c’est qu’elles ont créé beaucoup de confusion, en proposant des solutions partielles sans véritable cohérence entre elles. Et comme le dit le dicton, des demi-solutions sont des problèmes au carré.

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