Carte blanche

Pour une politique migratoire digne

La « crise du Covid-19 » a mis en lumière la précarité croissante à laquelle est contrainte tout un pan de la population sur le territoire belge, dont une partie importante de personnes exilées. Depuis des années, le Réseau Santé Mentale en Exil observe les conditions d’accueil qui leur sont réservées. Certaines sont des plus inquiétantes, notamment : l’entrave au droit fondamental de demander l’asile, la suspicion permanente de leur parole, les obstacles à un accès effectif aux soins, et la généralisation d’un système d’accueil des demandeurs d’asile où le management chiffré de l’occupation des lits prime sur les lieux où les personnes ont pu construire un réseau de soins et de soutien.

Dans les faits, depuis des mois, des centaines de personnes en quête d’une protection en Belgique se retrouvent à la rue. La situation est telle qu’un collectif d’associations a mis en demeure l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) et l’État belge, pour leur non-respect de la législation nationale et européenne qui prévoit une place d’hébergement immédiate pour toute personne demandant l’asile. Le Tribunal de Première Instance de Bruxelles vient de donner raison à ce collectif. Ces personnes viennent grossir les rangs de toutes celles déjà à la rue – dont une partie a basculé dans la misère à cause de la « crise du covid-19 » – avec pour seule possibilité de mise à l’abri une place en hébergement d’urgence dans les structures prévues pour les personnes sans abri. Ce secteur connaît pourtant lui aussi des insuffisances structurelles qui créent une situation de « saturation » en continu.

Une crise de plus…

Ces « crises », à l’instar de celle de 2015, ne sont que les conséquences logiques et prévisibles de choix politiques déterminés, qui créent et organisent, structurellement, un dispositif insuffisant, qui ne manquera pas d’être débordé à chaque nouvelle guerre d’ampleur, pandémie, crise économique, etc. Rappelons pour l’exemple que la « crise de 2015 » avait été précédée par la fermeture d’environ 6500 places d’accueil en deux ans… A chaque occasion, elles deviennent le prétexte d’un nivellement par le bas des conditions d’accueil ; annoncées comme temporaires, elles finissent par devenir la norme. Au lieu de remettre en question ces choix politiques qui organisent la misère et sa gestion précaire, on remet au goût du jour des vieilles rustines, à l’instar de celle d’un « pré-accueil », dont on peut questionner tant l’éthique que la légitimité. Il y a pourtant eu des dispositifs qui répondaient plus dignement à l’enjeu, tel l’accueil en logement individuel et les Initiatives Locales d’Accueil, dont la suppression ne fut jamais questionnée.

Des souffrances en conséquence…

Nos lieux d’écoute et d’accompagnement ne cessent d’en attester, les conditions matérielles de vie extrêmement précaires, la pénurie organisée, le rejet et l’exclusion que tout cela matérialise au quotidien, la constante remise en cause de leurs déclarations, la traque quotidienne, avec le risque d’enfermement ou d’expulsion, sont la source de très grandes souffrances. Tous ces éléments sont en outre un empêchement à accueillir et accompagner des personnes déjà meurtries par des trajectoires de vie d’une grande violence. Les personnes dites sans-papiers, ces plus de 100 000 vies éjectées hors d’un corps social défini autour du respect de valeurs et des droits fondamentaux, ne cessent d’en témoigner. Il n’est plus possible de les ignorer, ces personnes doivent être régularisées.

Nous les recevons, nous les rencontrons tous les jours, réfugiés-sans-papiers-demandeurs d’asile, il s’agit des mêmes personnes. Les dépressions, les idéations suicidaires, parfois avec passage à l’acte, les décompensations psychiatriques, sont présentes chez tous. Notre travail devrait se concentrer sur les souffrances liées à l’exil, à la violence fuie, aux traumatismes multiples ; non sur l’exclusion et la mise en danger répétées ici, qui sont une porte ouverte à l’exploitation, à la traite des êtres humains, et aux violences sexuelles.

Toute la misère du monde ?

En 2015, plus d’un million de personnes étaient arrivées sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, où vivent plus de 500 millions de personnes. Moins qu’au Liban, pays de 4,5 millions d’habitants. Pour l’année 2017, les statistiques montraient que moins de 200 000 personnes étaient entrées sur le territoire européen. De Janvier à Septembre 2020, l’UNHCR en décompte moins de 60.000. Malgré cette chute impressionnante dans les chiffres, nous ne voyons aucun infléchissement dans les politiques migratoires qui continuent à se fonder sur une rhétorique de « l’incapacité à accueillir toute la misère du monde », voire de l’invasion massive. Les notes d’intention du gouvernement tout récemment constitué laissaient espérer un changement de cap. Il n’en sera sans doute rien, si on se fie aux déclarations du nouveau secrétaire d’État à l’asile et à la migration. Ces dernières s’inscrivent dans la lignée de celles de ces prédécesseurs, en mettant l’accent sur les expulsions et l’enfermement de personnes qui n’ont commis aucun crime, pratique honteuse au coût exorbitant. Dans ce contexte, nous répétons notre appel aux pouvoirs publics pour qu’ils optent enfin pour une politique migratoire respectueuse des vies humaines et des traités internationaux signés par l’Etat belge. L’application d’une telle politique, a fortiori en ces temps de crise sanitaire, implique la régularisation des personnes sans-papiers et l’affectation des moyens publics pour un dispositif d’accueil digne et accessible à tous les demandeurs d’asile sans exception.

SSM Ulysse

Plate-forme Mineurs en Exil

Centre Social Protestant

Gams

SeTIS-Bruxelles

SOS Viol

SSM Le Méridien

L’Entraide des Marolles

Membres du Réseau Santé Mentale en Exil

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire