Le stand wallon a accueilli Alain Juppé, maire de Bordeaux, à qui Maxime Prévot a pris soin de présenter une maquette... namuroise. © ARNAUD COLLETTE

Pour nos élus au salon des professionnels de l’immobilier, c’était « profil bas mais pêche au gros »

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Il y a des Mipim plus faciles à assumer que d’autres. En cette période de suspicion politique, certains élus ont renoncé au salon international des professionnels de l’immobilier, qui s’est déroulé du 13 au 16 mars à Cannes. D’autres ont pris le risque des critiques, pour tenter de harponner les millions des investisseurs privés.

Décevantes, ces marches. Toutes nues sans leur tapis rouge, elles provoquent – paraît-il – toujours cet effet-là. Un banal escalier. Néanmoins bien habillé : un graphisme aux touches noires, jaunes, rouges, surmonté d’un imposant  » Belgium « . Le plat pays ne passe pas inaperçu, au Mipim de Cannes, le salon international des professionnels de l’immobilier. Même si, cette année, le stand belge a failli être moins rempli qu’à l’accoutumée. Surtout l’aile wallonne.

Liège, la vedette des éditions précédentes, a décommandé in extremis. Dans la première mouture du dossier de presse distribué début mars, le nom de Willy Demeyer figurait toujours, comme celui de Jean-Christophe Peterkenne, son directeur stratégie et développement. Officiellement, le bourgmestre ne voulait pas rater la commission attentats. Officieusement, le vent publifien, à force, rend frileux.  » J’ai aussi hésité à venir « , admet Frédéric Daerden, député-bourgmestre de Herstal.  » Nous nous sommes posé la question, reconnaît-on du côté du Bureau économique de la province de Namur (BEP). Nous ne cachons pas que nous sommes là, mais nous n’en faisons pas la publicité non plus.  » Un seul ministre wallon, Maxime Prévot (en remplacement de Carlo Di Antonio), avait pris l’avion, son cabinet s’empressant de préciser qu’il ne restait qu’une journée. Jean-Claude Marcourt, présent lors d’éditions précédentes, s’est cette fois abstenu. Le ministre wallon de l’Economie serait de toute façon, dit-on, méfiant par rapport à cet événement.

A Villeneuve-de-Berg ou à Chalon-sur-Saône, le voyage serait plus facile à assumer. Mais à Cannes-la-chic, le déplacement paraît suspect. Comme tout ce qui implique mandataires et argent public, ces derniers temps. La délégation hutoise venait à peine d’atterrir qu’elle était sommée de justifier les 15 000 euros budgétés pour cette première participation.  » Ce que coûte le Mipim aux contribuables liégeois ! « , titrait deux jours plus tard La Meuse, bien que l’article expliquait a contrario comment les élus y limitaient les frais.

L’ambition et les millions

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 » Le contexte actuel ne doit pas nous empêcher de développer des projets. Il ne faut pas faire d’amalgame et ne pas se replier sur nous-mêmes, exhorte Pascale Delcomminette, administratrice générale de l’Awex (Agence wallonne à l’exportation). La tentation populiste est vraiment à l’opposé des intérêts de notre Région qui doit continuer à avoir de l’ambition.  » Ça rime avec millions. Pour concrétiser ses 26 projets présentés, la province de Liège devrait trouver plus de 1,5 milliard d’euros. Pour les quatre dossiers namurois chapeautés par le Bep, l’addition s’élève à 886 millions. Dans les deux ans à venir, Charleroi lancera pour 215 millions de marchés publics. Bruxelles n’a pas fait le compte, mais avec 15 000 nouveaux logements à construire sur douze pôles stratégiques, la capitale doit ferrer les capitaux.

Pour la pêche au gros, il n’y a pas meilleur spot que la Croisette. Sur les 24 200 participants, plus de 5 000 sont des investisseurs. Une concentration inédite. Le Mipim a des airs de speed dating. Même en faisant profil bas, c’est là que les élus doivent draguer assureurs, fonds de pension et autres sociétés immobilières cotées. Tous ont expressément libéré leur agenda durant quatre jours pour séduire et se laisser courtiser. Extraits choisis :  » Le rôle du politique n’est pas d’empêcher la rentabilité économique et financière mais de l’accompagner de rentabilité sociale  » (Maxime Prévot, qui prend bien soin de prononcer  » soixante-dix  » au cas où des Français seraient dans la salle).  » Je salue ceux qui osent les investissements à risque  » (Claude Eerdekens, bourgmestre d’Andenne).  » Dites oui à Huy !  » (Christophe Collignon, bourgmestre vous avez deviné d’où).  » Un investisseur fait face à quatre problèmes : la maîtrise du terrain, l’obtention d’autorisations, le financement, la vente. Nous proposons quatre solutions  » (Alain Mathot, bourgmestre de Seraing). Etc., etc.

Le flirt sera peut-être sans lendemain ou l’idylle durable. Cannes est juste la rencontre. Souvent un verre à la main ou autour d’une bonne table. Mais cela ne fait-il pas partie de la parade amoureuse ?  » Il ne faut pas croire qu’on est en vacances, assure un élu. Des rendez-vous sont programmés. En temps normal, il faudrait des mois pour les organiser ! Et ça ne reviendrait pas moins cher.  » La partie wallonne du pavillon belge a coûté 277 000 euros à l’Awex qui, après refacturation aux exposants sous-locataires, a dû s’acquitter de 37 000 euros. Loin d’être hors de prix, pour une vitrine internationale. En 2017, 3 713 visiteurs uniques se sont rendus sur le stand dont 71 % d’étrangers. D’abord des Français, mais aussi des des Britanniques, des Allemands et même quelques Turcs, Russes et Suédois.

« Il me manque un zéro »

Les plus petites communes veulent désormais aussi s’y faire voir, galvanisées par les touches des grandes villes. N’est-ce pas au Mipim qu’Andenne a abordé l’entreprise de construction Cobelba, fililale de Besix, qui a revitalisé son centre-ville ? Pourquoi Spa, Gembloux, Huy, Tintigny ou Tubize ne pourraient pas l’imiter ?  » Toutes ne reviennent pas les années suivantes. Ici, on parle de projets d’au moins 10, 20 voire 50 millions d’euros. Mais l’expérience leur permet d’apprendre « , estime Jean-Luc Pluymers, directeur du GRE-Liège (groupe de redéploiement économique).

Michel Deffet, directeur de la société de logements publics Le Foyer de la région de Fléron, n’a pas trouvé les investisseurs qu’il cherchait.  » Je leur parle en dizaines, eux me répondent en centaines. Il me manque un zéro pour les intéresser !  » Huy, dont la modestie des projets présentés rendait plusieurs observateurs sceptiques, repartira finalement avec quelques contacts. La SPi, agence de développement économique pour la province de Liège, a appâté plusieurs amateurs pour la construction de parkings sur le site du Val Benoît et fera bientôt visiter la Cité ardente à des amateurs français et allemand. Un architecte est revenu avec un important contrat signé. Un promoteur immobilier a enfin obtenu du ministre Prévot la réponse qu’il attendait.

« Comment Liège a mangé le Mipim », titrait Le Vif/L’Express en 2015. Cette fois, les présentations de Charleroi, Seraing et Verviers ont impressionné. A Cannes, l’absence des uns fait la chance des autres.

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