« Pour garder les gens plus longtemps au boulot, il faut les respecter au lieu de les tolérer »

Les carrières doivent devenir plus flexibles et tout le monde doit travailler plus longtemps. « Une belle théorie », écrit notre consoeur de Knack Ann Peuteman. « Mais difficile à mettre en pratique dans une entreprise où un quadragénaire est déjà trop âgé pour être engagé et où un quinquagénaire n’est déjà plus très respecté. »

« Si tu veux changer de job, c’est maintenant. Dans cinq ans, plus personne ne t’attendra. » C’est une mise en garde familière à tous les quadragénaires. Vers cet âge, à peu près à mi-chemin de sa carrière, on se demande parfois si on veut rester sur la même chaise jusqu’à la retraite. Regrettera-t-on plus tard de ne pas avoir tenté un dernier switch? Un confrère journaliste m’a récemment expliqué son passage à un autre média dans les termes suivants : « Je devais le faire, car c’est ma dernière chance. » Il venait d’avoir 50 ans, il doit encore travailler au moins 15 ans, mais il était convaincu qu’il n’aurait plus d’autre chance. Et il est probable qu’il ait eu raison.

Vers 45 ans, certains employeurs ne vous trouvent déjà plus très intéressant. Votre ancienneté vous rend assez cher, vous êtes moins malléable et vous avez moins envie de prendre des risques à la moindre occasion parce que votre patron trouve que c’est une bonne idée. Un ami de 47 ans, doté d’un CV assez impressionnant, a postulé dans une multinationale où il s’est entendu dire qu’il avait le profil parfait, mais qu’il était un peu âgé. Le fait que son patron avait dix ans de moins a certainement joué un rôle. « Non seulement, on constate que beaucoup d’employés ont du mal à travailler pour un supérieur qui a beaucoup moins d’expérience qu’eux, mais parfois cette situation rend le chef très peu sûr de lui », m’expliquait un manager en RH il y a quelque temps.

Quand j’entends les politiciens prétendre qu’à présent tout le monde aura compris que nous devrons travailler plus longtemps, je souris

Quand j’entends les politiciens prétendre qu’à présent tout le monde aura compris que nous devrons travailler plus longtemps, je souris. Il est vrai que la plupart des gens en voient la nécessité. Pourtant, dans beaucoup d’entreprises, les employés sont appelés aux RH vers leurs 58 ans où on leur demande comment ils voient le reste de leur carrière. En d’autres termes : quand ont-ils l’intention de dégager ? Ce n’est pas qu’on n’apprécie pas leurs efforts et une expérience, mais ils coûtent beaucoup d’argent, il est peu rentable de leur faire suivre une formation hors de prix et il semble inutile d’encore leur inventer un rôle pour les prochains déménagements ou réorganisations. Certains se soumettent – soulagés ou non – d’autres restent fermes et demeurent dans l’entreprise. Mais généralement, ils ne se sentent plus très souhaités. Bien entendu, de plus en plus d’entreprises mettent en oeuvre des emplois de fin de carrière et des postes de mentor, mais à beaucoup d’endroits, ce sont des adieux tirés en longueur. Et je ne parle même pas des quinquagénaires et sexagénaires qui ont la malchance de perdre leur emploi parce que leur entreprise fait faillite ou instaure des mesures d’austérité.

Il est évident que les temps ont changé, il y a moins d’argent et tout le monde doit travailler plus. Eh oui, c’est peut-être une bonne idée de ne plus laisser les salaires dépendre de l’ancienneté et de rendre les carrières plus flexibles. C’est évident pour tous les moins de quarante ans. Mais n’oublions pas qu’on a prétendu autre chose à des centaines de milliers de personnes : s’ils travaillaient assez dur et payaient les contributions, tout rentrerait dans l’ordre. En échange, ils auraient une pension convenable, mais surtout du respect. Et cela n’est plus toujours le cas. Il n’y a pas si longtemps, j’ai interrogé un jeune sexagénaire pour un reportage. Il était plein de feu, il semblait motivé, tout sauf exténué. Après coup, je lui ai demandé par curiosité pourquoi il avait arrêté de travailler à soixante ans. « À moment donné, j’ai remarqué que les autres me laissaient parler avec bienveillance pendant les réunions », m’a-t-il répondu. « Un peu comme les petits-enfants qui sourient quand leur vieux grand-père raconte pour la centième fois la même histoire. Je voyais que j’étais toléré et non respecté, et j’ai décidé de m’en aller. »

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