Luc Delfosse

Pour en finir avec les mots abjects

Luc Delfosse Auteur, journaliste

Non, les langues de Luc Trullemans le météorologue, de Philippe Van De Walle le gardien- consultant, de Stéphane Pauwels et Serge Vermeiren les animateurs de télé ou de Thierry Willemarck le patron des patrons Bruxellois n’ont pas fourché. Elles expriment parfaitement l’air du temps et c’est en cela qu’il faut s’inquiéter et riposter du tac au tac.

Car le temps, manifestement, n’est plus à l’idéologie et de moins en moins aux vrais débats d’idées. Le siècle est de plus en plus à la posture, au déni et à l’invective. Pour se faire entendre, on adopte donc des attitudes de Tartarin, on parade avec des voix de stentor et on lâche des mots qui claquent comme des rafales de mitraillette. Je le sais : j’en ai usé. Et s’il le faut, on use de propos crus de poissarde pour être sûr de faire mouche.

Exister à défaut d’être ; être entendus à défaut d’être écoutés.
Dès lors, c’est la banalisation de l’abject, la course à l’effet pour l’effet, le règne du pugilat verbal. Et quand ces forts en gueule se font remettre à leur place, il faut entendre leurs cris d’orfraie. Raciste, moi ? Mais (dans l’ordre) : « J’ai encore mangé du couscous hier », « Ma fille sort avec un Kosovar », « J’ai des amis congolais », « Je reviens d’Izmir »… C’est tout juste si l’un de ces crâneurs ne nous assène pas que son fils est la tête… de Turc de la classe.

Aucune explication de fond, aucun regret, aucune revendication (« Oui j’assume. Et voici pourquoi »). Juste une dénégation farouche d’enfant pris les doigts dans la confiture, des replis frileux et des paroles, cette fois, d’une platitude consternante. Le comble étant que ceux qui osent s’émouvoir de ces grossièretés, de ces éructations de beauf sont, dans un second temps, pris à partie et désignés à leur tour à l’opprobre : « gauchiste », « démo-crotteux », « droit-de-l’hommiste » ou, suprême avanie !, « adeptes du politiquement correct ».

La montée des populismes (sacré châtiment de la démocratie paresseuse et affairiste !), a libéré la parole. Mais la parole qui humilie, qui haït, qui blesse, qui exclut. Petit à petit, la lepénisation des esprits gagne. Les réseaux sociaux d’abord, qui sont de gigantesques miroirs à nombril où chacun y va à peu près impunément de ses rosseries, de ses jeux de mots scabreux et de ses pavanes vulgaires ; puis les médias qui, dans les affres de la crise, laissent petit à petit passer ce qui auparavant était indicible parce que tout simplement contraire à l’humanisme le plus basique et à la Culture.

Sartre avait eu cette réflexion extraordinairement juste : « Les mots boivent notre pensée avant que nous ayons eu le temps de la reconnaître. » Et force est de constater que les mots qui fusent aujourd’hui de la bouche de trop de « stars », de communicants, de publicistes et de politiques sont insanes, ineptes et déraisonnables. Si, comme on le pense, la majorité d’entre ces stentors n’est pas foncièrement raciste, qu’ils le prouvent en tournant tout bêtement sept fois leurs langues en bouche et en expurgeant de leur langage les mots qui tuent. Ou qu’ils assument. En sachant que, jusqu’à preuve du contraire, le racisme, comme disait Bedos, n’est pas une idéologie mais un délit.

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