Patrick Humblet, professeur ordinaire en droit social à l'UGent. © DR

Pour ce professeur en droit du travail, « la protection des délégués n’intéresse pas les partis politiques »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Pour Patrick Humblet, professeur ordinaire en droit du travail à l’UGent, un débat national sur le dialogue social devrait être lancé, avec un seul objectif : le réanimer.

A l’approche des élections sociales de mai, le banc patronal pointe du doigt la protection des délégués syndicaux et candidats délégués, arguant qu’elle paralyse les employeurs soucieux de se débarrasser de certains d’entre eux. La législation antilicenciement des représentants du personnel vous paraît-elle excessive ?

C’est surtout la FEB (Fédération des entreprises de Belgique) qui tient ce discours et je comprends cette position. Mais j’y décèle deux failles : d’abord, les entreprises qui disposent d’importants moyens financiers licencient quand même les délégués en leur versant sans sourciller les indemnités dues. Ensuite, les employeurs choisissent le moment du licenciement de manière à ce que cela leur coûte le moins possible. La FEB assure que les indemnités peuvent représenter jusqu’à huit ans de salaire mais dans les faits, cela n’existe pas.

Si la législation est imparfaite à vos yeux, que suggérez-vous ?

Si on veut vraiment assurer la liberté syndicale, il faudrait interdire le licenciement des délégués  » par paiement « . Mais ce n’est pas réaliste. Je pense donc qu’il faudrait augmenter fortement le montant des indemnités dues. En cas de faute grave ou pour des motifs économiques et techniques, une entreprise pourrait bien sûr toujours se séparer d’un salarié.

Avez-vous le sentiment que le désamour des employeurs pour le dialogue social va croissant ?

La concertation sociale fonctionne bien lorsqu’on fait face à un bon employeur et à de bons délégués, et ça existe. Mais certains patrons considèrent toujours que les délégués posent des questions gênantes et font du ramdam. Pourtant, ce qu’ils font au conseil d’entreprise est rarement révolutionnaire. En revanche, en cas de grève, la protection dont ils bénéficient leur donne de fait une plus grande marge de manoeuvre. A chaque scrutin social, employeurs et syndicats se jettent systématiquement les mêmes accusations à la figure et les mêmes cas extrêmes. Mais pour autant, rien ne change dans la législation. Sur le plan politique, j’ai le sentiment que la question de la protection des délégués n’intéresse d’ailleurs pas du tout les partis. J’exagère un peu, mais à peine. On sait aussi que la N-VA est très proche du Voka, la fédération patronale flamande, qui est encore plus dure que la FEB…

Sans la concertation sociale, nous connaîtrions en Belgique ce qui se vit en France avec les gilets jaunes et les grèves.

Est-ce le signe que la concertation sociale elle-même se porte mal ?

J’en ai l’impression. Syndicats et patrons sont dans les tranchées et personne ne bouge. Dans les débats télévisés, leurs représentants s’invectivent. Puis ils se serrent la main et plaisantent hors plateau. Ce qui se passe à l’échelon national de la concertation sociale est assez hypocrite. Il n’y a d’ailleurs aucun débat de fond entre les interlocuteurs sociaux, chez qui je relève beaucoup de conservatisme. On peut certes ne pas être d’accord avec son voisin tout en restant courtois. Ce n’est plus le cas.

La concertation sociale reste pourtant importante à vos yeux ?

Elle est essentielle. Sans elle, nous connaîtrions en Belgique ce qui se vit en France, avec les gilets jaunes et les grandes grèves actuelles, dans lesquelles des noyaux durs sont prêts à tout. Les syndicats doivent conserver un rôle fort pour éviter ces dérives. Un grand débat, intelligent, sur le dialogue social devrait être lancé en Belgique, afin de le réanimer. Chacun devrait y abandonner ses postures pour réfléchir sur le fond.

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