Pieter Timmermans

Pieter Timmermans (FEB): « Brussels Airlines est stratégique pour la Belgique »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le patron des patrons insiste sur la nécessité pour l’Etat d’intervenir afin de sauver nos secteurs stratégiques, dont les soins de santé ou l’aérien. La vocation de la Belgique, dit-il, n’est pas de produire des masques buccaux.

Pieter Timmermans, administrateur-délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), titre les premiers enseignements de cette crise sans précédent. Il les confie au Vif/L’Express.

Jamais un tel lockdown économique n’avait eu lieu en temps de paix. Votre analyse ?

Je n’ai effectivement jamais connu une telle crise et j’en ai pourtant connu quelques-unes : celle du Plan global de Dehaene dans les années 1990, la crise financière de 2008 ou celle consécutive aux attentats de 2016. Celle-ci a été incroyablement plus rapide et plus grave. Elle a démontré qu’il est assez facile d’arrêter complètement l’économie : en quelques jours, 40% était à plat. On parle d’une baisse de 7 à 9% de la croissance, alors que l’on était autour de moins 0,1% pour le plan global ou de moins 2% pour les attentats.

Heureusement, on a constaté une certaine résilience et, aujourd’hui, un dynamisme pour reprendre le travail. Le redémarrage de certains secteurs prendra entre six à neuf mois. Pour un pays exportateur comme la Belgique, dont la chaîne de valeur s’étend sur plusieurs pays ou continents, le redémarrage est encore plus complexe. On devrait retrouver une croissance plus acceptable en 2021.

Cela aurait-il être plus grave encore?

Nous avons eu la chance d’avoir des stabilisateurs. Celui qui n’est pas assez souvent cité, c’est la technologie. Que serait-il advenu si cette pandémie nous avait touchés dans les années 1960 ou 1970 ? Nous n’aurions alors pas eu un million de chômeurs temporaires, mais sans doute le double. Aujourd’hui, la moitié du secteur privé a pu continuer à fonctionner de l’une ou l’autre manière grâce à internet, aux vidéoconférences, aux smartphones… On voit clairement que la digitalisation de notre société n’est pas une menace, mais une opportunité. Et cette période a servi de formation accélérée pour tout le monde. L’autre stabilisateur, c’est évidemment la sécurité sociale Le chômage temporaire pour force majeure a protégé des centaines de milliers de travailleurs contre le licenciement. Il a également aidé les entreprises à traverser cette crise inédite. Par ailleurs, le report de paiement des cotisations ONSS et des impôts a fourni aux entreprises l’oxygène dont elles avaient besoin.

La seconde vague arrive, comme en témoignent les restructurations de Brussels Airlines ou du secteur touristique. Elle promet d’être violente, cela vous inquiète ?

Je compare l’économie à un être humain. Jusqu’à présent, nous avions un petit saignement et un sparadrap suffisait. Mais plus on perd du sang, plus les organes vitaux risquent d’être touchés avec une grande probabilité de décès On a réussi, grâce à une série de mesures comme le chômage temporaire ou le report des charges, à préserver la liquidité des entreprises. Nous estimons qu’un deuxième lockdown mènerait de 5 à 10% des entreprises à la faillite. C’est pourquoi il fait envisager d’ici deux semaines un plan de solvabilité des entreprises pour éviter ces faillites et renforcer leur comptabilité propre.

Dans le cas de Brussels Airlines, faut-il une nationalisation ou une intervention de l’Etat ?

Nous ne parlons pas de nationalisation, mais d’une batterie de mesures. L’Etat pourrait intervenir dans l’actionnariat de manière temporaire, on peut imaginer des prêts subventionnés auprès des banques… Je ne parlerais pas de façon précise pour Brussels Airlines parce que les négociations sont en cours. Mais je dis ceci : Brussels Airlines n’est pas importante uniquement pour elle-même, mais aussi pour l’aéroport qui est le deuxième pôle économique du pays. C’est donc bien un secteur stratégique. Et je précise aussi que quand on rentre dans l’actionnariat d’une entreprise, on a évidemment son mot à dire.

Vous insistez plus que jamais sur cette notion de secteur stratégique ?

Nous devons en effet, plus que jamais, nous demander si nous ne devons pas protéger nos secteurs stratégiques. Un exemple : autrefois, nous soutenions beaucoup le secteur pharmaceutique. Aujourd’hui, nous constatons que ce secteur est un des grands acteurs mondiaux. Grâce à cela, nous sommes en position de force en ce qui concerne les produits chimiques nécessaires aux tests (réactifs), les matériaux de prélèvement (e.a. via l’impression 3D), les technologies médicales (e.a. imagerie) et l’habillement. Le secteur aérien, je l’ai dit, doit être considéré comme stratégique, au même titre que les nouvelles technologies. Les soins de santé aussi : pourquoi ne pas faire de notre pays un centre de référence pour le traitement de telle pandémie ?

En revanche, les masques buccaux sont un produit trop simple pour que leur production à petite échelle soit encore rentable en Belgique. Pour l’avenir, nous devons certes envisager de garder en Belgique ou en Europe un appareil de production pour certains produits. Mais dans le cas des masques, il s’agit davantage de reconstituer une réserve stratégique que d’envisager cela en terme de production. Pour que cela soit rentable, il faudrait en produire des centaines et des centaines de millions.

Que pensez-vous de la gestion politique de cette crise ?

Tout d’abord, le Conseil national de sécurité a montré qu’il pouvait générer une certaine unité. Quad il y a urgence, c’est possible ! Un ministre-président PS, un ministre-président N-VA et une Première ministre MR peuvent arriver à des décisions pour tout le pays. Dans une situation de guerre, il faut une unité de commandement. Mais une fois le Conseil national de sécurité terminé, admettons qu’il aurait pu faire mieux. Le fait que chacun doive encore fournir son interprétation des décisions au terme de chaque conseil n’a pas contribué à la clarté de celles-ci. Certaines décisions ont été prises sans coordination entre les différents niveaux politiques (cf. les compléments dans le cadre du chômage temporaire) et des propositions ont été annoncées sous réserve d’être confirmées par le Conseil de sécurité.

On peut se consoler en constatant que la gestion de la crise n’a pas toujours été cohérente et fluide dans d’autres pays. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant. En effet, il n’existe pas de feuille de route pour de telles crises. Tous les pays ont dû passer par le même processus d’apprentissage.

Et l’absence de l’Europe ?

Notre économie exportatrice ne pourra redémarrer correctement que si les frontières s’ouvrent et si nous pouvons à nouveau importer et exporter des marchandises. La mobilité des personnes est également cruciale pour nos entreprises. Une coordination européenne efficace est indispensable dans ce cadre. Un pays ne peut amorcer le redémarrage de ses entreprises si elles n’ont pas la possibilité d’importer les matières premières dont elles ont besoin ou d’exporter leurs produits finis et l’expertise correspondante. La crise actuelle démontre la nécessité d’une Europe forte. Un défi énorme attend les chefs d’État et de gouvernement européens.

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